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CathdeRavel

Il y a 1 an | 273 vues

Semaine 3

J’avais accepté cette proposition avec scepticisme, je voyais bien que quelque chose clochait, mais je n’avais pas pu résister à un peu d’aventure ...

J’étais donc dans la camionnette, juché sur un énorme rideau de théâtre pourpre soigneusement plié, tentant à chaque virage de redresser les mannequins de polystyrène qui s’affalaient sur moi comme des poupées ivres et tendant l’oreille pour comprendre ce qui se disait dans la cabine de conduite. Plus ça allait moins je la sentais cette histoire de transformiste. Le molosse qui s’était installé à côté d’elle à l’avant du véhicule ne me disait rien qui vaille. 

Je ne vis pas venir le coup de frein, pourtant annoncé par un juron. 

 

 

Le nez dans la robe en satin bleu de la diva italo-égyptienne, je tentais de refaire surface tandis que le véhicule reprenait sa route après un coup de klaxon au chauffard qui avait failli nous envoyer dans le décor.

La conductrice et son acolyte, certainement refroidis par l’incident, avaient cessé de se quereller et seuls les balais d’essuie-glace - qui ne servaient plus à rien car il ne pleuvait plus – émettaient un raclement sur le pare-brise. La conversation reprit sans que je ne puisse en saisir une bribe. Je me rapprochai avec précaution de la paroi vitrée qui me séparait de la cabine et fis glisser subrepticement l’ouverture coulissante.

J’aurais peut-être dû en profiter pour m’échapper par l’arrière du van …

 

 

Il était trop tard de toutes façons, le véhicule fonçait maintenant sur le boulevard périphérique.

« En attendant, je ne sais pas ce que l’on va faire de ton nouveau jouet ! », déclara le géant à la conductrice. Elle ne répondit pas mais je vis nettement son sourire dans le rétroviseur, un sourire qui marquait sa satisfaction et sa hâte. L’homme sourit aussi et s’assombrit immédiatement, semblant se souvenir de quelque chose. Il baissa la voix, se retourna vers le sombre coffre de la camionnette en même temps que je fermais les yeux pour laisser penser que je m’étais assoupi. « Et ce satané paquet encombrant ? qu’est-ce qu’on va en faire ? »

J’entendis la danseuse soupirer : « Je suis navrée, Igor, je n’aurais pas dû »

 

 

À ce moment-là je ne sais pas si ce sont mes nerfs qui ont lâché ou l’alcool qui m’a désinhibé mais j’ai éclaté de rire en considérant la situation : étais-je un jouet ou un objet encombrant dont il fallait se débarrasser ? J’ai néanmoins rapidement masqué mon hilarité sous une toux feinte. Le regard inquiet et interrogateur de mon hôtesse dans le rétroviseur m’a conduit à annoncer que tout allait bien et je suis retourné m’asseoir sur le rideau pourpre. Mes yeux se sont alors posés sur une énorme citrouille je n’avais pas distinguée au premier abord au fond de la camionnette, à côté de la barre de pool dance démontée.

 

« Rungis ? », interrogea-t-il. « Non, trop de monde »

« Vitry alors ? », « trop de lumière ! »

« J’appelle les bulgares ? », « trop tôt », fit-elle.

Je commençais à me sentir vraiment mal à l’aise dans le Mercedes, comme un poisson sur une bicyclette, comme un alligator sur la banquise.

Nous étions lancés sur l’autoroute, nous avions laissé à gauche la silhouette sombre de l’hôpital et nous dirigions droit sur l’aéroport d’Orly. La pluie avait repris, les gouttes s’aplatissaient sans relâche sur la carrosserie. Ils semblaient avoir complètement oublié ma présence. J’avais réussi à caler les mannequins avec une caisse d’escarpins de toutes couleurs et je m’étais résigné : « A quoi bon regretter ? »

 

 

La sonnerie d’un téléphone retentit et j’entendis Igor converser dans une langue slave que je ne parvins pas à identifier comme du russe. Au moment où la femme allait bifurquer vers l’A6 et la destination initialement prévue, il l’interpella d’un tonitruant « Non ! tout droit ! » qu’il accompagna d’un mouvement vif vers le volant afin de maintenir le véhicule sur la file de gauche. Nous fîmes une embardée spectaculaire à laquelle ni les mannequins, ni les néons des éléments de décor ne résistèrent. La conductrice manœuvrait maintenant pour décoller la camionnette de la rambarde de sécurité et poursuivre sa route. Pour ma part, hagard, éperdu, je renonçai tout à fait à sortir du monticule de robes à paillettes sous lequel je gisais.