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Reveurs

Il y a 1 an | 239 vues

Semaine 3 - Esprit es-tu là -fin

Le lendemain, dès que j'aperçois Emma, je lui donne un petit carton avec la date et l'heure de la cérémonie que Léa a imaginé. Il y a une consigne ”apporte un peu de bois sec et un talisman.” Elle lit le petit mot et me regarde, intriguée. ”C'est la date de la libération d'Ishtar.” Elle hoche la tête et s'en va.

Le soir du rendez-vous, quand j'arrive à l'espace piquenique, Léa a déjà allumé un petit feu . Il y a de la musique. Emma me rejoint en courant. Elle sert un lutin en plastique dans sa main gauche. Mais c'est le lutin que Léa a mis dans un cercle magique ! Emma l'a trouvé devant sa porte, après son arrestation.

”Léa, baisses le son s'il te plaît.” La réponse est non. C'est le groupe Talisman, indispensable à la cérémonie.

 

Ma collègue dévisage Léa. ”Dis, tu n'es pas caissière à la boulangerie ?” Léa rit. ”Non, toujours pas ; Ma sœur y travaille. Commençons” Elle installe Emma sur une chaise pliante à côté du feu et, avec un feutre couleur pourpre, dessine une étoile à huit branches sur son front. Il s'agit du symbole associer à Ishtar. Elle donne des instructions. ”Passe-moi ton talisman, puis regarde Vénus. C'est l'étoile la plus brillante, celle entre Saturne et Jupiter. La déesse perdue verra votre connexion et trouvera ainsi la sortie des ténèbres.” Ensuite, elle trace un cercle magique autour de nous avec comme centre le feu de camp.

 

Léa pose un potiron évidé entre les mains d'Emma et met le lutin-talisman au fond. En même temps elle me demande de mettre des branches de romarin et des feuilles de sauges sur le feu. Je m'exécute, tout en en observant, discrètement les deux femmes. Emma chantonne en chœur avec l'enregistrement. Du coin de l'œil je vois que Léa remplace subrepticement le lutin par une petite statuette féminine. On dirait que la tête grimaçante l'avale. 

 

Les herbes embaument l'air du soir. Je soupire. Ces arômes me donnent faim. En fouillant dans mon cabas, je trouve un paquet de saucisses acheté dans l'après-midi. Je l'ouvre et les enfile sur des branches, puis je les tiens au-dessus du feu et les tournant de temps en temps, pour qu'elles grillent uniformément. J'en oublie presque la raison de notre venue. Que font mes compagnons ? Léa tourne autour d'Emma en murmurant des paroles inaudibles. Assise sur sa chaise, immobile, Emma fixe l'étoile, comme si rien d'autre n'existait au monde.

 

La musique est toujours aussi forte. Le chanteur hurle en boucle qu'il attend. Subitement, la sonorité change. Les rythmes envoutants de plusieurs tambours nous enveloppent. A ce moment précis, Léa ajoute trois cônes d'encens dans la citrouille, puis y allume une bougie noire. 

C'est une scène mystérieuse. Sous le ciel étoilé, un petit feu de camp d'où émanent des odeurs de saucisses presque cuites, d'herbes aromatiques et d'encens. Le son des tambours fait vibrer le sol. J'ai l'impression que les flammes obéissent aux rythmes. Le lutin-talisman tombe des mains de Léa et roule près du feu. J'ai l'étrange impression que cet objet en plastique est inquiet.

 

J'ai la sensation troublante d'être sur une banquise au moment où la partie que j'occupe se détache et dérive vers le large. Un bourdonnement semble émaner du sol et se propager dans mon corps. Je sursaute. Le roi des aulnes surgit du feu. Il attrape le lutin par les cheveux. ”Viens fiston, fini de t'amuser avec les humains. On rentre !” Les flammes s'élèvent haut dans le ciel, puis retombent. Je dois rêver ! Léa m'interpelle: ”Attention, les saucisses !” In extremis je les retire des flammes. 

 

Les tambours se taisent. Il n'y a plus aucun bruit à part le crépitement des flammes. Au loin, le hululement d'une chouette. Emma bondit, éperdue. Elle regarde la citrouille entre ses mains. D'un mouvement fluide, elle verse son contenu dans les flammes, puis elle se détend. ”J'ai faim. Vous pouvez me passer une saucisse ?” Je la dévisage. ”Alors, Ishtar va bien ?” Elle me regarde comme si elle ne comprenait pas de quoi je parle, saisit sa saucisse et mord dedans. 

FIN