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hachem

Il y a 1 an | 192 vues

Le Messager

Jour 1

Dans la péninsule arabique, en l’an 610, un homme d’une quarantaine d’année s’avançait seul dans le désert.

Ce matin, il sortit de chez lui en laissant son village et sa famille.

Depuis plusieurs heures, il marchait comme s’il attendait un signe.

Soudain, une bourrasque de vent violent se leva et un mur de sable obstrua son chemin.

Il fut catapulté malgré lui et sans ménagement à l’intérieur d’une grotte.

Une voix puissante l’apostropha puis se tut. Il crut un court instant qu’un génie allait apparaître et le mettre en pièces.

Il attendit mais rien ne se manifesta. Le silence retomba et il sentit une paix intérieure l’envahir comme il n’en avait jamais connue de sa vie.

Et puis, la voix reprit et le somma de répéter après elle « Lis !».

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Suite du jour 1

L’homme du désert demeura dans la grotte un long moment avant que la Voix ne se manifeste une deuxième fois.

Il fut rempli d’un bonheur incommensurable. Il sentit son cœur enveloppé d’une chaleur douce, ses yeux incandescents et son esprit en plein éveil.

La Voix reprit soudain et lui ordonna de lire. Il chuchota « je ne le peux point car je suis analphabète ».

Alors, la Voix se fit plus autoritaire « Lis ! ».

Il ferma les yeux et se vit en lévitation, flottant dans l’espace, la Terre à ses pieds, la Lune à sa gauche, le Soleil à sa droite et au-dessus, les étoiles se prosternèrent.

Devant lui, des mots en arabe défilèrent et il les lut comme un érudit.

Il sut que sa mission sera immense et qu’il l’accomplira.

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Suite du jour 2

L’homme du désert flottait dans l’Espace jusqu’à terminer la lecture du message divin.

Les mots étaient maintenant gravés dans sa mémoire. Ils avaient imprégné tout son être.

Il entama ensuite sa descente vers la grotte originelle d’où il avait commencé son voyage céleste.

Il retraversa toutes les couches de l’atmosphère, une à une sans subir la moindre secousse.

A l’entrée de la Terre, il rencontra un cirrus majestueux qui lui souhaita la bienvenue.

Il rendit le salut, poursuivit son chemin et atteignit sa destination sans encombre.

Arrivé dans son refuge, il éprouva un relâchement intense et sombra dans un sommeil profond.

Après plusieurs heures, il se réveilla en sueur et sentit un poids monumental écraser sa poitrine.

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Suite du jour 3

L’homme du désert se réveilla avec une masse énorme sur sa poitrine.

Quand il ouvrit les yeux, il vit une obsidienne recouvrant tout son torse.

Elle était ronde comme la Terre, noire comme l’ébène avec au centre une ouverture d’où s’échappait un parfum de musc.

La Voix l’interpella à travers elle « Al Amine, es-tu prêt à être Notre messager ? ».

Il n’arriva pas à articuler un seul mot mais réussit à hocher la tête comme pour dire « Oui ».

La Voix reprit « Va voir mon peuple et annonce-lui la bonne nouvelle ! ».

La Voix se tut et la pierre se mit en lévitation. Puis, elle disparut en un clin d’œil.

Al Amine se mit debout et sut ce qu’il lui restait à accomplir.

Il se dirigea vers son village d’un pas assuré et confiant.

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Suite du jour 4

Après avoir quitté la grotte dans laquelle il reçut la révélation, Al Amine se dirigea d’un pas assuré vers son village.

Il prit la décision de tout raconter à sa femme.

Il savait qu’elle le croirait et ne le prendrait pas pour un illuminé.

Il arriva tard dans la nuit en haut de la colline qui dominait sa bourgade.

Il s’arrêta un instant pour la contempler.

Les habitants avaient coutume d’allumer des feux devant leurs maisons pour éloigner les bêtes sauvages.

Le spectacle de tous ses brasiers incandescents le fit penser à un champ de coquelicots.

Il prit une profonde inspiration et descendit jusqu’à sa demeure.

Sa femme l’attendait au seuil de la porte et d’une voix douce lui dit « Bienvenue au Messager d’Allah ».

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Suite du jour 5

Al Amine fut soulagé de ne pas avoir à expliquer son absence.

Il était conscient de la chance qu’il avait d’avoir épousé une femme de cette valeur.

Ne l’avait-elle pas recueilli jadis alors qu’il n’était qu’un jeune berger ?

Ne l’avait-elle pas pris sous son aile, elle la puissante et la plus riche de toute sa tribu ?

Elle lisait en lui. Elle croyait en lui.

Elle savait qu’il était promis depuis toujours à un destin exceptionnel.

Aujourd’hui, sa prédiction se réalisait.

Cette aventure ressemblait à une quadrature du cercle mais les voies du seigneur sont impénétrables.

Ils allaient emprunter ensemble un nouveau chemin en quête de vérité. Ils y associeraient leurs familles, leur peuple et demain l’humanité toute entière.

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Suite du jour 6

Le Messager pouvait compter sur son épouse.

Dès qu’il lui révéla le texte appris dans la grotte, elle se déclara la première de ses disciples

A partir de ce couple fusionnel et telle une cellule embryonnaire, un corps harmonieux devrait naitre.

Pour l’instant, la nouvelle resterait secrète. Seul leur cercle intime serait initié.

Elle allait évoluer dans le cœur des fidèles afin qu’ils la relayassent sans l’altérer.

Il fallait néanmoins se méfier des mouchards qui rôdaient autour.

Ceux-là étaient les vassaux de l’oncle du Messager.

Ce parent proche l’avait pris en aversion depuis sa tendre enfance et recherchait sans cesse une occasion pour l’éliminer.

La nouvelle lui donnerait un prétexte idéal pour le chasser de la ville.

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Suite du jour 7

Le Messager continuait à recevoir la révélation. Elle lui commandait d’agir avec prudence pour consolider le socle de ses disciples.

Ses fidèles constituèrent au bout de quelques mois un socle assez solide pour oser manifester leur foi au grand jour.

Le Messager appelait, ni plus ni moins, au respect des droits humains, à l’abolition des privilèges, à l’émancipation des êtres et à plus de justice sociale.

Les tribus en place voyaient d’un mauvais œil cette remise en cause de l’ordre établi.

Comment un esclave pouvait-il être l’égal d’un noble de naissance ?

Les compagnons du Messager subirent différentes ordalies quand ils étaient soupçonnés de suivre la nouvelle voie. Nombre d’entre eux périrent sous ces pratiques païennes.        

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Suite du jour 8

Les disciples du Messager étaient de plus en plus harcelés par ceux qui furent encore hier leurs frères et leurs sœurs.

La nouvelle donne sépara les familles et déchira pour un temps les liens de parenté.

La Voix ordonna au Messager de persévérer bien que ses fidèles aient subi des souffrances atroces. La délivrance serait pour bientôt et la patience est la vertu des justes.

Ils s’installèrent avec femmes et enfants en périphérie de la ville comme des pestiférés.

Ils érigèrent des tentes de fortune dans un endroit hostile, peuplé de scorpions et de bêtes sauvages. La femme du Messager offrit tous ces biens pour soutenir cet exil forcé.

L’entraide s’organisa et chacun put vivre sa foi en espérant de meilleurs lendemains.    

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Suite du jour 9

La vie dans le camp devint difficile. La faim et le manque d’eau pesaient sur les fidèles.

Le Messager s’efforça de calmer ses rangs pour éviter la panique et la désespérance.

Un matin, il se cloitra dans la grotte pour demander conseil. La Voix répondit à son appel et lui demanda de préparer son peuple à migrer vers une contrée plus amène.

 Il se rappela de cet endroit car il y avait vécu une enfance heureuse.

Il revint confiant vers ses fidèles.

Il leur décrivit la ville, sa verdure et ses richesses. Les gens l’écoutèrent avec gourmandise en s’imaginant leur nouvelle vie.

Il leur suggéra de partir par petits groupes pour ne pas éveiller les soupçons de leurs tortionnaires.

Il partirait en dernier avec quelques compagnons.

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Suite du jour 10

Le camp se vidait petit à petit comme l’avait commandé la Voix.

Le Messager et ses compagnons descendirent de jour en ville pour prêcher.

Ce fut un subterfuge pour tromper la vigilance de leurs ennemis qui ne se doutèrent point de la fuite des fidèles.

Ils se concentrèrent sur Al Amine pour organiser son assassinat.

Le Messager fut mis au courant de leur plan macabre et fit circuler la rumeur qu’il dormirait chez son neveu.

Les assassins se rendirent à sa couche pour le poignarder dans son sommeil.

En soulevant la couverture, une clarté adamantine les éblouit comme un avertissement.

Ils furent pris de stupeur un instant et s’arrêtèrent juste à temps dans leur geste meurtrier.

La cible n’était pas le Messager mais son neveu.

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Suite du jour 11

Le Messager réussit à s’extraire du guet-apens tendu par ses ennemis.

Il s’échappa de la ville avec ses compagnons. La traversée du désert dura deux jours.

A l’approche de leur destination, quelle fut leur surprise quand ils virent des milliers de personnes les accueillir avec des chants de joie et de bienvenue.

Le Messager traversa la foule sur sa chamelle blanche et bénit au passage les badauds se pressant pour toucher sa tunique.

Des femmes soutenaient sur leurs épaules des enfants pour l’apercevoir, telles des cariatides sur lesquelles reposait la nouvelle voie.

La chamelle se fraya un chemin parmi les gens comme guidée par une main invisible puis s’arrêta.

Le Messager décréta que cet endroit serait son domicile.               

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Suite du jour 12

Le Messager s’établit dans la nouvelle ville.

Il connut très vite une renommée dépassant toutes ses espérances.

Il savait écouter les gens, arbitrer leurs différends de manière juste et dénouer des conflits tribaux ancestraux.

Il montra une faculté à agréger les intelligences et à rassembler autour de lui des esprits brillants.

Il continuait à recevoir la révélation et à enseigner en retour à ses fidèles des vertus telles que la tolérance, la compassion et l’humilité.

Sa maison était ouverte à tous au détriment de sa vie privée.

Chacun pouvait l’interpeller pour connaître la meilleure conduite à adopter dans une situation ou une autre.

Une société libre et prospère naquit de cette alchimie dont le Messager seul avait le secret.

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Suite du jour 13

La maison du Messager devint une véritable ruche. Les requérants venaient lui demander conseil à tout moment du jour ou de la nuit.

Le Messager dut honorer ces sollicitations même si ses proches se plaignaient de ces intrusions.

N’avait-il pas été réprimandé par la Voix jadis quand il chassa un aveugle quémandant son aide ?

Il fut obligé d’attendre pour ne pas se tromper de nouveau.

La réponse de la Voix vint pour le réconforter.

Elle lui ordonna de recevoir dorénavant ses visiteurs dans un terrain extérieur attenant à sa demeure.

Il y tenait audience publique en se plaçant au centre.

Ses fidèles en rangs serrés, formaient des cercles autour de lui comme des boucliers, ainsi que Saturne est protégée par ses anneaux.

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Suite du jour 14

Les réunions publiques tenues par le Messager connurent un succès grandissant.

Des bédouins accoururent de contrées lointaines pour écouter les paroles douces et puissantes de cet homme.

A ce que l’on racontait, elles détenaient le pouvoir d’un talisman.

D’aucuns en doutaient de ses ouï-dire, se présentaient aux séances avec circonspection et attendaient l’effet qu’elles produiraient sur eux.

Quand le Messager les prononçait, elles volaient dans l’air comme des colombes et enchantaient les oreilles par leur mélodie hors du temps.

Ces mots étaient ceux de la Voix, portés par celui qu’Elle avait choisi car il Lui était loyal et sincère.

Ils n’étaient ni ceux d’un poète ni ceux d’un sorcier.

Ils étaient : Le mystère.       

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Suite du jour 15

La paix et la sérénité régnaient sur la ville du Messager.

Une société nouvelle était née. Elle se voulait respectueuse des différences, protectrice des nécessiteux et tolérante des traditions.

Mais, cette quiétude fut de courte durée.

Les ennemis originels du Messager envoyèrent leurs lieutenants pour espionner ses faits et gestes.

Ils dévalisèrent ses caravanes pour affamer son peuple. Ils tuèrent ses fidèles pour diminuer leur nombre. Leur rancune était tenace et leur besogne était lâche.

C’en était trop de ces escarmouches.

Le Messager se mut en chef de guerre. Il prépara une riposte vigoureuse.

La première bataille fut terrible. La vallée témoin du carnage se revêtit de la pourpre, poussière et sang de ses détracteurs.    

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Suite du jour 16

La dimension du Messager changea de nature après les épreuves endurées par ses fidèles.

Après être devenu chef de guerre pour protéger les siens, il se mut en homme politique pour assurer la continuité de son œuvre.

Les alliés d’hier montrèrent leurs vrais visages quand il leur demanda de défendre la ville à ses côtés.

Ils prétextèrent mille ruses pour ne pas participer aux combats.

Il se doutait qu’ils se rendirent subrepticement chez ses ennemis pour fomenter des coups tordus et organiser sa perte.

La Voix l’avertit de leur hypocrisie et roublardise.

Il les confondit en les mettant à l’épreuve. Il était supérieur en intelligence et en stratégie.

Il les chassa de la ville comme des traitres mais leur assura la vie sauve.

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Suite du jour 17

Après avoir sécurisé sa ville et mis hors d’état de nuire ses détracteurs, le Messager réunit son peuple pour lui annoncer la bonne nouvelle.

A la vue de cette marée humaine, il se rendit compte du chemin parcouru depuis son arrivée dans cette contrée il y a de cela sept ans. Ils furent des milliers à l’acclamer.

Il reconnut dans la foule certains de ses ennemis les plus farouches d’hier. Il les avait combattus jadis, mais aujourd’hui ils étaient des plus loyaux.

Le Messager monta sur une estrade et annonça que la Voix lui avait ordonné le retour à sa ville originelle.

Un soupir de soulagement traversa les rangs des fidèles comme une libération.

Une nouvelle nation venait de naitre.

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Suite du jour 18

Pour le voyage du retour, le Messager prit la tête d’une caravane de plus de mille chameaux, quadrillée par le double de pur-sang arabes.

Deux mille combattants fermèrent la marche de cette armée invincible.

Les drapeaux flottaient dans l’air accompagnés de chants joyeux.

Des éclaireurs précédèrent le convoi pour ouvrir la voie.

Rien ne se produisit jusqu’aux portes de la ville.

Un émissaire de la partie adverse vint avec un fanion blanc en signe de paix.

Il était vêtu de son habit d’apparat et sur sa tête trônait un turban gros comme un citrouille.

Il demanda à parler au Messager qui le reçut sur le champ.

Il lui remit les clés de la Sainte Ville comme signe de soumission.  

La reconquête fut achevée sans aucune effusion de sang.

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Suite du jour 19

L’entrée dans la Sainte Ville de l’armée du Messager se passa sans heurts.

Bien au contraire, les autochtones les accueillirent avec des houra comme des libérateurs.

Le Messager déambula avec sa chamelle blanche dans les ruelles.

Il se remémora sa vie d’antan, quand il était grand négociant aimé et respecté des siens.

Aujourd’hui, ce fut tout un peuple qui l’adulait.

Il mit pied à terre et tourna sept fois autour de l’édifice Saint qu’il avait jadis aidé à reconstruire.

Une marée humaine le suivit. Elle était compacte et de blanc vêtu comme une banquise recouvrant toutes les dalles du sol sacré.

Il monta les marches et s’adressa à la foule :

-          Aujourd’hui, j’ai transmis le Message et accompli pour vous la Mission.   

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Suite et fin

Après un mois passé dans sa ville d’origine, le Messager reprit le chemin du retour pour un ultime voyage qu’il nomma : L’Au revoir.

Il avait hâte de retrouver sa ville d’adoption. Celle où il avait accompli son œuvre et bâtit un monde nouveau.

Il reprit son travail de plus belle. Il conseilla, organisa et mit de l’ordre dans ses affaires.

Il était conscient du bien-fondé de la nouvelle voie qu’il s’était employé à tracer depuis vingt ans.

Il était lucide et consciencieux.

Il tomba malade quelques mois plus tard.

Son épouse bien aimée le veilla nuit et jour.

Un soir, alors qu’il se sentait au plus mal, elle plongea son regard dans ses yeux avec un amour éperdu.

Elle déposa ses lèvres sur les siennes et but son dernier soupir.