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Anastasia

Il y a 1 an | 1190 vues

Et notre troisième finaliste est...

Jour 1 - Génie 

GARE AUX GÉNIES 

N’a du génie que l’ingénu qui gêne sans le savoir. Génial ? Réfléchissons-y deux fois. Il était une fois un jeune ingénu prénommé Jean dont le génie avait jauni à mesure que ledit Jean gênait. C’est qu’il gênait son monde, ce petit génie arrogant, jalonnant ses discours d’injonctions insolentes, alors qu’entre nous, de génie, il n’en avait pas tant. Or, si le génie d’un jeune vient à jaunir, c’est qu’il s’idiotise, le jeune ou son génie, peu importe, et un génie idiot, c’est gênant, geindrait quiconque un peu intelligent. C’est pourquoi il faut prendre gare aux génies qui gênent trop, car les génies c’est bien, et ceux qui gênent aussi, mais parfois, la gêne du génie se pare de bêtise et le génie s’enlise.

Jour 2 : Incandescent

JÉRÔME FONDU 

Ça le brûle, Jérôme, ça l’aveugle cette vérité qui déborde de la bouche de Lise, là devant lui, sans qu’il puisse tourner la tête, évincer ses phrases par des excuses, des bras, des doigts. L’affaire est pourtant simple : Lise l’a trahi, c’est ce qu’elle lui répète, Je t’ai trompé, tu ne comprends pas ? Mais Jérôme ne comprend pas, non, il ne peut pas voir, c’est trop clair, c’est trop chaud cette lumière qui crame ses yeux innocents. Comment ? qu’il lui sort, les larmes sous les paupières, ultime parade aux lames incandescentes qui l’assaillent, Tu… tu l’aimes ? Je l’aime. Et sur le canapé, Jérôme s’est figé comme une bougie sur un chandelier. Jérôme a mal ; il a enfin compris : dans son cœur, Lise déchue, pauvre Jérôme fondu.

Jour 3 : Cirrus

MAXIME A VU 

Maxime en est certain, il l’a vu ce cercle, il n’a pas rêvé, c’est impossible. C’était là, devant ses yeux, juste au-dessus de la cime du platane, et puis hop, ça a disparu, comme ça, sans prévenir. Qu’est-ce que ça veut dire ? Maxime s’interroge, Maxime inspecte l’azur, C’était où, bon sang ? Mais les nuages sont aussi capricieux que son esprit inquiet, et la forme des cirrus a changé. Le ciel lui a-t-il fait un signe ? Maxime doit en avoir le cœur net. Au milieu de la rue, il tombe les paupières et furète ses souvenirs en quête de cet anneau qui lui a apparu. Soudain, il le retrouve et sourit. Alors soulagé, Maxime rouvre les yeux. Lui qui ces derniers jours hésitait peut enfin décider : c’est bon, Maxime peut se marier.

Jour 4 : Obsidienne 

LA PIERRE DU PÈRE

Mon père l’avait trouvée lors d’un voyage ; je n’étais pas encore né. Il m’avait raconté bien des années plus tard l’histoire de cette fameuse pierre qui l’avait sauvé. En la ramassant sur un chemin tortueux, il avait évité la branche d’un arbre qui s’apprêtait à le décapiter. Comment ne pas croire que cet éclat si noir le protégeait ? Depuis lors, tous les matins, mon père la serrait dans son poing avant de me la passer, entre le café et la pâte à tartiner, comme un rituel ancien, qu’elle transmette sa chance. D’autres croient en leur dieu, nous avions cette obsidienne lisse, ses franches lignes obliques, sa noirceur angélique, que je serre encore tous les jours avant de la poser dans le creux d’une main plus petite.

Jour 5 : Coquelicot

SOUS TOUS CES PAVILLONS 

Avant c’était un champ, une étendue sauvage où dansaient de beaux coquelicots. L’été, le vent brassait leurs longues tiges vertes, caressait leurs pétales, étouffait leurs fins rires. J’y avais tant couru dans cette marée vermeille, que lorsque les pelleteuses sont arrivées, tels les tanks d’une armée, j’ai pleuré face à la cruauté, les feuilles arrachées, les pétales qui saignaient, les hurlements que le vent emportait. À la chorale pourpre, on a préféré des pavillons muets. Je repasse parfois devant, le cœur blessé, et j’ai été surpris lorsque la dernière fois, en regrettant ce temps où le champ s’agitait, j’ai aperçu sur une pelouse peu soignée, une tige au bout de laquelle des pétales rouges dansaient.

Jour 6 : Cercle

DES PETITS TOURS 

Ana ne sait pas, elle hésite, le doigt qui fait des cercles réguliers dans le sable où elle noie son angoisse. Ana aimerait comprendre ce qui la cloue sur sa serviette et l’empêche de rejoindre Nicolas qui joue là sous le soleil avec ses potes. Ana est seule, Ana est belle, Ana est jeune mais Ana timide. Alors Ana tourne et retourne son index dans le sable, y envisage tous les scénarios, J’y vais ou j’y vais pas ? C’est marrant comme l’esprit cherche les réponses par le corps. Puis soudain, l’index s’arrête. On dirait qu’il a trouvé la réponse. D’ailleurs, Ana s’est redressée d’un bond, elle lève les fesses, les caresse, les époussette. C’est décidé : elle va lui parler, elle n’a rien à perdre. Le « non », elle l’a déjà.

Jour 7 : Moucharder

UN CRIME ODIEUX 

Nathan fixe le mur ; Nino le lino froid du sol. Le proviseur sonde les deux garçons, la lenteur comme arme terrible, le silence qui tire l’aveu. Dans le creux des paumes de Nathan, la sueur ; pourvu que Nino ne moucharde pas. — Je répète, reprend le proviseur, que faisiez-vous tous les deux dans cette salle sans surveillance ? Nathan sait que des rumeurs de drogue circulent ; Nino pourrait parler du trafic de devoirs. Mais leur crime est bien pire, et c’est pour cela qu’il n’en faudra rien dire. Car quand on les a surpris là dans cette salle, il n’était question ni de drogue, ni de devoirs, mais juste d’un doux baiser que Nathan a volé à Nino

Jour 8 : Ordalie

STÉPHANE A TORT 

Stéphane craignait d’avoir pris la mauvaise décision. Tout le lui disait, lui crachait à la gueule. La maussaderie du ciel, l’aigu du vent, la colère de cette voiture qui avait failli le renverser. Et si le ciel avait raison ? Pourquoi partir, au fond ? C’était ce qui lui disait sa collègue Géraldine qui ne comprenait pas sa folie. Que ferait-il au Brésil ? Elle n’avait d’ailleurs pas le temps d’en discuter. Et depuis son annonce au boulot, Stéphane sentait qu’il avait peu à peu disparu du décor. C’était son ordalie à lui, tous ces petits ennuis, la boîte au pied de son bureau, le CV de son remplaçant qui trainait, le rendez-vous de Julie au moment du dernier déjeuner, la solitude. Mais sa décision était prise.

Jour 9 : Scorpion

JULIETTE CHARGE 

Bastien n’y croit pas. Il a beau être direct, indomptable, énigmatique, comme Juliette liste ses qualités, il pense que ça n’a rien à voir. C’est ce qu’il dit alors que dans ce couloir de la fac, Juliette lui assure que si, il est Scorpion en tout, sa silhouette, son regard, son mystère. Pour Bastien, c’est du baratin tout ça, mais Juliette est si belle que Bastien acquiesce. Juliette raconte qu’elle est Taureau, qu’elle aime les bonnes choses, les matins sous la couette, la chaleur de l’autre. Bastien réplique qu’il est peut-être Taureau alors. Mais soudain, Juliette fulmine, Bien sûr que non, toi tu mords, moi je fonce. Tu fonces, toi ? Et en guise de réponse, Juliette le charge et colle ses lèvres aux siennes.

Jour 10 : Gourmandise

SOPHIE SOLEIL 

Parfois il faut s’écouter ; c’est ce que Sophie a fait. Elle s’est dirigée vers la gare. Elle y a pris un billet, rejoint le quai et est montée dans la rame. Derrière la vitre, les paysages lui soufflaient qu’elle avait raison, mais sa tête en effervescence lui hurlait de revenir. Heureusement, à mesure que les heures passaient, cette voix intime s’épuisait. Lorsque Sophie est descendue, on voyait à son pas assuré qu’elle connaissait le chemin. Sophie a senti sur ses joues la fraîcheur rassurante du vent. Elle a marché une vingtaine de minutes, puis s’est postée sur ce rocher, là, en face de cet océan où elle admirait sa gourmandise folle, ce bonbon de soleil qui se couchait comme Sophie était venue enterrer sa peine.

Jour 11 : Adamantin

LA CHEVALIÈRE DU PÈRE

Christophe l’avait toujours vue au doigt de son père cette chevalière. Celui-ci ne l’ôtait jamais, ni pour les caresses, ni pour les gifles. C’était sa marque, son sceau, la preuve d’une filiation heureuse et héroïque. On demanda à Christophe s’il souhaitait la retirer lui-même. Christophe dévissa l’anneau, mais tandis qu’il lamentait en lui la froideur du cadavre, il glissa la chevalière à son propre doigt, s’étonnant de la correspondance des tailles et de l’énergie adamantine qui d’un coup irradia sa main. Comment était-ce possible ? Par peur, il couvrit l’objet de son autre main et se redressa. Lorsque l’on referma le cercueil, Christophe souriait. Son père n’y était plus ; il était avec lui.

Jour 12 : Cariatide

COUP DE POUCE 

Il est tard, la nuit ivre, les étoiles pétillantes, et sous le drap animé du ciel, Jules et Julie se frottent, le froissement des vestes comme seul bruit de la rue, les respirations saccadées. Personne ne les voit, ces deux amants collés à ces vieilles pierres. Personne, à l’exception de cette statue qui les observe d’un mauvais œil. Mais Jules et Julie sont à une tout autre affaire. Or cette cariatide n’en revient pas, elle qui, en plus de porter son édifice, doit supporter les répugnances nocturnes d’amants saouls. Ils pourraient aller faire ça ailleurs. Et si elle désobéissait au protocole pour une fois ? D’un coup alors, elle tend son pouce dans la nuque du jeune homme. Le couple sursaute et, sans comprendre, décampe.

Jour 13 : Rassembler

VINCENT DÉSIRS 

Vincent est venu chercher des écouteurs mais Vincent n’a pas d’argent, Vincent casquette et survêt’. Peu importe, Vincent passe le seuil du magasin, déboule devant le produit, en saisit une boîte, la retourne, la serre. Il y a du monde, le vigile ne l’a pas vu. Mais au moment où Vincent s’apprête à fourrer la boîte dans son gilet, son regard s’arrête. Aurélie ? Vincent n’y croit pas. Comment peut-on gérer deux désirs à la fois ? Vincent hésite. L’occasion est trop belle. Vincent rassemble son courage, repose l’objet et s’élance vers Aurélie quand, de nulle part surgit un type qui s’approche d’elle, l’enlace, l’embrasse sur les lèvres. Dégoûté, Vincent s’arrête. Même ses écouteurs, il va les laisser.

Jour 14 : Saturne

FIN DE SATURNALE 

Il boit, il fume, il bouffe et dépense toute sa thune. Gregory sait qu’il est sur la mauvaise pente, mais depuis sa rupture, plus rien n’a de goût. Des vents terribles noient sa peine. Il cherche l’acide de la douleur pour panser la plus grande, le bord du précipice pour toucher la limite. Or la nuit dernière où sa débauche l’a fait dormir sur un banc public, une puanteur l’a soudain réveillé. C’était un vieux qui lui demandait de se pousser. En voyant l’homme défait, Gregory a eu une vision : voilà ce qui te guette au bout de ton effrénée saturnale. Choqué, Gregory est rentré chez lui et s’est dit, Allez, j’arrête tout, j’arrête mes conneries.

Jour 15 : Talisman

ADRIEN N’A RIEN 

Au milieu des étudiants fortunés, des ordinateurs dernier cri, des chaussures toujours blanches, il y a Adrien. Adrien n’a ni fortune ni ordinateur, et ses tennis feraient honte à n’importe quel parent attentif. Or ce serait mentir de dire qu’Adrien s’en fout de ne rien avoir. Mais Adrien n’a pas rien : il porte avec lui l’intelligence. Souvent en classe il lève la main, brille par ses remarques, malgré la vétusté de sa veste, la maigreur de ses membres, les trous sur son sac. « Tu devras bosser, fils, plus que les autres. » lui a soufflé son père juste avant de s’éteindre. Ainsi Adrien suit chaque jour sa route, avec dans le poing fermé de son esprit, ces mots-talismans qui guident sa petite vie.

Jour 16 : Pourpre

PATRICIA N’ATTEND PAS 

Patricia pose le rouleau de scotch, s’essuie le front. Cela fait deux heures qu’elle emballe ses affaires, comme si c’était la course, que sa vie en dépendait. Elle n’a pas tort : dans deux jours, elle rendra l’appartement. Anthony qui y vivait avec elle a déjà pris sa part. Mais pourquoi est-elle si pressée ? Après les cartons, c’est la solitude qui l’attend. Comme celle de sa mère après son divorce. Comme celle de sa grand-mère à son veuvage. Les femmes sont-elles condamnées à mourir seules ? Puis soudain, son regard se pose sur un bout de tissu pourpre qui dépasse de la pile du lit. C’est un foulard. Patricia le porte à ses narines ; il sent Marc. Marc attendait qu’Anthony parte. Patricia ne veut plus attendre.

Jour 17 : Subrepticement

ELSA PREND

Elsa n’est pas une voleuse ; elle a faim. C’est peut-être pour cela qu’elle marche si vite dans les couloirs de cette villa, comme on fuit la police. On pourrait croire qu’elle s’est perdue, Elsa, et si on l’interrogeait à ce moment précis, Elsa ne saurait pas répondre. Le souffle court, la gourmandise au corps, elle est tout entière à son estomac, filant subrepticement entre les pièces jusqu’à une lourde porte en métal. En la tirant, Elsa croirait ouvrir le coffre d’une banque, mais c’est celle d’un réfrigérateur. Après tout, quelle différence ? Et sans attendre, Elsa se sert comme on dépèce le ventre d’une bête en s’étonnant que le bonheur soit aussi aromatique. Elsa vole et s’en va, comme on vole les rois.

Jour 18 : Soupirer

JEAN SOURIT 

Ce n’est pas que Jean soit lent et vieux, c’est qu’il ne voit rien. Et la caissière a beau avoir compris qu’il ne voyait rien le bonhomme, avec sa canne et ses lunettes de soleil en plein hiver, elle n’a aucune patience. Or Jean entend tout. Jean entend quand elle soupire tandis qu’il cherche ses billets. Jean entend aussi le froissement des clients pressés qui le précèdent. Jean entend mais-il-voit-rien-le-vioc. Il entend tout, Jean, mais il ne dit rien. Heureusement qu’il ne voit pas. Et au milieu de ce brouhaha d’ignominies, alors qu’il tend la main pour récupérer sa monnaie, Jean offre un grand sourire. C’est sa manière à lui de contrer l’obscurité du monde. Une manière de voir.

Jour 19 : Citrouille

MARGOT K.O. 

Elle est si timide, Margot, qu’elle perd souvent tous ses moyens. C’est parce qu’elle lutte sans cesse contre ses désirs. Or son corps en a marre ; il va lui faire savoir. Au rayon primeur de son supermarché, Margot reçoit un « bonjour » qui la tend tout entière. C’est le beau Yann du bureau qui est là par hasard. Margot rouge bafouille, au milieu des poireaux et des citrouilles, « Qu’est-ce que tu… bah… oui, enfin, bonjour… ça va ? » Yann calme lui sourit. Et d’un coup, lâcher-prise, son corps prend le contrôle, Margot dit : « Je voudrais boire un verre avec toi. » Yann s’étonne, mais pas plus que Margot qui se demande qui a pu prononcer ces mots. - Quand tu veux, répond Yann. Et Yann O.K. repart, laissant Margot K.O.

Jour 20 : Banquise

ROSE FLEURIT 

Dans la vie de Rose, il n’y a pas grand-chose, qu’une jachère morose. Son travail administratif, son régime hypocalorique, sa routine triste. Son existence est d’ailleurs si vide que Rose se demande à quoi ça tient, tout ça, ce rien qui lui arrive. Jusqu’à ce matin où au boulot débarque une jolie fille. Or Rose n’est pas indifférente aux corps féminins, si bien que quand la porte de son bureau s’ouvre, Rose le sait, le sent, sa banquise qui craque, le tsunami qui point, l’amour qui à sa porte frappe et vient l’éclabousser, « Rose, enchantée. » Et en elle soudain se met à chanter l’herbe de son jardin, comme si cette nouvelle collègue était l’engrais, comme si la vie partie revenait, comme si Rose allait enfin pouvoir fleurir.

Jour 21 : Éperdu

LOUISE GAGNE 

Et si Louise le laissait gagner ? C’est un homme si doux, Philippe, si charmant aussi. Louise lève haut sa raquette, frappe dans la balle et l’envoie fort dans le filet. L’homme s’étonne, mais saute d’une joie si sincère que Louise en est touchée. Qu’y a-t-il de plus beau que nos proches heureux ? - C’est la première fois que je gagne, qu’il dit, la première de ma vie ! Et Louise lui sourit tandis qu’il court vers elle bras ouverts, le regard dubitatif, Tu l’as pas fait exprès, non ? Mais Louise ne peut pas lui avouer, comme elle ne peut pas lui dire que depuis qu’elle l’a rencontré, elle s’est laissé happer par sa beauté, son énergie, sa verve, Louise éperdue hantée, Bon alors, j’ai vraiment gagné.