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Fiji

Il y a 1 an | 505 vues

Max

Mama mia. Qu’est-ce que j’ai mal dormi !
Non, en fait pas assez. Quatre heures ça ne me suffit pas, j’ai les yeux collés et les oreilles écorchées avec ma foutue alarme qui braille.
J’aurais dû oublier gros Jack et son au resto hier soir. On a fini à la vodka. Certainement pas une idée de génie et ce matin ça tape dans le crâne.
Gros Jack. Sérieux. Une vraie caricature ce surnom. D’ailleurs lui aussi c’est un ersatz, une pale copie de mafieux. Je ne devrais pas lui faire confiance.
Bon, pour l’instant c’est lui qui me file du boulot, alors pas question de faire la fine bouche.
J’extirpe un bout de papier de mon pantalon qui traine par terre. Il m’a dit, « trop de traces avec le numérique ».
Il ne dit pas que des conneries gros Jack.

Il me faut une caisse, je vais pas y aller à pied. C’est à l’autre bout de la ville cette adresse.
Les rues s’étalent devant moi. Toutes ces bagnoles qui m’attendent, juste à me baisser pour choisir. Mais je ne vais pas me servir ici, il faut que j’aille un peu plus loin.
Ça me laisse un peu de temps pour m’en griller une. Je tire aussi fort que possible pour que le tabac prenne et je relache en voyant le bout incandescent crépiter. La première bouffée c’est la meilleure. C’était pareil pour mon premier contrat.
En levant le nez, je ne peux pas m’empêcher de remarquer le lever du jour. C’est marrant le soleil rouge de ce matin, aussi flamboyant que le bout de ma clope.
Je me sens une vraie âme de poète.

Finalement je n’ai pas mis longtemps, pas d’embouteillage. Pas de flic non plus.
J’abandonne la bagnole dans un coin plutôt caché, faudrait pas qu’elle soit repérée trop vite.
C’est un chouette quartier, y en a qui s’emmerde pas.
Gros Jack m’a dit « tu verras, c’est la plus belle maison en haut de la butte, tu peux pas la rater ».
Je suis en bas de la route et je lève la tête pour regarder au loin. Putain, elle est tout en haut. Elle se détache devant le ciel zébré de cirrus. Je ne sais même pas comment je connais ce nom.
Devant s’étale un immense jardin qui finit sur un chemin avec un important portail au bout. Faut que je rentre, que je traverse tout et que je me pointe sans me faire repérer. C’est pas gagné.

J’ai bien regardé et bizarrement pas de caméra, pas de chien ni de garde à l’entrée non plus.
Étrange. D’habitude, il faut toujours que je règle leur compte vite fait à quelques empotés. Mais là, rien.
Je me dis que je suis en veine aujourd’hui, alors je tente la grimpette tranquillement sur l’allée.
Bon je reconnais, sans bruit quand même, il est tôt. Et avec mon arme à la main, je voyage léger, juste mon meilleur ami et son silencieux.
Les bordures sont vraiment trop bizarres, jonchées d’obsidiennes. Ça donne un air sombre au chemin, un air lugubre.
Concentre-toi Max, c’est toi la terreur. T’es là pour buter le type, pas pour flipper devant quelques caillasses.

Je voulais le surprendre et arriver tôt, mais là il n’y a aucun mouvement, pas de son pas d’image. Pas même la moindre lueur à travers la baie vitrée.
Je longe un peu les murs et c’est n’importe quoi jusque dans la vasque devant l’entrée, les fleurs ne bougent pas. C’est quoi ce bordel ? Des coquelicots en métal. Ils ne savent plus quoi inventer les richtos.
Elle n’est pas habitée cette baraque ou quoi ?
Gros Jack m’a déjà mis sur des plans foireux, mais là, ça ressemble à un foireux en promo.
Aucune fenêtre ouverte, pas de porte vitrée sur l’arrière et rien pour crocheter. Pas envie de fracasser la baie, ça ferait trop de bruit.
Je vais me planquer dans un bosquet et attendre un peu.

J’ai l’impression que rien ne va se passer. D’ailleurs, même le soleil n’a pas vraiment bougé et je n’aperçois rien du côté de la rue, comme si le temps s’était arrêté.
N’importe quoi, un vrai lion en cage, ou un poisson dans son bocal, au choix. Je fais des cercles dans ma tête là, ça tourne pas rond.
Après poète, humoriste maintenant. Je suis en forme.
Je mate ma montre et constate que ça fait déjà une heure que je planque. Si c’est un lève tard je suis mal. Gros Jack m’a dit qu’il ne partait jamais de chez lui, ni la journée, ni la nuit, ni le weekend ou les vacances. Une vie de bagnard dans sa prison dorée.
Je suis une teigne quand je m’accroche. Il va bien se montrer.
Faut que je fasse gaffe, je pourrais me rendormir.

Quand j’ai demandé pourquoi fallait le dégommer, gros Jack m’a dit d’arrêter de poser des questions. Mais il n’a pas pu s’empêcher de raconter. Quelqu’un avait mouchardé que ce type avait des infos sur beaucoup de gens. Il était devenu persona non grata d’un claquement de doigts.
C’est ce qu’il avait fait d’ailleurs. Non, ce qu’il avait essayé de faire en frottant deux de ses saucisses boudinées qui pendent au bout de ses grosses paluches. Il n’y avait pas eu le bruit, mais le geste y était !
Je me marre tout seul comme un con en guettant.
S’il fallait flinguer tous les gens qui savent des choses, y aurait du boulot. J’ai ma liste aussi.
En attendant, c’est désespérant, il ne se passe r…
Eh ! c’était quoi ce bruit ?

Silence. Bouge plus Max.
C’est probablement un animal qui passait en courant pas loin. Bizarre.
Je reste à l’affut. Je ne respire même presque plus.
Ma mère me disait souvent que j’étais têtu et violent. Elle me répétait que je foutais toujours la merde, que même si on me soumettait à l’ordalie, Dieu préfèrerait se cacher. J’ai jamais su ce que c’était ni ce que Dieu venait faire là.
Sauf que c’est qui le dieu maintenant, hein, c’est qui le boss qu’on craint ?
Plus rien, le silence est de retour. C’est impressionnant d’ailleurs. OK on est un peu à l’écart, mais en haut de la butte. Je devrais entendre les voitures au loin. À cette heure-ci, le rush des nazes pour aller au taf a dû commencer.

Le temps a complètement changé, il fait gris. Ça aussi c’était imprévisible. Je lève la tête et des nuages sortis de nulle part recouvrent tout. Il faut que je bouge.
Toujours aucun mouvement du côté de la maison. J’y retourne, on ne sait jamais.
Le bas de mon pantalon vient de s’accrocher dans le buisson et j’aperçois mon tatouage. J’en ai un peu de partout, sauf que celui là il est spécial. C’est un scorpion, il recouvre tout mon tibia.
Il me rappelle le jour où j’ai buté l’enfoiré de mari de ma sœur. Il lui faisait du mal. Bon, elle lui en faisait aussi, mais c’est pas pareil. La bestiole a eu raison de ce vantard. Elle n’a jamais su que c’était moi.
Mais le délire ! J’ai l’impression qu’il bouge quand je le fixe.

Je marche toujours à couvert, et me retrouve au bord d’un bois. C’est quoi cette histoire, je suis clean pourtant ce matin. D’abord le tatouage qui bouge maintenant ces arbres, je me fais un trip là ?
J’essaie d’avancer, mais sans prévenir, je m’emmêle les pattes. Je glisse et ma tête explose contre le sol.
Enfin, je crois que c’est ça qui s’est passé.
Plus aussi certain de cette version lorsque je rouvre les yeux. Impossible de remuer. Je suis dans une pièce, mains et pieds attachés.
— Ça y est, notre cher Max se réveille.
Debout devant moi, c’est carnaval avec papa, maman et leurs gosses loups. Je rêve ou j’ai l’impression que le petit me mate avec gourmandise ?
Mais non, je suis con, c’est Halloween.

Nom d’un chien, c’est quoi ce sourire adamantin qu’il affiche ce gosse ? Il ferait presque peur s’il n’avait pas ce déguisement grotesque. On dirait une boule de poile recrachée par un chat. Non. On dirait un animal mal peigné avec des dents pointues. Nase. Quand j’étais jeune, je terrorisais les passants rien qu’avec mon drap de fantôme. C’est pas le costume qui compte c’est l’attitude.
Je vais lui montrer. Je le fixe avec mon pire sourire en coin. Même mon beau-père prétendait que je lui foutais la trouille quand je le regardais comme ça après mes conneries. Il me dérouillait encore plus. Ça s’est mal fini pour lui.
— Papa, on va bientôt jouer ?
Il parle la peluche. Trop mignon.

— Attends un peu, petit impatient. Il faut qu’on lui explique les règles d’abord.
Je n’avais pas vu la déco de la pièce. Un peu kitch quand même.
Je dois évaluer le boulot à faire. Le père, balèse, a les épaules deux fois comme sa femme qui n’a déjà pas l’air d’une freluquette. La fille se cache, je l’aperçois à peine, mais le pire c’est le fils. Lui continue de me fixer et visiblement je ne lui fais pas peur.
— Monsieur Max, vous appréciez l’ambiance ? Ce décor, ces cariatides magnifiques… Elles sont d’époques, vous savez, elles appartiennent à ma famille depuis des centaines d’années.
Je m’en contrefous de ses statues. Je vais me libérer et finir le boulot. J’espère que je ne serai pas obligé de toucher aux gosses. Mais s’il faut…

— Nous n’avions pas prévu de nous rassembler si tôt. Vous êtes un matinal.
Il s’approche légèrement de moi, assez pour que je remarque une sale lueur dans ses yeux. Sacrément imposant avec sa mâchoire de dingue.
— J’imagine que vous ne nous vouliez pas du bien à en croire votre arme.
T’imagine bien pépère. Mieux vaut me taire pour l’instant.
— Vous n’êtes pas venu ici par hasard et je préfère ne pas connaître celui ou celle qui vous envoie. Visiblement c’est quelqu’un qui ne vous aime pas. Tout le monde sait qu’on ne rentre pas chez Lupus.
Merde merde merde. Qu’est-ce qu’il se passe là ? Joue les idiots Max !
— Maitre Lupus ? Il doit y avoir une erreur. Je peux vous expliquer.
— Hum… non.
Gros Jack tu t’es bien foutu de moi !

Maitre Lupus le sauvage, si vous l’avez sur le dos vous êtes foutu.
— Maitre Lupus, je vous promets que…
— Taisez-vous !
Il vient de hurler avec sa voix grave. Y a pas grand-chose qui me terrifie, mais là je ne suis pas loin de me pisser dessus.
— Aujourd’hui, la lune est proche de Saturne. Très joli à regarder pour qui connait.
Mais qu’est-ce qu’il me veut ? Plus rien à perdre.
— Je n’aurais pas accepté le contrat si j’avais su que c’était vous.
Je crois que je n’ai jamais entendu des rires aussi synchro. Ils se mettent tous à ricaner en même temps. C’est macabre.
— Tu m’étonnes… Il fallait réfléchir avant mon cher Max. Mais je suis joueur, et grand prince également.
Je dois vider ma tête. Pense survie Max, pense survie.

— Papa, on peut y aller maintenant ?
Sa femme attrape le gamin par les épaules
— N’interromps pas ton père quand il parle travail mon chéri.
On parle boulot là ? C’est mal engagé pour moi.
— Je propose un jeu.
Il en fait des caisses et il me saoule avec son air théâtral. Et maintenant, le voila qui tire un collier de sa poche.
— Mon fils a une très grande envie de s’amuser avec vous. Le problème c’est qu’il ne connait pas sa force. Ce talisman devrait donc vous protéger à condition de l’avoir sur vous.
Il se tourne vers la porte.
— Nous allons tous sortir, et je vais le jeter au loin devant tout le monde. À vous de le retrouver avant qu’il ne vous attrape.
On nage en plein délire maintenant. On retombe en enfance. Est-ce que j’ai le choix ?

Ce foutu jardin baigne dans une couleur pourpre étrange, presque trompeuse. Là je ne vois même plus l’extérieur de la propriété. C’est bien la maison, je reconnais les fleurs de métal, mais on dirait qu’on est perdu dans les bois.
Je suis coincé entre sa femme et sa fille qui me tiennent chacune par un bras. Une sacrée poigne la gamine d’ailleurs, rien à envier à sa mère.
Lupus s’éloigne un peu, sourit et jette violemment le collier, vraiment à perte de vue. Je le vois retomber au milieu des arbres. Pas besoin de plan, j’ai toujours retrouvé mon chemin.
Gros Jack espèce d’enfoiré, dès que je me suis barré d’ici, je te jure que tu es le prochain sur ma liste. Je vais te faire regretter de m’avoir envoyé chez les cinglés.

Le gosse trépigne en regardant tour à tour son père et sa mère.
— Approchez Max, approchez.
Là je crois que je n’ai pas le choix. Je suis tout près de lui et il fait un truc bizarre, il me renifle. J’ai vraiment tout à apprendre de ce gars, il me les fout total à zéro.
— Il y en a qui adore l’odeur du café le matin. Moi j’aime celle de votre peur.
Le petit se glisse subrepticement à côté de moi pour me flairer à son tour.
— Ne triche pas mon fils, place-toi de ce côté. Quant à vous Max, nous allons voir si vous savez faire les bons choix. Essayer de trouver la sortie tout de suite ou retrouver le talisman d’abord.
Il tient son rejeton par les épaules. À ses yeux jaunes et son sourire carnassier, je crois que je viens de comprendre.

La panique ne fait pas partie du job. La seule pensée qui me vient en ce moment, c’est cette foutue vodka que je n’aurai pas du boire. J’aurais pu courir plus vite.
D’ailleurs je n’attends pas son ordre, je soupire un grand coup et file direct comme un dératé en direction du bois. J’entends juste le son de sa voix derrière moi.
— Choisissez monsieur Max, mourir ou nous rejoindre.
Franchement je ne comprends pas ce que ça veut dire et je m’en contrefous de son petit jeu. Je me tire.
— Ma fille veut participer aussi, vous n’y voyez pas d’inconvénient ?
Je n’entends plus que leurs ricanements au loin.
Max, rappelle-toi la fois où t’as flingué le padre du clan de la muerte. Ils étaient tous derrière toi. Tu fais pareil, cours et t’arrêtes pas.

Pas facile de bouger dans ce bois. Les arbres et les ronces s’entremêlent tellement par endroit que je dois constamment contourner ou sauter.
Ça y est, je les entends à mes trousses. Lupus a lâché ses deux chiots. La vache, ils hurlent et aboient comme des vrais. J’en viendrai presque à regretter quand les gamins se déguisaient en citrouille.
Je ne m’y attendais pas, mais j’aperçois ce foutu collier, à quelques mètres. Te retourne pas Max, perd pas de temps.
Les grognements sont de plus en plus près.
Je touche enfin au but quand je les sens s’affaler sur moi.
— Première, j’ai gagné !
— Non, t’as triché c’est moi.
Tout à coup, j’entends Lupus s’approcher.
— Vous avez échoué tous les deux les enfants. Max tient le talisman.

— Salut Jack.
Là, il ne s’y attendait pas. Ça me fait du bien d’observer sa tête de limace effrayée. Il est avachi sur sa chaise comme un éléphant de mer sur la banquise.
— Max ? Quel plaisir !
Bien sûr, je vais te croire.
— On t’a cherché partout tu sais, mais t’avais disparu.
De pire en pire. S’il y a bien un truc que je déteste, c’est le gros mensonge. Les petits je dis pas, quoi que. Ma fiancée se le rappelle, enfin, non. Elle ne se le rappelle pas, elle peut plus.
Je lui offre mon nouveau sourire.
— T’as changé ! T’es plus costaud et… poilu.
Je m’installe en face de lui.
— Tout ça c’est le résultat du dernier job que tu m’as donné enfoiré.
— C’est pas moi je te jure. C’est les patrons, c’est eux qui trouvaient que t’en savais trop.

— Je ne travaille plus seul maintenant.
— Ah ?
Il a du mal à déglutir, c’est drôle.
— Non, je me suis associé. Je bosse avec Lupus.
J’ai à peine fini ma phrase que le voilà qui retourne tout et détale comme un lapin. Tout vole sur son passage.
— Abandonne Jack.
Je le vois qui tente d’atteindre la sortie et ça me fait marrer.
— Pas la peine de partir dans cette course éperdue, je vais t’attraper, tu le sais Jack.
Je me redresse et bondis par-dessus les tables renversées. Je me sens tellement bien, c’est encore mieux qu’avant.
J’atterris sur son dos et l’écrase au sol. Il rampe, mais fini par se retourner et me fixe effrayé. Je lève ma main pour lui montrer mes griffes acérées.
J’ai tout mon temps pour me venger, même l’éternité désormais.