Retour à l'espace passion
visuel principal de la chronique

Publié par :

TOFPOLAR

Il y a 4 mois | 222 vues

LA POUPÉE DES CONTREFORTS. ( Textes et illustrations) )

 

 editor_upload_638076825c4d22.01150865image.png

 

 

  Ariège. Entre épineux et feuillus, le village d’Orqui reposait dans un nid douillet au creux de la vallée. Endormi sous ses toits ocre, nul ne semblait bouger depuis longtemps, chaque siècle reposant sur l’autre. Un lieu de calme et de beauté, ou rien n’est superflu, un accord subtil avec la nature.

Sur les hauteurs escarpées, le soleil frappait la pierre, parant les roches d’une couleur chaude et dorée, une vibrante aquarelle d’ombres et de lumière... Une légère brise parfumée de potentille et de gentiane firent frissonner le nez du chien. Le berger dressa ses oreilles dans un léger grognement. Les deux gendarmes prirent place à l’ombre d’un sorbier géant. Pierrot sortit sa gourde quand soudain, une voix puissante vint taire le silence.

- Tu as entendu ? » dit Patus. Pierrot leva la tête en souriant.

-  C’est notre génie des cimes, la voix de nos ancêtres. 

-  La voix de Paulin, le guide de la tour, la seule visite de la journée. 

Patus prit ses jumelles aussi incandescentes qu’un charbon sur le feu. Face à lui ce dressait un pog, un pic rocheux, une échine de calcaire boisée de quelques bruyères et genêts. Il était coiffé d’une tour médiévale, telle une cheminée d’un ancien bateau de croisière, Moncajou, elle était la fierté pour toute la région. Une gouaille résonnait à travers cet ancestral vestige.

Au pied de la tour, le guide fit claquer sa langue, releva le menton sur sa maigre barbichette attendant qu’une poignée de touristes fassent silence. Vêtu de sa longue toile inspirée d’un moine cathare, il ouvrit grand la bouche et les bras, laissant apparaître deux magnifiques auréoles sous ses aisselles.

 

-  Oyez ! Oyez ! Gentes dames, damoiseaux, curieux et autres cirrus de passage… Pour vous servir et vous accompagner le temps d’un chemin de ronde, je suis Paulin, Sieur d’Orqui, guide et unique gardien de ce joyau édifié au XIIe siècle par un riche seigneur. »

Dans un étrange ballet opératique, Paulin pivotât sur lui-même, aussi souple qu’un roseau sur sa tige et revint vers son public, referma ses bras, laissant le premier rang à des vapeurs guère chrétiennes.

- « Hum ! Cette tour fut un refuge pour les légendaires cathares. Je connais par ce lieu, les terribles plaintes des cachots et les cris des vautours fauve, d’ailleurs, je vous conseille de ranger toutes nourritures, le bec d’un rapace pourrait se délecter de vos doigts et de leur précieuse obsidienne. Cela dit, ces soldats de plume veillent sur les créneaux. »

- « Bref, cette tour médiévale dressée sur son pog est haute de neuf cent trente huit mètres, deux mille marches à gravir pour la conquérir et embrasser le pays catalan d’un baiser rouge coquelicot. En son fait, une vue imprenable sur l’ennemi, des armées de blés murs et Mortecouille ! Les Pyrénées nous contemplent ! On ne se penche pas ! Merci. »

- « Cette tour est une Majesté qui ne connut ni bataille ni défaite lors des terribles croisades. Ce joyau devint un fabuleux repère pour brigands et malandrins, venus de terres voisines, cachés butins et rapines à la solde de rusés nobliaux. Mais le trésor ne fut jamais découvert ! Par Dieu ! Je m égare ! Je flagorne haut et fort ! Moncajou n’a qu’un cercle d’amis et sa beauté oubliés des livres… C’est parti, suivez le guide !

Non loin de là, les gendarmes avaient tout entendu.

- « Hé ! Il cause bien ton bonhomme ! dit Patus, la radio à l’oreille.

- « Bien reçu adjudant-chef, j’appelle l’hélico. »

Le regard de Patus quitta la tour de Moncajou.

- « Et merde ! Ils ont passé au peigne fin les gorges de la Rize jusqu’à la cascade. Négatif, chef. Un couple de randonneurs a été mouchardé à la presse locale, ils auraient retrouvé une trace de sang près du pont de Wissos. Info ou intox, deux brigadiers sont sur site. »

La gendarmerie recherchait Romain Mallet, 42 ans, moniteur de ski et guide de randonnée, disparu depuis deux jours. Ce dernier habitait Orqui, petit village au pied des Pyrénées ariégeoises. Romain était un guide expérimenté…

 editor_upload_6380771f317062.00504344image.pngeditor_upload_638077608c88d8.09923218image.png

Paulin descendait les dernières marches de la tour, une ordalie quotidienne pour ses pieds meurtris. Fier comme l'ultime hérétique, le dernier parfait chassa de son bâton quelques diptères volants, fragiles inquisiteurs d'un crépuscule. Le bruit d'un hélicoptère fuyait la nuit, puis un délicat battement d'ailes le fit sourire, Foc, son fidèle faucon pèlerin vint se poser sur son bras. Il perçut les lumières de la villa, "le Chalot", avec  l'espoir que son ami Romain soit de retour…

Aux dernières lueurs du jour, le massif du Scorpion et sa courbe venimeuse semblait se recueillir dans l’ombre.

Sur les hauteurs du village, cachée par les sapins, la riche demeure de la Comtesse Armande de Cajou-Beyssac était figeait par l’inquiétude. Philippe dit « Filot », l’unique frère de Romain était locataire et employé comme gardien du domaine nommé « le chalot », ainsi que Paulin l’orphelin, recueillit et adopté par la Comtesse. Tout les trois liés par une sincère et solide amitié. A l’heure d’accueillir leur amie Lilou pour les vacances, une certaine tension régnait en ce lieu…  

 

 

 editor_upload_6380778a93c721.64660965image.png

 

 

Au matin, un beau soleil baignait l’entrée du domaine et l’imposante statue, un ours en bois munit d’un fusil. A l’ombre de la terrasse, la comtesse sirotait un café, délaissant les délices sucrés et autres gourmandises. La lumière enrobait le grand salon, assit dans le canapé bleu, Filot fixait son Smartphone attendant un appel du Capitaine Béreau.

Le son d’un klaxon vint briser ce pesant silence. La comtesse poussa un soupir de bonheur. Lilou, la belle américaine était de retour. 

Laissant ses nombreux bagages, une grande blonde courait vers le « chalot » en criant : « Lady Armande ! Filot ! Paulin !

Lilou sauta dans les bras de la comtesse, sa tante adorée.

- « Comme je suis heureuse de vous revoir ! Vous êtes rayonnante Lady !

- « Merci ma Lilou, que tu es belle, tu as fait bon voyage... Paulin, par tout les Saints ! Reculottez-vous mon ami, ce n’est pas une tenue pour accueillir une princesse !

- « Désolé belle enfant, une de mes bretelles a du sauter de joie, c’est un plaisir de vous revoir… »

L’éclat de rire de Lilou laissant percevoir l’adamantin sourire de la jeune new-yorkaise.

- «  Alors Miss América, on m’oublie ? Siffla Filot venu à sa rencontre.  

Filot frissonna, la sculpturale silhouette de Lilou, une cariatide beauté de chair qu’un esprit divin, un artiste un jour de grâce avait fait offrande à la nature. L’émotion sans la séduction, juste le temps de s’émerveiller.

- « Wow ! Tu vas bien beau gosse ? dit-elle, le serrant fort dans ses bras.

- « Ouais, tu es pas mal non plus. Je suis si heureux de te revoir Lilou… »

- « Et Romain, tu as des nouvelles de Romain ? Le visage de Philippe se crispa.

- « Non Lilou. Il a disparu depuis deux jours. Mais c’est un guide expérimenté et  un grand sportif, nous gardons espoir. »

- « Viens ma chérie, tu vas tout nous raconter autour d’une tasse de thé, ton préféré, un Darjeeling aux notes fruités, fleurs d’oranger et sirop de vanille. Notre serviteur s’occupera à monter tes bagages, n’est-ce pas Filot ?

- « A votre service Madame la comtesse. 

 

editor_upload_638078409c3fe9.56725896image.png

 

  

Filot était un merveilleux jardinier, le talent pour marier les fleurs vivaces et les rustiques, rassembler les parfums et les saisons. Le parc bordé d’arbustes exotiques et de violettes agapanthes cachaient une table de pierre à l’ombre d’un parasol.

- « Ce thé est vraiment délicieux. Mais je suis inquiète Lady, la disparition de Romain est étrange. »

- « Nous avons suivi tous les sentiers et chemins de randonnées, aucune trace de lui, un accident est si vite arrivé. » glissa Filot, le regard lointain.

- « Béreau pense qu’il a pu être dévoré par les loups… Je ne confonds pas la cuvette des toilettes avec le bac à légumes ! »

- « Ce n’est pas ordinaire. » dit Paulin, le nez dans la pelouse.

 

editor_upload_638078a4ad9a57.72367904image.png

 

- « Bouducon ! Romain n’est pas un répoupet, bon sang ! Souffla Paulin le catalan. J’ouvre l’œil de la tour, en haut, je vois Jupiter, Vénus ou Saturne se bécotaient les soirs de pleine lune, rien de nouveaux sous les cieux, mais en bas, je vois des petits poulets qui courent partout, ils soulèvent même les pierres ! C’est dingue ! Bon, je file, j’ai une armée de nippons qui m’attendent pour attaquer la forteresse. Oyez les jeunes ! Je vous conseille un plongeon à la cascade, pour chasser vos vilaines pensées et vous remettre les idées en place !

- « Notre cathare a raison. Enfile ton maillot beau gosse, c’est parti !

 La cascade de la Vola était un endroit magique, un talisman pour chasser nos douleurs et tracas, un nid de fraîcheur caché des curieux. Un petit paradis au cœur d’un vallon. Une fontaine de jouvence aux reflets turquoise et d’émeraude, sage et renaissante. Les rayons du soleil dansaient à la surface de l’eau. Comme une invitation à la vie, une révérence à la nature.

- « L’eau, la lumière, c’est magnifique ! s’écria Lilou.

Après une baignade tonique et salvatrice, allongés au soleil sur un plateau rocheux, nous étions deux lézards au premier jour de l’été.

 

 editor_upload_6380792490bdf0.46467208image.png

 

Lilou se tourna vers moi, le pourpre cardinalice de sa culotte et ses joues rosies par la fraîcheur, ses yeux cachés derrière des cheveux mouillés, elle était belle, très belle. Je vis un sourire malicieux se dessiner sur sa bouche. J’attendais la suite avec impatience…

- « J’ai une très bonne nouvelle à t’annoncer et qui je l’espère te fera plaisir. Mon journal a accepté que je joue les reporters-photos sur l’Ariège et les Pyrénées durant trois mois en partenariat avec la dépêche. Alors mon Filot ?

- «  Non, tu plaisantes ? Mais c’est génial Lilou ! Waouh ! Génial !

Je ne pouvais résister, subrepticement je lui glissai un baiser au creux de son cou. Elle sourit, puis plongeât à nouveau dans un grand cri de joie. Je la regardais, si heureux qu’elle soit prêt de moi durant tout l’été. Sur le chemin du retour, Lilou s’émerveillait du décor de la vallée et sa faune. Elle souriait tout en étant songeuse. Je savais que la disparition de Romain tourmentait son esprit. Son absence, sa simple présence nous manquait. Lilou était journaliste, l’investigation son domaine. Elle me regardait, le sourcil froncé.

- « Avant de te rejoindre ici, pour quelle raison Romain a-t-il quitté la police ?

 

Filot aperçut le toit d’une ruche entre les hautes herbes, une abeille voltigeait de fleur en fleur, puisant de précieux nectars. L’interrogation de Lilou le fit soupirer. Un soupir de fiel et de miel.

- « C’est une bonne question, Romain est un taiseux, un montagnard. Un jeune officier de police travaillant à la Direction du renseignement intérieur, promit à un bel avenir, démissionne au retour d’une mission à l’étranger. Avec pour seule et unique explication, le souhait de retrouver ses racines et l’air pur des cimes. Quitter le monde du silence pour celui des sommets… »

- « Mais la disparition de vos parents dans un accident de voiture, ce drame vous a rapprochés. »

- « C’est vrai Lilou, il reste toutefois de nombreuses zones d’ombre…

           

Avec son amie « Citrouille », surnom affectueux donné par ses collègues pour la couleur des ses cheveux, guide et colocataire de Romain, Filot et Lilou avait arpenté les sentiers du Plateau de la Vaise jusqu’au refuge d’Izagou. Le capitaine Béreau et une patrouille avait survolé toute la journée les endroits ou il était susceptible d’avoir disparu. Ces recherches ne donnèrent rien. La journée aurait pu se limiter à une interminable attente, mais la soirée fut heureuse grâce aux anecdotes de Lilou. La nuit fut pénible, nous dormîmes peu.

 

 

 editor_upload_63807a04e31761.37800200image.png

 

Au matin, quelques cotons nuageux filaient dans un ciel azur. Paulin chassait un

caillou glissé sous sa semelle. Foc, son faucon pèlerin sur l’épaule, battait des ailes à la vue d’un planeur royal au dessus de la Rize. Il lui donna un petit coup sur le bec, signifiant l’arrêt des hostilités. Un aigle royal dans la vallée, c’était assez rare pour le signaler aux gars de la réserve.

Soudain le visage de Paulin se figea, aussi blanc qu’une banquise perdue dans un océan

 

- «  Par tout les Dieux ! Romain mon Dieu, Romain… Gémit Paulin, éperdu et tremblant.

Le corps de Romain gisait parmi les pierres, à moitié dénudé, les pieds et les mains attachés par des menottes en textiles entaillant sa peau. Son cadavre portait de nombreuses traces de torture, des lacérations marquées sur son torse et ses bras, le visage cyanosé par une puissante strangulation. Romain avait vécu l’enfer avant de mourir.

Paulin se laissa tomber à genoux, en pleurs, incapable de crier sa douleur. Malgré les larmes qui troublées sa vue, il perçut un papier qui sortait de la bouche tuméfiée de Romain. D’une main secoué par des spasmes, il réussit a retirer le papier ensanglanté et lut :

 

                                                               MA POUPÉE PEUT FERMER LES YEUX

 editor_upload_63807a41cdc154.65235076image.png