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Caroline7
Légende

Il y a 1 an | 213 vues

Les petits bonheurs du quotidien

« Bonjour à tous les auditeurs qui nous écoutent en ce lundi matin. Ce n’est pas le jour le plus réjouissant de la semaine pour beaucoup d’entre nous, le weekend est terminé et il faut retourner au boulot, mais j’ai deux bonnes nouvelles qui vont, je l’espère, vous mettre du baume au cœur.

La première bonne nouvelle est que nous sommes le 20 mars, ce qui veut dire que c’est le premier jour du printemps.

Et la deuxième bonne nouvelle : c’est aujourd’hui la journée internationale du bonheur. Là, vous me direz que ça vous fait une belle jambe de le savoir, mais que ça ne changera rien à votre humeur exécrable du lundi matin.

Je vais donc vous donner une petite recette pour cultiver votre bonheur. Car oui, le bonheur peut se cultiver et pour cela, rien de plus simple : il vous suffit d’ouvrir les yeux. Je m’explique : nous vivons dans une société dans laquelle tout va de plus en plus vite et nous ne prenons plus le temps d’apprécier les petites choses simples du quotidien, justement parce qu’elles font partie du quotidien. Nous ne les percevons plus. Il nous faut donc réapprendre à faire attention à tous ces petits moments pour ne pas y devenir insensible.

Je vous invite donc aujourd’hui, et même pendant une semaine à faire un test : chaque soir, vous allez noter dans un carnet trois choses positives vécues, constatées, entendues, ressenties ou même goutées, durant la journée et qui vous ont arraché un petit sourire, qui vous ont apporté un peu de bien être, même furtif… »

 

Mathias éteignit sa radio en râlant : c’est incroyable le nombre de conneries qu’ils peuvent raconter sur cette radio. S’ils passaient un peu plus de musique et un peu moins de blablas, on serait sûrement de meilleure humeur !

Il mit sa veste, attrapa ses clefs et sa besace, et sortit de chez lui avec l’air du condamné qui part à l’échafaud. Il n’aimait pas son travail, c’est un fait, mais c’était toujours mieux que d’être au chômage.

 

Arrivé devant l’arrêt de bus, il constata qu’une dizaine de personnes étaient déjà là. Il allait encore devoir faire tout le trajet debout, coincé au milieu d’autres passagers tous aussi ravis que lui de commencer cette semaine. Et quand viendrait le moment de descendre, il devrait s’extirper de cette masse pour atteindre la porte de sortie avec des « Pardon » ou des « laissez-moi passez, s’il vous plaît ». Cette étape lui faisait toujours penser à des sables mouvants contre lesquels il fallait lutter pour s’en extirper, avec la hantise de ne pas le faire à temps et de voir les portes se refermer et le bus redémarrer.

 

La première épreuve de la journée passée, Mathias enchaînait avec dix minutes de marche avant d’arriver dans les locaux de son entreprise. Il était lancé à bonne allure quand il aperçu un balayeur arrêté sur le trottoir, le menton posé sur le manche de son balai et regardant en direction d’un arbre. Par réflexe, ou curiosité, voire un peu des deux, Mathias s’arrêta et fit de même. Au milieu des branches fraîchement reverdies en ce début de printemps, un moineau piaillait joyeusement.

 

Quand il s’envola, le balayeur se tourna vers Mathias :

—      C’est une belle façon de commencer sa journée, lui dit-il en souriant.

Mathias, légèrement décontenancé, lui répondit :

—      Euh…, en effet…

—      Bonne journée, monsieur !

—      Bonne journée à vous aussi.

 

Le balayeur, toujours souriant, se remit au travail et Mathias reprit son chemin. Il s’était surprit à sourire lui aussi en souhaitant une bonne journée à cet homme, une sensation bizarre mais intéressante. Il repensa alors à ce qu’il avait entendu à la radio avant de partir, une pensée fugace et aussitôt éclipsée par le fait que l’on était lundi et que s’il continuait à rêvasser, il arriverait en retard à son travail. Il accéléra donc sa cadence afin de compenser ce petit contretemps.

 

Ce lundi ne dérogeant pas à la règle, Mathias enchaîna les réunions de travail, les dossiers urgents à traiter et les dossiers ultra urgents à traiter avant les dossiers urgents, le tout en répondant au flot incessant d’emails, tout en consultant son téléphone à chaque fois qu’il recevait une notification. Cette petite sonnerie lui donnait envie de prendre un marteau pour voir si son téléphone continuerait à l’# ?@% après deux ou trois coups sur son f@$*?§! écran. Cela dit, il n’avait pas de marteau. Son portable l’avait échappé belle !

 

La pause déjeuner arriva enfin et Mathias descendit s’acheter un sandwich au Food Truck qui stationnait devant son bâtiment. Comme par hasard, une dizaine de personnes formaient déjà une file d’attente devant le camion. Pourquoi fallait-il toujours que les gens aient la même idée que lui, au même moment ?

Il rejoignit donc la file, résigné, parce qu’il avait la flemme de réfléchir à un plan B.

Quand son tour arriva, au lieu de prendre son sandwich habituel, il décida d’en choisir un autre, pour tester. Et il ajouta un dessert. Et comme il faisait beau, il se dirigea vers le parc deux rues plus loin pour déjeuner. Il n’avait pas envie de manger devant son écran. Il lui était déjà arrivé plus d’une fois qu’un morceau de salade ou de jambon s’échappe de son sandwich et vienne claquer la bise à son clavier. Et nettoyer la sauce qui dégouline entre les touches n’est pas une mince affaire.

 

Il trouva un banc avec vue sur un petit étang en contrebas où se baignaient deux ou trois canards qu’il regarda quelques instants avant d’entamer son sandwich. Dès les premières bouchées, il fut agréablement surpris par le goût de la garniture, le croquant et la fraîcheur du pain. Il en savoura chaque morceau, terminant par le crouton du pain, la partie la plus croustillante. Elle lui rappela les batailles avec son petit frère, quand ils étaient gamins, pour savoir qui aurait le « quignon » comme l’appelait son père. Puis vint le dessert, un cookie au chocolat-noisette, et là aussi un délice dont il profita jusqu’à la dernière miette.

Mathias se sentait bien, détendu, allant même jusqu’à esquisser un petit sourire, chose rare pour lui, surtout en semaine. Puis il regarda machinalement sa montre. Son sourire disparu. Il allait être en retard à son bureau s’il ne se dépêchait pas. Il fit une boule avec les emballages de son repas qu’il jeta dans une poubelle à plus d’un mètre de lui. La « balle » atteignit sa cible sans même toucher les bords du « panier ». Yes, fit-il le poing levé en signe de victoire. Un geste d’à peine une fraction de seconde avant que Mathias ne reprenne son sérieux et sa démarche rapide pour sortir du parc en direction de son bureau.

L’après-midi fut la copie conforme de la matinée : réunions, dossiers urgents, dossiers ultra-urgents, et dossiers urgentissimes, à traiter pour l’avant-veille bien sûr !

 

A 18h, fin de la journée. Mathias était lessivé et n’aspirait qu’à une chose : rentrer et s’affaler sur son canapé devant la télé et ne plus en bouger. Mais il devait, avant ça, repasser par l’épreuve du bus, les gens entassés les uns contre les autres, les « fragrances » de fin de journée à laquelle toute tentative d’échapper est impossible, chaque centimètre carré du bus étant occupé.

 

Lorsqu’il descendit enfin du bus, Mathias respira un grand bol d’air frais. Il sentit alors une goutte s’écraser sur sa tête. Pourvu que ce ne soit pas une chiure d’oiseau, la journée avait déjà été assez pénible comme ça ! Puis se succédèrent d’autres gouttes et la pluie commença à tomber, d’abord quelques gouttes par-ci par-là, puis de plus en plus. Mathias ne s’y attendait pas. Cela faisait tellement longtemps qu’il n’avait pas fait une seule averse, il n’avait pas du tout pensé à cette éventualité. Il fouilla sa besace à la recherche de son parapluie, il n’était pas sûr de l’y trouver, cet accessoire n’ayant pas servi depuis un bon moment.

Il finit par le trouver et l’ouvrit. Il écouta le bruit des gouttes tombant sur son parapluie, ce bruit si familier. C’était un peu comme entendre une agréable chanson surgissant du passé. Il reprit son chemin jusqu’à son immeuble, sans se presser, au rythme des gouttes sur son parapluie.

 

Plus tard dans la soirée, avachi sur son canapé, Mathias regardait les infos à la télé quand le présentateur annonça qu’aujourd’hui était la journée internationale du bonheur. Un reportage de quelques minutes expliqua ensuite la notion de petits bonheurs quotidiens et Mathias repensa alors à sa journée.

Avait-il lui aussi vécu ou été témoin de ces petits riens du quotidien qui valent la peine d’être notés ? Il réfléchit un moment. Ce qui lui revint d’abord à l’esprit furent les moments désagréables, dans le bus, puis sa journée surchargée au boulot. Pas de quoi se réjouir de tout ça. Mais, dans ce cas, quel est l’intérêt de continuer à vivre comme ça?

Il tenta à nouveau de redérouler le fil de sa journée dans les moindres détails, et enfin, il trouva :

D’abord le chant de l’oiseau dans l’arbre, le sourire du balayeur et les quelques mots échangés avec lui ; ça pouvait compter comme un petit moment de bonheur.

Encouragé par ce premier point, il continua et refit le chemin vers le boulot dans sa tête, puis la matinée surchargée de travail. Non, rien de positif à tout ça.

A midi, la longue file d’attende devant le Food Truck n’avait rien eu d’agréable non plus, mais le repas de midi pris dans le parc et chaque bouchée savourée jusqu’à la dernière miette de cookie, si. Deuxième petit moment de bonheur.

L’après-midi fut aussi déplorable que la matinée, le trajet de retour dans le bus avec les effluves de transpiration d’un autre passager juste à côté de lui, n’en parlons pas. Et en sortant du bus, il a commencé à pleuvoir. Mais la pluie faisant des claquettes sur son parapluie était plutôt agréable. Troisième petit moment de bonheur. Le compte est bon !

Ce n’était pas grand-chose, mais se remémorer ces trois petits moments de bonheur lui fit du bien. La journée ne s’était pas si mal passée finalement.

Mathias décida de les noter dans un carnet. Il allait faire le test pendant une semaine, juste pour voir. Après tout, il n’avait rien à perdre et l’idée de commencer une collection de petits bonheurs quotidiens lui plaisait bien.

                                                                                             ***

La vie est pleine de petits bonheurs juste là sous nos yeux, à savourer au jour le jour. C’est peut-être ça la recette du bonheur avec un grand B.

 

 


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