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rose612
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Il y a 1 an | 237 vues

L'amour à la machine

La première fois que je les ai vu, c'était en décembre 2021. Je travaillais sur le chantier du palais des congrés et j’étais en retard de trois ou quatre boulons à souder. Il faisait presque nuit. Les mouettes avaient gagné leur quartier de nuit sur le terrain de rugby voisin. Ils avançaient calmement, côte à côte, sur le chemin qui bordait le chantier, deux silhouettes frêles, chuchotant, enfin je crois.

Soudain, ils se sont agités, ont regardé derrière eux, pour vérifier leur solitude et ils se sont embrassés tendrement. J'étais surpris, et curieusement ému. Ce soir là, quand je suis rentré chez moi , j'ai pris ma tendre Louise par la taille et j'ai posé un petit baiser dans son cou, "te-souviens-tu ma chérie, quand on se cachait derrière le platane du jardin de tes parents pour s'embrasser?"

Souriante, elle a répondu "ben dis donc tu es de bonne humeur aujourd’hui" Oui, j'étais en joie, une gaieté insufflée par ce petit couple sans doute "interdit" qui s'embrassait furtivement comme deux adolescents entre deux vagues de vacances d’été. Comme cet été là en 1977, au pays basque …, Anabelle, je crois,  elle avait un goût de piment et une odeur de vanille.

Quand je sortais de ma rêverie, Louise chantonnait. Elle chantonnait souvent, trouvant toujours une chanson de circonstance. Là, elle avait choisi « L’amour à la machine ».

« Passez notre amour à la machine, faites le bouillir, pour voir si les

couleurs d’origine peuvent revenir, est ce qu’on peut ravoir à l’eau

d’javel, des sentiments, la blancheur qu’on croyait éternelle avant”

Parfois, ses choix de chansons, ses associations d’idées laissaient entrevoir une Louise que je ne connaissais pas malgré 20 ans de vie commune. Ou une Louise que je ne connaissais plus …

En tout cas, ce jour-là, le choix était sans ambiguïté !

Nous avons mangé en nous racontant nos journées, je n’ai pas parlé des amoureux, peut-être pour garder cette pépite encore un peu en moi.

Vendeuse dans une boulangerie, Louise se levait tôt aussi m’a-t-elle laissé seul devant la télévision rapidement après le repas. Je me perdais quelques minutes dans des programmes animaliers puis je rejoignais la chambre. Je m’assis au bord du lit et je la  regardais dormir, (elle aurait sûrement chanté « comme d’habitude » , « sur toi je remonte le drap … »). Elle était brune, un peu ronde, des seins pulpeux, elle ressemblait aux brioches aux pralines de la boulangerie :  ronde, douce, moelleuse,parsemée de petits cristaux de sucre croquants. 

Et moi, sur ce bord de lit, j’étais diabétique... 

Je ne sais plus ni comment, ni quand, ni pourquoi c’était arrivé mais depuis quelques temps notre intimité était réduite à quelques baisers. De tendres baisers sages qui semblaient nous convenir à tous deux. A cet instant précis, je n’aurais pas su dire si je le regrettais.

Dans les jours qui ont suivi je n’ai pas revu le petit couple du chemin, ou bien je n’y ai pas prêté attention. Un soir, à la nuit tombante, j'étais perché sur une poutre de la structure du deuxième étage du chantier et  je les ai vu.

Ils avançaient côte à côte. La femme était agitée, elle parlait, gesticulait, l’homme l’écoutait, fixant le pas. Des bribes de conversation m’arrivaient, elle parlait de travail, je fus presque soulagé, ils ne se disputaient pas. Arrivés à l’endroit précis où je les avais vu s’embrasser la première fois, l’homme s’est arrêté, l’a prise par la taille et l’a embrassé doucement. Elle s’est figée sur place et semblait désormais calme et apaisée par ce baiser.

Ce soir-là en rentrant chez moi, j’ai posé un baiser dans le cou de Louise et je lui ai dit : je les ai revu

-qui donc ?

-mes amoureux du chantier

Je lui ai raconté, elle a souri,

-ils sont mignons, ils ont de la chance d’être jeunes

- oh non ! , ils ont la bonne cinquantaine !

J’attendais : « Les amoureux qui s’becotent sur les bancs publics , bancs publics , en foutant pas mal de r’gard oblique des passant qui passent… »

Mais dans un sourire insondable, elle a entonné : « que je t’aime, que je t’aime, que je t’aime »

 

Ce soir là, je l’ai suivi de peu dans la chambre, je me suis glissé dans le lit et je me suis blotti contre elle pour qu’elle ne s’envole pas. A partir de ce moment, le feuilleton de « mes amoureux » devint notre distraction du soir. Peu à peu, leur existence envahissait la nôtre, ouvrant le champ des possibles vers un renouveau fougueux.

 

La semaine suivante, j’étais assis sur le canapé devant un match de rugby quand elle est sortie de la cuisine. Elle portait des chips et une bière fraîche et elle n’était vêtue que de bas noirs, d’une culotte bleu nuit et d’un soutien gorge assorti. Jolies couleurs ai-je dit, surpris et ravi de ce petit jeu oublié depuis longtemps. Elle avait mis un peu de rouge sur ses ongles et un peu de piment dans ses yeux. Elle est venue s’allonger à côté de moi, sa tête sur ma cuisse, s’offrant ainsi à mes caresses distraites (l’affaire était grave ! Toulouse perdait !). J’ai grignoté quelques chips, des miettes sont tombées sur sa peau, je les ai récupérées avec ma langue…

Et j’ai planté là le stade toulousain. Nous avons fait l’amour goulûment, presque sauvagement sur ce vieux canapé. Il y avait tant de temps à rattraper ! Tant de fièvre à donner !

Ainsi, notre amour est passé à la machine …cycle “délicat”, essorage 2000 tours minutes, adoucissant : soupline : fraicheur marine


 


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