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rose612
Explorateur

Il y a 1 an | 179 vues

Le carnet de Max

J’observe assis tranquilou sur ce banc public, cette jeune femme qui prend un café à la terrasse. Elle semble attendre quelqu'un ….. sans l'attendre en fait …..

Elle est brune avec un joli minois, des lèvres fines mais vives et de grosses lunettes de soleil qui m'empêchent de voir ses yeux. Elle porte un jean et un sage chemisier bleu. Elle a des baskets blanches et des mini chaussettes. Nous sommes au mois de mai, le soleil tape déjà et elle attend. Elle jette régulièrement un œil vers la bouche de métro au coin de la rue, son rendez-vous doit sûrement venir en métro. Mais, il n'y a pas d'impatience dans ce regard. Entre deux "check", elle semble s’évader ailleurs, un petit sourire énigmatique éclaire alors son visage. Elle balaie l'espace du regard et croise le mien, une fraction de seconde elle s'attarde dans mes yeux curieux puis continue sa course.

Le voilà ! Le rendez-vous !  un mètre quatre-vingt, 45 ans, fringué comme un cadre sup, ils se serrent la main - un premier rendez-vous galant ? - Elle parle, immobile, rien en elle ne bouge, le gars s’énerve, gesticule. Et finalement pleure. Elle lui offre un mouchoir, il se lève titubant et s’en va. Elle ne semble ni affectée ni même concernée, poursuit son rêve une minute, retrouve son joli sourire et s' en va à son tour. 

Je m’appelle Max, je suis prof de maths à la retraite, j’aime regarder les gens dans la rue, dans le métro, au marché. Je les observe, je les décris dans mon petit carnet. J'ai une collection de personnages prêts à s’animer au cas où je déciderais d’écrire.

Certains sont là parce qu'excentriques, d' autres parce que pathétiques, d' autres énigmatiques et enfin d' autres parce qu'ils m' ont touché.

Cette petite demoiselle, ici sur ce banc, m’a intriguée  par sa façon d' être ici avec force et ailleurs l'instant d' après avec tout autant de conviction. Et puis, elle est jolie ! Sacrément même ! Elle est plus que jolie, l' air semble tourner autour d' elle, elle est une aberration dans ce monde de brutes, un être rayonnant de pure clarté.

Trop jeune pour moi ! Dommage, en d’autres temps…

Je l'ai noté dans mon carnet, je l’ai décrite précisément et puis …. je l' ai rêvée, fantasmée...

C'est le 14 juillet, mon anniversaire, je suis au bal assis à une table, elle, elle est deux tables plus loin. Elle a ce sourire étrange qui m'attire, elle est dans un rêve. Elle porte une discrète petite robe en coton léger qui me laisse entrevoir ses formes gracieuses. Elle est seule et attend comme au café. Mais là, moi je n'attends pas, je me lève et lui propose une danse. 

Puis-je vous proposer une danse ?

Elle se réveille, « oui »  et se lève pour me suivre sur le parquet. 

D' abord un rock, il faut toujours commencer par une danse éloignée pour apprivoiser une femme, ne pas l' obliger à se coller. Nous dansons, je la regarde, elle a de petits seins, une taille de guêpe qui renforce cette fragilité que je lui soupçonne. Elle ne semble pas très douée en rock mais tente de secouer son corps en rythme. Petit à petit, note après note , elle ne s'évade plus, elle est ici pleine et entière. Elle me regarde, m'osculte de son regard. Ses yeux ! Oh ses yeux ! Ils sont brûlants, scrutateurs, ils sont si profondément bleus ! Je ne peux les soutenir. Vient une danse à deux. Je m' approche, pose une main sur sa taille si fine et l’autre attrape sa main droite. Son épaule est contractée et maintient sa main au lieu de me la donner.

Trémolos, souffles du vent chaud et peut être un peu ma présence apaise ma belle. Je sens sa main lâcher , se poser dans la mienne, je sens la peau de ses doigts fins qui joue entre les miens. Sa paume s’abandonne et fond sur la mienne. Je l’approche de moi encore un petit peu et je sens le bout de ses seins. Je sens sa chaleur, sa moiteur (il doit bien faire 34° dans c't endroit). Elle se donne en deux mots : "aime moi", rougissante, vacillante. Nous quittons la piste de danse pour un moment d' intimité où je découvre son corps. A peine ai-je effleuré ses tétons qu'elle jouit d' un petit orgasme, elle n'a pas fait l' amour depuis longtemps, elle attendait peut être, je ne sais pas. Elle me caresse maintenant presque frénétiquement, et je pénètre son corps …. nous faire vibrer … nous unir …. 

Comme dans la chanson: " je l' ai rêvé si fort que les draps s' en souviennent"

Son sourire espiègle ! Son rouge à lèvre coquelicot ! Quel beau rêve elle m'a donné ! 

Moi qui ne bandais plus depuis que mon ange m' a quitté, voilà que j' étais guéri.

Je l'ai revue, lundi dernier, assise au même café et moi toujours sur mon banc. Elle attendait encore. Je suis allé m’asseoir à une table un peu en retrait pour l’observer à ma guise. Un homme est arrivé, jean, cravate, lunettes, je l’imagine bobo intello. Elle lui tend une enveloppe. J’entends des bribes de conversations "garde d’enfants", "infidèle", "juge", il s' énerve, le ton monte.

 En rage, il lève la main comme pour la gifler, mon sang ne fait qu’un tour, je bondis, je m' interpose, chevaleresque – maigre chevalier de 75 ans. Je crie " hola, t'arrête ça de suite !" Sans se tourner vers moi, sans une émotion, elle me tend une carte de visite :" merci, c'est très aimable à vous mais tout est sous contrôle, Monsieur s’en allait". Il prend l'enveloppe, se lève et tourne les talons.  Tout ce temps, elle a gardé les yeux rivés sur l’homme, redoutant une surprise, comme l’aurait fait un garde du corps. 

Je regarde la carte, il est écrit : Jeanne Moreau, conciliatrice spécialisée en divorce.

Et ben, je ne savais pas que ça existait ! 

Dans une froideur impeccable, elle me salue et s’en va, ne souhaitant visiblement pas entamer une conversation.

Voilà qui ira compléter mon carnet.

Cet ange que je rêvais si doux et fragile… je vais devoir le ré-inventer …

 


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