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rose612
Explorateur

Il y a 1 an | 182 vues

Attila-le-Hun

Il nous est arrivé en 2018 d' une cité balnéaire, il était brun, la mine ronde, avenante, d' allure athlétique. Un sourire aguicheur créé par des lèvres parfaites, charnues sans être envahissantes, légèrement pigmentées, méditerranéennes. De ses yeux noirs s'échappait une chaleur de braise et de vent du sud. Disons le tout net, c' était le plus beau gosse de l'entreprise, sans contexte ! Un de ces gars qui déclenche immédiatement la ritournelle " il était beau, il sentait bon le sable chaud , mon légionnaire". Rapidement, je le surnommais Steph-le beau. 
Dans nos rares réunions communes, je me laissais aller à le dévorer des yeux quelques instants. Je crois qu'il l'avait remarqué car il plongeait volontiers son regard dans le mien, pénétrant jusqu'à ma rétine de ses flammes animales, chopant au filet mon cortex tout entier. 
Au bout de quelques mois, il est apparu que, sous ses sourires charmeurs -oh ces sourires ! - se cachait un manager despotique et méprisant envers ses subordonnés, tous sexes confondus. Au moins, n'était-il ni misogyne, ni homophobe. Malheureusement Steph- le beau devint Attila le Hun. Des situations extrêmes de souffrance sont apparues : humiliation publique, dénigrement, acharnement… et j' ai dû intervenir auprès de sa hiérarchie pour attirer l' attention sur ses agissements. 
Quelques semaines plus tard, Attila et moi participions à une réunion. Il s' est approché de moi, avec un sourire d’ange … délicieux. Il s’est penché car j’étais assise et lui debout, il a placé son visage à cinquante centimes du mien : 
"Aaaah Madame Durand, comment allez-vous ?" 
Il m'a serré la main d'une poignée chaleureuse, vigoureuse, parfaitement manucurée comme à son habitude. Puis, il a tenté de pénétrer mes yeux... C’est incroyable tout ce qu’il peut se passer en une fraction de seconde, à quel point le temps peut être extensible parfois, à quel point notre cerveau peut accélérer ! Au lieu d’un bel Apollon, je n’ai vu qu’une bête malfaisante, obséquieuse, noire et tordue dans une caverne froide et sombre. Un mélange de colère, de refus absolu s’est emparé de moi, un instinct de bête. Nous étions deux dragons millénaires face à face, crachant nos flammes toutes ailes déployées. Elles se mêlaient, se confrontaient. Et, comme si l’air ne comportait pas assez d’oxygène pour les deux brasiers, il a suffit d’un rien pour que tout explose, éteignant son feu et laissant le mien victorieux. Là, j’ai fermé mes paupières comme pour marquer sa défaite. Quand je les ai rouvertes ses yeux étaient éteints. Plus rien ne les habitait. 
Je ne savais pas que cela était possible … Je ne savais pas que j’avais cette force en moi. Les images venaient peut-être du souvenir d’un film quelconque, simples illustrations, mais le vide dans ses yeux était réel, abyssal même … 
Un an plus tard, il est parti la mine sombre, la chemise boudinée par l' embonpoint, sans sourire et le regard vide. 
Quel dommage, il était si beau…


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