Un petit bonhomme sous un parapluie.

Comme en écho à la turbulence de ces bulles, comme les voir s'affairer, les espionner peut-être, il jouait avec sa boule à neige. Serait-elle la dernière , alors qu’elle était la réplique de la première ?

William la porta à hauteur de ses yeux face à la fenêtre qui renvoyait un ciel plombé. Si le ciel de Californie se préparait à lorage, d’un revers de poignet William fit tomber la neige, tel un maître du monde. Un instant bref, presque magique où l’ordre des choses ramène aux vœux de l’enfance. Dans sa première boule il y avait le père Noël, avec un sapin, un minuscule traîneau. Et il avait vraiment cru que quelque part , ce microcosme prenait la dimension d’une merveilleuse réalité. Combien de fois ne l’avait-il pas agité, retourné pour laisser vagabonder ses rêves. Et puis il y avait eu les autres…

Des voyages toujours sous tempêtes de neige, des monuments de capitales où il n’avait jamais mis les pieds contrairement à son grand-père dont on lui avait raconté les missions. Leurs architectures miniatures semblaient prendre vie sous leur pluie de minuscules paillettes blanches et de temps en temps il bousculait la Tour Eiffel, le Tower Bridge, Saint-Basile-le-Bienheureux ou le Christ de Rio pour le plaisir des yeux. Mais cette dernière…

William la retourna à nouveau et l’espace d’un instant il lui sembla que le petit bonhomme avait esquissé un soupir de soulagement. Il était quand même mieux les pieds sur terre, Non ? Et puis au moins son parapluie ouvert l’abritait vraiment de cette rafale de neige ! Se dire que c’était ainsi que le premier modèle de sa collection était né, remplit William d’émotion et d’humilité. Car sa passion de chionosphérophile était une affaire de famille.

Sur les étagères une autre collection révélait des voyages depuis la ceinture aurifère du sud des Appalaches jusqu'au nord de l'État de New York et de la Nouvelle-Angleterre. Des spécimens minéraux amassés par son grand-père William P. Blake commissaire représentant la Californie à l' Exposition Universelle de Paris. William Junior fit un clin d’œil au petit bonhomme dans sa bulle de verre :

-C’est là que tu t’es fait piéger mon gars ! Dans la bulle d’un maître verrier de la cristallerie des Lilas. Tout juste bon à presser du papier.

La porte s’ouvrit, Dorothy entra dans la pièce avec un plumeau.

-Mais tu parles tout seul, maintenant . Elles vont te faire perdre la boule, si ça continue. Allez, pousse toi de là que je fasse les poussières sur toutes tes fichues protégées.

William reposa sa dernière acquisition sur l’étagère, à côté de l’Arc de triomphe. C’était sa place !

*La boule à neige est une création de Pierre Boirre, directeur de la verrerie des Lilas et inventeur des "globes panoramiques". En intégrant une scène miniature recouverte de neige dans un globe en verre pour en faire un presse papier, il aurait ainsi créé la première boule à neige C’est en1878 que la boule à neige est évoquée pour la première fois, dans le rapport des commissaires américains de l’Exposition universelle de Paris. William P.Blake y décrit un presse-papier en verre soufflé abritant un bonhomme sous un parapluie : «  Retournez l’objet, et il tombe à l’intérieur une poudre blanche imitant une tempête de neige », précise-t-il. En revanche, pas un mot sur l’inventeur. Aucun brevet n’a été déposé.