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Bzh29

Il y a 2 ans | 192 vues

"La nuit des pères", un roman de l'intime

Isabelle, réalisatrice de documentaires sous-marins, qui a perdu celui qui fut son compagnon pendant 20 ans dans des circonstances tragiques dont elle se sent responsable, retourne dans le village des Alpes où elle a grandi jusqu'à ses 18 ans, où vit son frère aîné, Olivier, kinésithérapeute. Elle vient rendre visite à son père, 80 ans, ancien guide de montagne, auquel elle a tourné le dos il y a plus de 8 ans, alors que celui-ci s'enfonce inexorablement dans « la maladie de l'oubli » comme Isabelle et Olivier nomme la terrible maladie d'Alzheimer.
C'est une épreuve pour Isabelle De retrouver ce père qui ne lui a prodigué ni amour, ni tendresse, qui semblait ne pas la voir et qui ne lui adressait la parole que pour cracher des mots très durs : « tu ne seras jamais aimée de personne » ou « tu vas rater ta vie ». Elle a fui la maison, une fois le bac en poche, pour échapper à sa destruction à petits feux. 
C'est la confession de son père, détruit par la barbarie qu'il n'a pu empêcher alors qu'il était appelé en Algérie, rongé par la culpabilité qui le faisait hurler la nuit, qui permet à Isabelle De tisser le lien, inexistant pendant son enfance, et de le renforcer pendant les quelques mois qui restent à son père ; elle et son frère acceptent, comme geste d'amour ultime, de le laisser partir dans sa montagne chérie pour ne plus en revenir.
De ce père profondément antipathique, colérique, dur, qu'on a envie de détester, l'auteure fait apparaître le jeune homme qui voulait devenir enseignant, épris de justice et que l'Histoire détruit, pas seulement lui, mais toute sa famille. Elle souligne les dégâts que peut provoquer un secret sur des enfants qui ne comprennent pas mais ressentent le mal-être de ceux qui les entourent. 
Par petites touches, tout en pudeur et en douceur, Gaëlle Josse met les mots justes sur la blessure jamais fermée d'un amour quémandé à son père, sur le rejet inexplicable. Elle convoque les souvenirs du frère et de la soeur qui affluent au rythme des lieux retrouvés, des odeurs, de la lumière. La nature, sous la plume de l'auteure, se fait tour à tour hostile (les montagnes donnent une impression d'étouffement, d'écrasement à Isabelle ; elles sont trop associées à son père qui y passait sa vie, qui laissait sa famille pour aller les parcourir, libre) ou espace de respiration, de sérénité (le fond des océans où le silence sublime la beauté des fonds marins).
Un très beau roman de l'intime qui peut parler à chacun d'entre nous tant les relations parents-enfants peuvent être, parfois, source de douleur.

 


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