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Anastasia

Il y a 1 an | 800 vues

Compilation des textes de notre 1ère finaliste : KaM

Génie
"Le soleil ressemblait à une punaise rouillée dardée au milieu d’un papier buvard délavé. Mathias, à cet instant précis, aurait parié sa Triumph retapée que ce peintre avec une oreille coupée avait peint le décor qu’il fixait depuis…il plissa tout son visage pour accompagner le mouvement de ses paupières. Le regard enfin drapé, il tenta un décompte imaginaire à voix haute. «10 nuages 6 avions de ligne 1 buse». Le petit génie de la mécanique souleva ses doigts l’un après l’autre, effleurant de sa pulpe le goudron mouillé d’essence. Une minute par nuage et la moitié pour chaque oiseau de métal. «14 minutes, non 15», le rapace avait mis plus de temps à traverser le ciel, tournoyant à la verticale comme un vautour accroché à un mobile d’enfant."

Incandescent
"Le reste d’un mégot ourlé d’un rouge cerise s’époumone dans le cendrier de la table voisine. La volute opaque qui s’en échappe encore serpente entre l’homme et la femme. Le regard de Jo’ est attiré, malgré elle, vers les lèvres de la fumeuse. Un fruit gorgé de soleil bosselé par deux accents circonflexes, une double ponctuation promesse d’un baiser incandescent et de draps froissés.
« Madame ? » Le serveur avec sa tête de garçon de café est revenu à la charge. Jo’ finit d’une traite son Saint Émilion à 8 balles. «Mon ami n’est pas encore arrivé», elle lui tend le verre à pied, «un deuxième, s’il vous plaît. »
Mathias va encore lui faire le coup du quart d’heure bordelais.
Une chaise grince, le couple se lève. Le soupir de Joséphine aussi."

Cirrus
"La petite aiguille sur le 5, la grande sur le 12, Ariadne le nez collé à la comtoise de la cuisine attendait le mouvement du balancier qui sonnerait le début de sa course. Au premier carillon de la pendule, la maison raisonna du bruit des pas de la sprinteuse. La gamine déboula dans la ruelle derrière le garage auto du père François et stoppa net dans le virage face à l’atelier.
Droite sur ses jambes de moineau, la première caresse du soleil se posa sur sa nuque. Au fur à mesure que la chaleur scannait son dos, son ombre s’étalait sur le mur décrépi, sa tignasse en bataille formait un cirrus qui toucherait les tuiles quand la grande aiguille serait sur le trois. Les choses du passé ont une ombre, celle de la petite fille touchait le ciel."

Obsidienne
"Elle avait l’énergie volcanique de son père mais pas son âme de terre noire. Par la fenêtre, Carmen observait le rituel de sa petite fille. Elle s’accrochait à ça Carmen, à ce petit bout d’obsidienne sans impuretés dont le rire lézardait les saletés. Son cœur s’écrasa au sol sous le poids du soupir qu’elle n’avait pas su retenir. Elle agrippa son mazagran brûlant de Ricoré pour ne pas chuter dans le vide laissé dans sa poitrine. «Carmencita regad’ j’ai ma tête qui touche le ciel !» Carmen relâcha sa prise et fit signe à la petiote de sa main encore chaude de tristesse puis elle rangea la dernière boîte de spéculos dans le carton. Son regard paressa sur le prénom de son fils écrit en noir, puis l’heure de la visite le lendemain au parloir."

Coquelicot
"La pièce ricoche sur le bord de l’étui au cuir fatigué, rebondit sur les pavés du trottoir et finit sa course contre le tronc métallique du réverbère. Maroussia fait danser son archet, le crin des cordes cueille une volée de notes qui raconte l’histoire de son peuple.
Des pas approchent puis se taisent. La musicienne ouvre les yeux sur une jeune femme dont le mascara humide a plaqué des accords mineurs sur ses joues rosies. La pièce fugueuse repose dans sa paume. Elle lui tend la main et se présente. Joséphine lui demande si elle a un endroit où dormir ce soir. Maroussia pense au foyer d’accueil, aux monstres qui guettent les corps des femmes assoupis, aux champs de coquelicots de son enfance qui fleurissent tout contre la nuit."

Cercle
"Un cercle dessiné au feutre rouge entourait la zone de recherche sur la carte routière froissée sur le fauteuil passager. A l’arrière, la banquette avait disparu sous un tas de vêtements et d’affichettes, un grand pot de colle mal refermé imprégnait l’habitacle d’une odeur d’amande amère. Eva n’avait pas dormi depuis plus de 48 heures, elle avait arpenté chaque village du département, collé des centaines d’avis de disparition et consumé son espoir. Personne n’avait croisé son frère. Les mois d’absence creusaient son ventre comme des larves de mouche.
Eva, épuisée, leva le pied à l’approche d’un virage en épingle et son attention fut attirée par une moto en contre-bas et plus loin, le corps d’un homme étendu sur l’asphalte."

Moucharder
"A la sonnerie, les portes s’ouvrirent, une marée de doryphores engloutit la cour de récréation. Un petit nuage déterminé fendait la houle d’enfants jusqu’à la piste de billes. Ariadne avait un compte à régler. Les mouchards ne faisaient pas long feu entre ces quatre murs. Elle se planta devant Bastien.
-T’as moutardé à la maîtresse l’histoire des cartes échangées !
Tout le corps du blondinet se tendit. Ariadne dégaina trois cartes Pokamoon de la poche de sa salopette et les déchira d’un geste ample.
-La prochaine fois c’est tout le reste de ton paquet qui y passe.
Le respect ça se gagne, ici comme en prison. La fillette fit demi tour en chantonnant… « moucheronnette moucheron, demain c’est ta fête toutes les mouches danseront. »"