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valambois

Il y a 1 an | 133 vues

Sinistre dénouement

SINISTRE DÉNOUEMENT… 

 

Il sembla brusquement sortir d’un rêve… plutôt d’un cauchemar !

Il contempla longuement le corps désarticulé allongé à ses pieds dans une position improbable.

Comment en était-il arrivé à une telle extrémité, lui qui abhorrait la violence ? Comment avait-il pu décider de régler ainsi le problème ?

Il se pencha, lentement, tendit la main vers le visage de l’homme gisant sur les dalles entre deux fauteuils de l’immense salon, puis s’enhardit à poser deux doigts sur le cou, là où battait la carotide… Mais ne sentit rien…

Il était bel et bien mort !

« Bon sang, Pierre, murmura-t-il, pourquoi me répétais-tu donc sans arrêt que j’étais sans doute un génie ? Pourquoi m’avoir fait miroiter je ne sais quel mirage ? Pourquoi ?... »

 

Tout avait débuté dix mois plus tôt, au cours d’un salon du livre dans un village perché des Alpes. Il avait un nouveau roman à présenter, un polar mêlant des épisodes historiques à une intrigue sophistiquée, qui remportait des commentaires enthousiastes de la part des lecteurs.

Alors que la première journée s’achevait, il avait rejoint le belvédère qui surplombait la chaîne alpine en un époustouflant paysage. Il avait besoin de souffler un peu, au calme. L’astre du jour plongeait littéralement derrière les sommets enneigés, dans un ciel incandescent striés de nuages effilochés.

Une grande sérénité s’insinua dans tout son être, douce, apaisante, presqu’aimante.

C’est à ce moment-là qu’un inconnu l’avait abordé…

 

« J’ai lu votre livre… Une merveille de suspense digne des plus grands… Je tenais à vous le dire de vive voix… »

Il remercia ce grand type surgi de nulle part. La soixantaine bien tassée, chevelure argentée, regard franc aux iris d’un vert transparent, sourire presqu’enjôleur, voix profonde qui faisait sans doute craquer les dames.

Le crépuscule envahissait lentement le village, l’empêchant de bien détailler le bonhomme. Quelques cirrus scintillaient encore, semblant accrochés à quelqu’invisibles sommets.

« Je me présente… Pierre Sontard… Directeur de collection chez Zone-Polar, et un de vos plus fidèles lecteurs. »

Ils se serrèrent la main, avant de rejoindre la salle du salon, presque vide à cette heure tardive.

 

 

« Vous êtes vous-même auteur ? » demanda-t-il.

« Non, pas du tout. Je suis juste à la recherche de bons livres pour les éditions. Ma seconde passion après la minéralogie… Eh oui, je collectionne les pierres… les cailloux comme dit ma petite-fille ! Si cela vous dit, je peux vous faire découvrir ma collection que certains qualifient d’unique ? »

Il accepta, presque sur un coup de tête… ou alors influencé par la voix si envoûtante.

Ils se retrouvèrent à son domicile, une vieille bâtisse en pierre. La collection était vraiment impressionnante, depuis les pauvres cailloux glanés le long des routes, jusqu’à de véritables petits bijoux valant des fortunes. Mais ce fut un lot d’obsidiennes de toutes tailles qui le captiva.

 

 

« Il m’a fallu des années de recherches pour constituer cette série d’obsidiennes, expliqua Pierre Sontard. La plus belle est celle-ci… Regardez ! C’est une mahagonite… »

C’est vrai qu’elle était envoûtante. Il ne savait pas qu’une obsidienne pouvait être rouge, à peine parsemée de quelques points d’un noir profond. Belle de par ses couleurs, belle de par sa rareté. Elle l’hypnotisait, le renvoyant dans les lectures de son enfance, et leurs mystères des mondes souterrains chaque soir renouvelés.

« Elle me renvoie aussi à des courses échevelées dans le champ de coquelicots qui jouxtait la maison familiale, confia-t-il soudain à son hôte… Un immense tapis de taches d’un rouge semblable où j’aimais à me perdre… »

 

 Pourquoi lui racontait-il cela ? En quoi cela pouvait-il l’intéresser ? A moins que… à moins que cette pierre à peine plus grosse qu’une mandarine n’exerçât une sorte de pouvoir sur ceux qui la contemplaient…

« Elle provient du cratère du Vésuve, renseigna Pierre. Elle a été découverte à Pompéi par un ami qui me l’a offerte… »

Pierre l’invita à s’installer dans le salon de la vieille maison, pour cette fois discuter littérature.

« Je cherche des auteurs pour écrire dans une série de petits polars sans prétention. Je voudrais en effet former une sorte de groupe d’écrivains qui ne soient issus des cercles habituels, dont on entend sans cesse parler. Des auteurs qui démontreraient que de bonnes plumes existent partout… »

 

 Il le fixa un moment, sans trop comprendre en quoi il pouvait aider Sontard dans cette entreprise. Lui, ce qu’il affectionnait, c’étaient les enquêtes de longue haleine, avec moult pistes qui entraînaient son héros souvent loin du sujet. Il le lui fit remarquer :

« Moi, je ne sais pas écrire de petits polars. »

« Je ne le sais que trop, cher ami, j’ai lu tous vos bouquins. Vous, vous seriez en quelque sorte l’outsider du groupe, le hors-série que les lecteurs attendraient tout en découvrant vos petits camarades… »

« Je vois… Mais… Et si, par le plus grand des hasards, quelqu’un venait à moucharder… aux autres… que… ? »

Pierre, peu surpris de sa répartie, le coupa :

« On s’en fout ! » dit-il tout en remplissant les verres…

 

Il prit son verre sur la table basse, le porta à ses lèvres, le cerveau en ébullition. Autrement dit, Sontard le comparait à cette obsidienne rouge sur laquelle viendraient s’agréger les autres auteurs comme autant de points noirs !

Pourquoi l’avait-il choisi, lui et pas un autre ?

Etait-il capable de mener cette tâche ? Et si les auteurs à venir s’apercevaient qu’ils n’étaient que des pantins, des faire-valoir, et prennent la mouche ?

« Ne risquent-ils pas de me prendre à partie, de m’en vouloir… à mort ? »

« Oh ! Cher ami ! Craindriez-vous une quelconque ordalie ? Nous ne sommes plus au Moyen-âge, que Diable ! Le jugement de Dieu est aboli depuis longtemps ! Réfléchissez à ma proposition… Nous en reparlerons bientôt… »

 

A partir de ce jour, tel le venin du scorpion, le magnétisme de Pierre s’infiltra peu à peu en son esprit. Ce fut comme une pensée fantôme colonisant ses neurones, envahissant tout au fur et à mesure que l’autre distillait les idées, les possibilités, les conseils et les directions à prendre. Ils en vinrent tous deux à mettre sur pied toute une galaxie autour de ce simple but : mettre sur les rails une collection écrite à mille mains pour un même personnage.

Leur première tâche fut de créer ex-nihilo un héros que tous pourraient utiliser en appliquant quelques consignes faciles à intégrer.

Là encore, c’est Sontard qui édicta les principes de base, sachant utiliser les bons arguments pour que son partenaire s’y plie !

 

« Tu comprends… Il faut que ce héros soit un mec relativement simple, chaque lectrice et chaque lecteur doit pouvoir se couler dans son personnage. »

« C’est tout de même un flic ? »

« Absolument… Une sorte de mix de San-Antonio pour la verve, et de Maigret pour l’opiniâtreté. Un peu comme certains policiers de séries télé… mais sans tous les états d’âme dont les scénaristes les affublent… Il faut qu’il soit en quelque sorte le gendre idéal pour la ménagère de 50 ans, et le pote pour le mari de cette dernière ! Je pense même qu’il fera un jour un beau personnage de série ! »

C’est avec une évidente gourmandise qu’il s’empressa de mordre à l’hameçon, imaginant son propre roman choisi pour pilote d’une série télévisée…

 


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