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Mijue05

Il y a 1 an | 266 vues

Retrouver le goût de la vie. Semaines 1, 2 et 3.

1er chapitre écrit lors d’un atelier d’écriture avec 7 mots imposés : Fouet / Orléans / Don Quichotte / Bleu / Timidité / Parc / Automne

∞∞

Aujourd’hui c’est décidé ! Je me lance !

Pourquoi aujourd’hui ? Peut-être est-ce car aujourd’hui le jour est égal à la nuit et qu’à partir de demain cette dernière grignotera des minutes, jour après jour. Oui aujourd’hui c’est le premier jour de l’automne, cette saison où les feuilles changent de couleur et tombent petit à petit. Cette saison où le froid s’installe tout doucement. Je m’égare, je m’égare. C’est tout moi ça …

Allez, c’est parti. J’emballe ma timidité dans un sac et je la cache sous le canapé. Je sors dans cette rue, dite la rue d’Orléans, direction le parc municipal. Celui où au fur et à mesure les bancs sont remplacés par des fauteuils individuels, où les murets ressemblent de plus en plus à des hérissons de métal.

Aujourd’hui c’est une belle journée pour se donner un coup de fouet et se lancer dans ce projet un peu fou. Le ciel est bleu, sans aucun nuage. Peut-être est-ce un bon présage ? Qui sait …

Ah, ça y est. Je l’aperçois. Là-bas, tout seul comme d’habitude. Et comme tous les jours, il est là, essayant de se fondre dans le décor, surtout ne pas attirer l’attention des passants, des enfants et des gardes. Toujours devant le même parterre de fleurs, celui avec des petits moulins décoratifs, tel Don Quichotte chevauchant son âne, il chevauche son caddy Intermarché et se parle à lui-même.

Aujourd’hui c’est décidé, je vais lui parler et on verra ce que ça donne…

— Bonjour, comment allez-vous ?

∞∞

Il ne m'a pas entendu ou quoi ? Il me regarde, mais ne me répond pas. Je répète alors ma question :

— Bonjour, comment allez-vous ? en le regardant droit dans les yeux.

Un sourire se dessine alors tout doucement sur son visage.

— Bien, me répond-il en portant sa cigarette au bout incandescent à sa bouche.

Voilà, je me suis lancée et maintenant je me retrouve à ne pas savoir comment enchaîner cette conversation. Un coup d'œil à son chargement entassé dans son caddy me donne une idée.

— Ça vous dit un café ?

— Pourquoi pas ? Mais à emporter alors, car je ne me sépare pas de mes affaires.

— D'accord.

 

Sans nous concerter, nous nous mettons en chemin tranquillement vers la boulangerie la plus proche.

Sur le chemin, il me demande de lui commander un café long sucré pendant que lui m'attendra à la porte du parc.

Les bras chargés d'une boisson pour chacun de nous et d'un sac de chouquettes, je le retrouve assis sur un banc. Je m'assois à sa gauche et pose les douceurs entre nous. Je l'invite à se servir tout en en piochant une moi aussi pour lui montrer qu'elles me font autant plaisir qu'à lui.

— Vous savez ce que j'aime faire dans la journée ? me demande-t-il. Regarder les nuages et y trouver des formes.

Je lève alors les yeux pour découvrir que les cumulus, stratus et cirrus ont envahi le ciel bleu depuis mon départ de la maison.

— Là un lièvre avec une oreille cassée ! me dit-il tout doucement.

— Moi je vois plutôt un chasseur avec sa lance.

On passe un bon moment à chercher des formes, à échanger des banalités. Presque tout le sac de chouquettes y est passé.

— Regardez, là ! On dirait un arbre de vie, un peu comme celui que vous portez autour du cou, me dit-il.

En effet, ce nuage ressemble vraiment au pendentif en obsidienne que je porte depuis quelques années. Des larmes pointent alors au coin de mes yeux. Sans que j'y prête attention, elles coulent le long de mes joues.

— Tenez, mangez la dernière, vous en avez plus besoin que moi, me chuchote-t-il tout en me tendant le petit chou au sucre perlé.

— Merci...

— Non, merci à vous pour ce moment passé en compagnie d'un pauvre clochard comme moi... ajoute-t-il en se levant doucement.

— Vous ne voulez pas rester encore un peu ?

— Non, merci. Ma situation m'a appris à profiter des bonnes choses sans en attendre trop. Il est temps pour nous de retourner à nos occupations, me répond-il en s'éloignant.

J'ai envie de lui dire à bientôt ou bonne journée, mais ces banalités me semblent complétement à côté de la plaque après un moment si agréable et incongru. Je décide de prolonger un peu le plaisir d'être assise au soleil, et me remets à scruter le ciel.

La sonnerie stridente d'un téléphone me sort de ma contemplation. Une femme au manteau rouge coquelicot passe en annonçant le menu du repas de ce soir à son interlocuteur, et je me rends alors compte que je suis restée là, sans bouger depuis assez, voire trop longtemps. J'ai froid. Il est temps de rentrer, seule...

∞∞

Après une semaine de travail intense, je décide de retourner au parc ce matin. En sortant de chez moi, un coup d'œil au ciel me fait sourire. Nous allons pouvoir regarder les nuages encore une fois. Tant mieux, car je ne sais pas trop ce qu'on pourrait faire d'autre. C'est bizarre, cette envie de passer du temps avec lui alors qu'on ne se connait pas.

 

Je le retrouve à sa place et l'invite à boire un café.

— Avec des chouquettes, me répond-il avec un sourire ?

Nous nous asseyons sur le même banc que la semaine dernière. Mais au lieu de lever ses yeux vers le ciel, son regard se dirige vers un groupe d'enfants assis en cercle sur la pelouse. Ils fêtent les 8 ans de l'un deux, si l'on en croit les guirlandes et ballons accrochés un peu partout.

— Ils ont l'air de bien s'amuser, lui fais-je remarquer.

— Pour le moment. Mais, vous verrez, à un moment ça changera. L'un d'eux va aller moucharder et ça fera des histoires.

— Comment pouvez-vous savoir ça ?

— C'est toujours comme ça. Depuis le temps que je suis là, j'ai observé. Il y a toujours un mouchard. Mais ça s'arrange toujours au moment du gâteau et des bonbons.

Tout en dégustant nos chouquettes, nous les observons rire, jouer à chat perché, courir ... Et soudain, un petit blond se met à pleurer et s'éloigne en direction de la table un peu plus loin.

— Vous voyez, qu'est-ce que je vous avais dit ? Le voilà, le rapporteur du jour, me dit-il d'un air taquin.

Soudain, on entend une voix féminine qui annonce l'heure du goûter.

La horde d'enfants se rue alors littéralement en direction de l'appel.

— J'aimerais bien me rapprocher un peu, si vous voulez bien, me dit-il. J'aime cette ambiance de fête.

J'hésite un peu, mais en voyant son regard dirigé sur les gamins, je décide de prendre sur moi.

— Le banc sous l'arbre là-bas est libre. Allons-y.

Vais-je arriver à surmonter cette proximité avec les enfants ? Tel un accusé attendant la fin de son ordalie, j'avance doucement et je me rends compte, qu'inconsciemment j'ai croisé les doigts dans ma poche. Surtout ne pas y penser...

 

Bon, c'est plus facile à dire qu'à faire. D'habitude, pour essayer de tromper mon monde, je jacasse comme une pie. Mais là, difficile de parler des actualités, des soucis quotidiens. Comment et de quoi pourrais-je me plaindre auprès de quelqu'un qui dort dans la rue, qui n'a pas de travail ? Tiens, il me vient une idée.

— De quel signe astrologique êtes-vous ? je lui demande.

— Scorpion, me répond-il.

— Oh, moi aussi. Je suis du 24 octobre. Et vous ?

— Du 11 novembre...

— Vous avez de la chance, vous avez un jour férié pour fêter votre anniversaire, lui dis-je sans réfléchir.

Évidemment, je me rends compte de ma gaffe tout de suite.

— Oh désolée, vraiment je ne voulais pas...

— Ce n'est rien, vous savez, je n'ai pas vécu dans la rue toute ma vie. Mais, reprend-il après une courte pause, je n'aime pas parler de moi. Profitons plutôt de ce moment.

— D'accord. Mais vous savez, si un jour vous avez envie de vous confier, n'hésitez pas.

— Merci, et je vous retourne la proposition. Même si je n'en ai pas l'air, je peux être de bon conseil, me dit-il en me regardant droit dans les yeux.

Son regard bienveillant me fait du bien.

— D'accord, je m'en souviendrai, je lui réponds en reportant mon attention sur les enfants qui se mettent ensemble à chanter, ou plutôt à hurler, " Joyeux anniversaire... "

Nous passons encore un moment à les observer se gaver de gourmandises, s’extasier devant les cadeaux déballés et râler les uns après les autres quand leurs parents respectifs viennent les chercher.

Une fois tous les enfants partis, il est temps pour moi de rentrer. En plus, je commence à avoir froid. Mais comment lui dire au revoir en ayant conscience que moi, je rentre au chaud, tandis que lui va retourner sur son banc, ses cartons et couvertures. Mon malaise se ressent peut-être, car il me dit en se levant :

— Allez, ne vous torturez pas l'esprit. J'ai passé un très bon moment en votre compagnie et je vous en remercie.

— Oh, mais de rien. Vous savez, j'aime passer du temps avec vous.

— Moi aussi. Pouvoir discuter avec une personne pourvue d'un cœur adamantin est une chose précieuse que vous m'offrez quand vous venez me voir. Alors, si vous en avez encore envie, je suis partant pour un autre café-chouquettes un jour prochain...

∞∞

Une autre semaine est passée. Boulot, jogging, boulot, jogging... tout faire pour se fatiguer et avoir le moins de temps libre possible. Heureusement, le soleil est encore au rendez-vous ce samedi matin. C'est agréable quand même d'habiter dans le sud...

— Ah, ma cariatide hebdomadaire !  Vous avez déjà pris le goûter ? me dit-il en venant à ma rencontre.

— Cariatide ? Mais qu'est-ce que c'est que ça ?

— Comment ?  Vous ne connaissez pas ? Ce sont des statues de femmes supportant un toit, une corniche sur la tête.

— Merci de me l'apprendre. Mais pourquoi dites-vous que j'en suis une ?

— Oh, vous c'est un peu spécial... ce n'est pas une corniche que vous portez, mais la culpabilité... me répond-il en baissant la voix sans me quitter des yeux.

Cette phrase me fait l'effet d'une douche froide. Je me mets à pleurer sans pouvoir me retenir.

— Je vous demande pardon, me dit-il. Je n'aurais jamais dû vous dire cela, je ne sais pas ce qui m'a pris...

Il ne sait pas quoi faire, ni ou se mettre, alors il tourne le dos et s'éloigne sans un bruit. Je tente de rassembler mes esprits, mais j'ai l'impression que mon corps ne me répond plus. Je reste plantée là, sans bouger, mon thé à la main. Après une dizaine de minutes, mes larmes se tarissent et je reprends vie tout doucement. Je vais m'asseoir sur le banc en face de moi, je bois une gorgée mais maintenant c'est froid.

— Tenez, celui-ci sera meilleur, me dit une voix familière sur ma droite.

— Merci...

— C'est le moins que je puisse faire.

Il me laisse boire mon thé et dès que j'ai bu ma dernière gorgée, il propose de marcher un peu dans le parc pour se dégourdir les jambes. Nous voilà donc partis pour une balade avec son compagnon de tous les jours, son caddy.

— Je ne peux pas le laisser, il y a tout ce dont j'ai besoin dedans. Si je perds le peu qu'il me reste, je ne m'en remettrai pas, me confie-t-il.

— Je comprends... ça ne doit pas être facile, surtout avec l'hiver qui approche.

— Vous savez, ce n'est pas le premier dehors, j'espère juste que ça ne sera pas le dernier.

— Vous ne voulez pas aller dans des foyers la nuit ?

— Non, je préfère rester là, seul. Les foyers, c'est horrible.

Là, tout en tournant autour du bassin de Saturne, il me raconte les vols, insultes, bagarres...

J'avais déjà entendu parler de cette violence, mais l'entendre de vive voix, c'est autre chose. Sur le chemin du retour, il me confie que, depuis quelques temps, il se sent chanceux malgré sa situation.

— Je vous promets que depuis que j'ai trouvé ce bracelet, la vie est un peu moins dure. Pour moi, il est devenu un talisman.

— Vraiment ?

— Oui, d'ailleurs je l'ai découvert sous un buisson le matin même où vous êtes venue me parler la première fois. Vous voulez que je vous le montre ?

— Avec grand plaisir.

Et là, j'ai l'impression de prendre un second uppercut quand je reconnais le bracelet brésilien que ma fille a mis tant de temps à tresser et qu'elle a perdu la veille de son accident. Je m'assois par terre, et me remets à pleurer.

Sans un mot, il s'assoit à côté de moi et attend. Quand je me sens capable de pouvoir articuler quelques mots sans m'effondrer de nouveau, je lui raconte. Je lui dis tout, presque minute par minute de cet après-midi passé au parc, de cette soirée, et de ce dernier matin. Il m'écoute sans m'interrompre, car il a compris que c'était le moment pour moi de me défaire de ce poids qui m'écrase.

 

À la fin de mon récit, le jour est en train de tomber et le ciel se teinte de pourpre. Je me tourne vers lui et m'aperçois qu'il est en train de faire tourner le bracelet autour de son poignet. Je vois alors qu'il l'a rallongé avec un bout de ficelle de cuisine pour le mettre à sa taille.

— Ce bracelet vous a menée à moi, j'en suis certain, affirme-t-il.

— Vous pensez réellement ça ?

— Bien sûr, me répond-il. Dites-moi, pourquoi êtes-vous venue me voir la première fois ?

— J'en avais... comment dire ? Besoin ou envie, je ne sais pas vraiment. J'ai hésité longtemps, et un jour je me suis décidée...

— Moi, je pense que vous savez pourquoi, mais que vous avez du mal à l'avouer, rétorque-t-il.

Je reste sans rien dire un moment, et replonge dans mes souvenirs. Je la revois, tous les jours, sur le chemin du retour de l'école. Elle me racontait sa journée, tout en savourant son goûter. Sans jamais oublier de jeter, subrepticement, un regard vers lui, lui sourire et lui adresser un signe de la main.

— Oui, vous avez raison. C'est son bracelet, et donc elle, qui nous relie, je lui avoue doucement.

∞∞

Cette semaine a été difficile. Des clients exigeants, des échéances à honorer, des nuits entrecoupées de rêves, des réveils difficiles au rappel de son absence. Malgré la nuit qui s'allonge, je suis allée courir tous les matins pour me vider la tête, mais j'ai l'impression que cette tactique ne fonctionne plus...

Aujourd'hui, il pleut. Je me couvre bien et sors quand même pour aller le voir. J'espère qu'il sera là, à l'abri quelque part. En arrivant au parc, je me retrouve seule. Aucune trace de lui. Je me dirige vers la boulangerie en me disant qu'il s'est peut-être mis au sec.

— Bonjour...

Je me retourne et le vois sous le kiosque à musique. Je soupire de soulagement à l'idée de ne pas passer cette matinée seule face à moi, et je lui souris.

— Je suis contente de vous voir, lui dis-je.

— Moi aussi, me répond-il. J'espérais votre venue, mais j'avais un léger doute vu la météo automnale.

— Je ne pouvais pas louper notre rendez-vous hebdomadaire quand même. J'ai même prévu quelque chose pour nous aujourd'hui. Je vous préviens, aucun refus en sera toléré. Ça vous dit une bonne soupe de citrouille ?

Après avoir rejeté toutes les excuses pour ne pas bouger d'ici, nous voilà partis à faire descendre au caddy les quelques marches qu'il avait eu toutes les peines du monde à lui faire monter. Je lui indique le chemin au fur et à mesure de notre avancée. Arrivés devant mon immeuble, je rentre. Devant son refus d'avancer, je prends son caddy et vais le déposer dans le local à vélos.

— Venez...

 

— Entrez, je vous prie, lui dis-je.

Je le précède dans le salon. 

— Je vais mettre la soupe à réchauffer. Asseyez-vous où vous voulez, ne vous gênez pas. Voulez-vous un verre de vin, de jus ? 

— Du jus, s'il-vous-plaît, me répond-il en regardant tout autour de lui.

Quand je reviens avec le jus de pommes, il est toujours debout et semble gêné. 

— Dites-moi ce qui ne va pas, je lui demande en le servant. 

- Hum... disons que... j'ai peur de ne pas être à ma place. C'est vraiment gentil de m'avoir invité, mais je crois que je vais vous laisser...

— Mais pourquoi ? Qu'ai-je fait de mal pour vous mettre mal à l'aise ?

— Oh rien, s'exclame-il. Mais tout est blanc comme la banquise chez vous, je vais tout salir, m'avoue-t-il en baissant les yeux.

Éperdue de honte, je me précipite dans le couloir, ouvre un placard et en tire des plaids colorés. Je reviens les bras chargés et en les disposant de partout, je lui dis qu'en fait je les avais rangés ce matin pour qu'il ne voit pas que mon appartement ne ressemble à rien. 

— Vous savez, me répond-il en souriant. Les apparences, moi je m'en fiche. Ce qui compte ce sont les actions et comportements... et vous, même si votre appartement vous semble désorganisé, vous avez un cœur en or, c'est bien le principal. 

— Merci, je lui réponds, mais pour tout avouer c'est bordélique, pas désorganisé !

—  Vous avez passé outre à mon apparence, je ne vais quand même pas vous juger pour la vôtre ! 

— Alors, trinquons ensemble à la sincérité et l'amitié !  

 

∞∞

 

FIN… (enfin presque)