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Arsinoe

Il y a 1 an | 101 vues

Post(ure)s de Novembre 15-21

 

15 – Talisman

 

C’était son pseudo sur son blog.

Avec elle j’ai ri, j’ai pleuré, j’ai aimé. J’ai vécu la vie à mille à l’heure.

Moi qui étais sédentaire, j’ai appris à voyager, à m’ouvrir à de nouvelles choses. J’ai appris à parler aux inconnus, à rire. A comprendre que le monde pouvait être autrement.

Elle était mon poison, mon souffle d’air, mon rayon de soleil.

Moi qui étais sauvage, je me suis apprivoisée sous ses caresses. J’ai jeté mon temps et mon argent par les fenêtres. J’ai chanté des chansons d’amour. Et j’ai rêvé aussi, longtemps.

Ce que nous avons fait de mieux, c’était découvrir la Vie ensemble.

Et, pour les disputes, je reprends ma responsabilité et je lui laisse la sienne.

Talisman.

 

16- Pourpre

 

Il y avait trop de choses associées à cette robe. La prêtrise, le sang, l’esprit d’un cardinal déchu.

Malgré tout, dans la famille, on ne s’était pas encore résolu à la jeter. Ce cardinal, c’était l’arrière grand-oncle, et même s’il avait fait des choses douteuses dans sa vie, notamment avec les femmes, il avait aussi aidé beaucoup de paysans à sortir de la famine, à l’époque de la guerre.

Je considérai le vêtement pourpre avec ambivalence. C’est vrai qu’il faut savoir se détacher de son passé.

Mais pas forcément parce que tout y est nuisible.

Je remis la robe dans le coffre de famille.

« Va en paix, l’ancêtre. Ton destin a été ce qu’il a été et je ne peux pas dire que je l’approuve totalement. Mais je te garde dans mon cœur. »

 

17 – Subrepticement.

 

Le cri retentit dans la salle commune qui servait aussi de temple et de cuisine aménagée, faisant sursauter les moniales.

« Là, là, il y a un scorpion !!! »

Effectivement.

Il était énorme.

On ne savait pas comment il était entré là. Sans doute à cause de la pluie.

Tous les regards se tournèrent vers moi.

J’inspirai et pris mon courage à deux mains.

« Apportez-moi un bol et un carton, vite. »

Elles se précipitèrent dans l’établi. Je me sentais très mal à l’aise.

Avec ce genre de monstre, il faut s’approcher subrepticement. Sa piqûre peut être mortelle.

J’abattis le récipient sur la bête et glissai la feuille de carton en-dessous d’un geste sec. Mes mains tremblaient, mais j’avais le sourire.

L’ennemi était neutralisé.

 

18- soupirer

Aujourd'hui, j'ai décidé de tenter une chose un peu folle.
Je sais bien qu'on va me dire, « Mais Brigitte, tu dérailles ! », mais que voulez-vous. A mon âge, on ne se refait pas.
Je promène un regard incisif sur mes élèves. Tous sont plus ou moins endormis.
Parfait.
« A ce moment, Hitler a décidé de créer un parc d’attractions pour licornes argentées et il s’est fait subventionner par le CAC 40. Puis ils sont allés en lune de miel sur la lune et… »
C'est pas vrai, ils ne réagissent toujours pas ?
« Hé, ho, quelqu'un m'écoute ? »
Myriam du premier rang me fait un petit geste d’excuse :
« Désolée madame, vous pouvez répéter la question ? »
Parfois, devant le niveau d’attention des élèves, on ne peut que soupirer.

 


19 – citrouille

J'en avais marre d’être accro aux frites et aux burgers.
Mais aujourd'hui, tout allait changer.
J’avais décidé de m'inscrire au programme « Nutri + » d'une grande marque de produits bien-être.
Avec quand même un petit doute.
Est-ce que j'allais vraiment apprécier leurs « tagliatelles de courgette crue sur lit croquant de citrouille » ? Ou leur jus vert « détox » spécial chou-fleur et kale ?
Leurs recettes étaient un peu… spéciales.
J’allais faire ce régime mais…
Ma souris s’écarta en douceur du bouton « paiement ».
Peut-être un peu plus tard tout compte fait.

 


20- banquise

Il y a des jours où on regrette d’avoir mis le nez dehors.
Surtout un nez aussi fin que le mien.
Ce type est à l'autre bout du wagon, mais il empeste. Je me demande s'il connaît le concept de douche. Peut-être quelque chose de lu, d'appris mais pas totalement maîtrisé. En Inde, on lui donnerait zéro sur dix.
Ah, et ne lui cherchez pas des excuses, hein !
Je sais que le thermomètre est passé au-dessous de zéro. On est tous gelés comme des glaçons sur la banquise.
Mais est-ce que c’est une raison pour ne pas se laver ?!

 

21- éperdu

 

Dans ma mémoire, un voile recouvre la majeure partie de mon enfance.

Mais il est temps de le soulever. Car aujourd’hui, j’en ai le courage.

Alors je parle.

J’ai peur de faire mauvais usage de ce pouvoir qu’on m’a donné, enfant, au prix d’une torture terrible. Ce pouvoir de lire à l’intérieur des âmes. Ce pouvoir de lire les blessures, les désirs et les aspirations des autres.

Et j’ai peur que mon conditionnement me pousse, éperdu, à faire tout ce que les gens désirent, car j’ai été entraîné pour rechercher à tout prix leur amour. Même celui de ceux que je n’aime pas.

J’ai été créé pour exploser en plein vol par des fous qui veulent détruire l’humanité. Et ma vie ne tient qu’à un fil.

Mais, aujourd’hui, je suis vivant.

Alors je parle.


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