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xiane
Légende

Il y a 1 an | 504 vues

Trois petites bulles de rêve

Le vent était glacial et les sapins tout blancs. Seules quelques menues traces marquaient le sol couvert de neige. Le grand lac était gelé. Il faisait un froid intense dans ce coin perdu de la Finlande.

De la fumée qui semblait presque grise au milieu de toute cette blancheur s’échappait de la cheminée d’une petite maison blottie sous les grands arbres. Il était tard et les volets étaient fermés. Seul un petit losange de lumière filtrait au cœur de chacun des volets. Bien au chaud dans la petite maison confortable, un vieil homme solitaire préparait un sac de voyage. Il se sentait raide et vieux, normal, il était vieux ! Demain, avant que le jour ne se lève, son bien le plus précieux serré dans une petite poche de son grand sac en cuir, et après avoir refermé la porte de sa maison, il entreprendrait le même voyage que tous les ans depuis si longtemps maintenant. Il se demandait s’il arriverait cette fois-ci là où il devait aller… qu’importe, il était temps pour lui d’aller au lit car quelques heures de repos ne lui feraient pas de mal avant son départ.

Les cheveux du vieil homme, de plus en plus blancs et sa barbe de plus en plus longue et de plus en plus blanche elle aussi au fil du temps, flottaient joyeusement autour de lui tandis que son traîneau filait comme le vent.

Cette année, il avait décidé de passer par Paris.

La ville brillait comme une pierre précieuse dans la nuit et le jour ne se lèverait que dans une ou deux heures. Le vieil homme survolait la capitale en admirant ce spectacle quand soudain son attention fut attirée par une minuscule et faible lueur ; il décida d’interrompre momentanément son voyage et se dirigea vers la petite lumière pour en avoir le cœur net. 

Le vieil homme se retrouva comme par miracle dans une grande chambre aux murs éclatants de blancheur. En son milieu un petit lit blanc aux barrières relevées. Des tas d’appareils dont les voyants clignotaient étaient reliés par des tuyaux à un petit enfant aussi blanc que les draps de son lit. Le vieil homme se dit que même la neige de chez lui n’était pas aussi blanche… La seule couleur qui tranchait par rapport à tout ce blanc était le petit pyjama de l’enfant, vert pomme, avec un Snoopy dessiné sur le devant. Snoopy était allongé sur le toit de sa maison rouge avec Woodstock perché sur son ventre. Le souffle de l’enfant était si faible qu’il fallait dresser l’oreille pour être sûr de l’entendre. Pour le moment il était seul dans sa chambre située dans l’aile des soins palliatifs. L’infirmière venait de passer et ses parents arriveraient plus tard, comme tous les jours depuis tant de mois.

 -   Bonjour jeune homme, comment t’appelles-tu ?

-    Romain monsieur, répondit une petite voix.

-    Pourquoi es-tu ici ?

-    Parce que je suis malade et que je vais mourir…

-    Tu as peur ?

-     J’ai juste du chagrin pour mon papa et ma maman

-     As-tu des frères et sœurs ?

-     Non, mes parents auraient été moins tristes, après…

Le vieil homme poussa un profond soupir. Il posa sur le sol son grand sac de cuir pour en ouvrir la petite poche. 

-     Regarde ce que j’ai dans la main

-     C’est quoi ?

-     Une pipe, pour faire des bulles de savon

-     Des bulles de savon ?

-     Elles sont magiques. Quand on les regarde, on peut y voir ce que l’on a toujours rêvé de faire ou de voir

L’enfant ouvrit grand les yeux puis les referma : il avait l’air de souffrir.

-     Il y a tellement de choses que j’aurais désiré faire…

-     Il ne te reste malheureusement pas beaucoup de temps

-     Je sais, si peu...

-     Tu ne pourras souffler que trois bulles, alors réfléchis, vite, mais pas trop vite

-     Pour le premier vœu, je sais…

-     Dis-moi

-     J’adore que maman me lise Le Petit Prince, elle me dit que je lui ressemble, et j’aurais tellement aimé pouvoir aller de planète en planète comme lui !

-     Souffle doucement et ouvre grand ton esprit…

Une bulle irisée commença à se former puis se détacha de la tête de la pipe rouge vif. L’enfant la suivit du regard.

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La grand-voile multicolore était hissée et le vent sidéral la faisait claquer gaiement. Le petit voilier monocoque était prêt à décoller. Sa combinaison du même vert que son pyjama était complètement hermétique et Romain ne sentait rien du froid coupant. Le voilier était juste assez grand pour qu’il y soit allongé de tout son long. La bulle qui lui servait de casque était tout irisée. Il s’était arrêté sur la lune pour y admirer la terre et de là où il se trouvait, en levant les yeux juste au-dessus de l’horizon, il imaginait son père et sa mère, à portée de doigts et si loin en même temps. La voile, grand triangle bariolé, était tendue à l’extrême, encore quelques secondes et il pourrait larguer les amarres. Il avait hâte de s’envoler à nouveau mais il devait néanmoins attendre que le vent tourne pour prendre le bon courant vers sa prochaine destination.

Quel objectif allait-il choisir maintenant ? Mars !! Il pourrait peut-être voir des petits hommes verts.

-     Je suis allé jusqu’à Pluton !

-     Qu’y as-tu vu ?

L’enfant rit un peu à l’avance de la réponse qu’il allait faire, mais s’arrêta aussitôt, essoufflé ; il avait du mal à respirer.

-     Des chiens !

Les yeux de l’enfant étaient brillants d’excitation. Le vieil homme lui mit la main sur le front : il était brûlant.

-     J’ai aussi vu les anneaux de Saturne et les canaux de Mars. Par contre je n’ai vu aucun martien, c’est dommage !

-     Tu n’es pas passé assez près ?

-     J’ai essayé mais les vents étaient contraires ; en tout cas c’était magnifique… !

Les doigts de Romain jouaient machinalement avec la pipe rouge.

-     J’aurais bien voulu savoir ce que je serais devenu, si j’avais vécu…

-     Je sais que dans un autre univers, parallèle à celui-ci, tu vas devenir un grand médecin, tu auras une petite sœur qui comptera énormément dans ta vie, tu te marieras, cependant tu n’auras pas d’enfant, sans doute trop occupé par ton métier

-     Quel beau rêve…

-     Dans cet autre univers, ça n’est pas un rêve, mais la réalité.

L’enfant commença à rire de plaisir mais s’arrêta aussitôt ! Encore plus blanc qu’avant, la sueur perlait à son front. Il souffla quand même vaillamment dans la petite pipe rouge…

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Les cloches carillonnaient à tout va !

-     Vive les mariés !

Les bulles de savon saluant la sortie du couple volèrent jusqu’au ciel et le soleil se reflétait sur leur surface irisée. Romain, magnifique jeune homme dans un costume gris anthracite avec cravate et chaussettes vert pomme assorties était radieux au bras de sa jeune épouse tout de blanc vêtue. Leurs nombreux parents et amis étaient là et les entouraient pour partager leur joie et leur bonheur.

-     Qu’est-ce que j’aurais aimé…

-     Dans cet autre univers, ta petite sœur aura des enfants et tu seras très proche de tes neveux et nièces, tu mourras très vieux et entouré des tiens. Tu seras la fierté de ta famille et tu seras apprécié tout au long de ta vie pour tes qualités de cœur et d’intelligence… Ici, dans notre univers, tes parents auront également une petite fille. Elle va naître dans un an jour pour jour et plus tard, elle aura aussi des enfants…

-     Ça me rend heureux quelque part de le savoir…

Il s’assoupit un peu puis reprit :

-     Je me sens faible, je crois que je ne vais pas pouvoir souffler encore une fois, j’aurais pourtant souhaité…

-     Quoi mon grand ?

-     Voir le Père Noël, en vrai… 

Le vieil homme prit la petite main si transparente dans les siennes si rouges et si larges en comparaison.

-     Je vais te raconter une histoire qui remonte à la nuit des temps, tu peux t’endormir si tu veux si tu te sens trop fatigué.

L’enfant bougea un peu les doigts entre les grandes mains du vieil homme pour marquer qu’il avait entendu.

-     Quand je t’ai demandé ton nom à mon arrivée dans ta chambre, tu ne m’as pas questionné pour savoir qui j’étais et d’où je venais. Tu n’as peut-être pas osé.

Je m’appelle Artaban et je vis en Finlande, tout à côté d’un joli lac aux eaux tellement pures et claires qu’on se sent ressourcé lorsqu’on en boit.

En fait je suis le quatrième roi mage, celui qui n’est jamais arrivé à temps auprès de l’enfant Jésus parce qu’il s’est produit quelque chose qui m’en a empêché.

J’étais chargé de présents pour le nouveau-né seulement je les ai distribués à des enfants pauvres ou malheureux rencontrés en chemin.

Un faible sourire éclaira un bref instant le visage de l’enfant.

-     Par la suite et tous les ans j’ai refait le même voyage. Un jour, j’arriverai peut-être à Bethléem avec tous mes présents, mais ça n’est plus essentiel à mes yeux, et d’autres choses par contre le sont devenues.

Les années ont passé et la légende s’est répandue, toutefois mon nom, Artaban, s’est perdu. On m’appelle le Père Noël, celui qui apporte des cadeaux aux enfants du monde entier. Tu vois, ton dernier vœu s’est réalisé.

La pipe glissa d’entre les doigts de l’enfant pour tomber doucement sur le sol pendant que la dernière bulle éclatait au-dessus de sa tête. Le petit garçon avait les yeux fermés, paisible, on aurait dit qu’il dormait…

Le vieil homme soupira, "ça n’est pas encore cette fois que je parviendrai à destination, pourtant est-ce si important ?".

-     qu’est-ce que vous faites dans cette chambre ? qui vous a autorisé…

Le vieil homme disparut comme il était venu.

Le corps de l’enfant ne reposait plus dans la chambre, il avait été emporté, ailleurs.

Une femme de service, énorme et noire, revêtue d’une blouse jaune pâle, entra dans la chambre avec un seau et un balai-serpillière. Il fallait faire le ménage, vite et bien, pour permettre à un autre enfant malade d’y être installé. En passant sous le lit, la serpillière ramena un petit objet vers la femme qui se pencha pour le ramasser.

-     Tiens ! Une pipe rouge en plastique ! Quelle drôle d’idée d’apporter ça à un enfant en train de mourir…

Et elle mit le jouet dans la poche de sa blouse.

-     Ça fera plaisir à mon petit dernier, pensa-t-elle.

Nous sommes le 25 décembre. Dans un des salons du funérarium, un homme et une femme sont assis côte à côte, tout rétrécis de chagrin, la main de l’un serrée dans la main de l’autre. Ils attendent qu’on leur rende leur petit. Cette année, ils ne fêteront pas Noël.

Artaban est retourné chez lui, en Finlande, cette fois encore il n’arriverait pas à Bethléem…

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Un an plus tard, Artaban repassa au-dessus de Paris et il aperçut une toute nouvelle petite lumière scintiller vaillamment chez les parents de Romain. Cela aurait fait plaisir à l’enfant de savoir que son vœu le plus cher avait été exaucé. Une petite fille était arrivée le matin même chez son papa et sa maman ; ils allaient à nouveau pouvoir être heureux… et dans son cœur, Artaban entendit le rire de Romain qui faisait comme des millions de petits grelots.

 


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