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Légende

Il y a 1 an | 275 vues

Josiane D, la chrysalide du supermarché.(2)

En rentrant chez moi je me posais une foule de questions. Je dus patienter jusqu'au mardi pour cuisiner Lucie et Françoise.

Je les surpris en grande discussion, la souris était dans tous ses états:

-Olivier a refusé mais il insiste. Je n'en veux pas chez moi, je suis allergique.

La brebis n'avait pas quant à elle, les deux pieds dans le même sabot:

- Si on mettait une petite annonce à l'entrée du magasin?

Je restai sans voix quand on me dévoila qu'Olivier, responsable de l'animalerie avait refusé tout net de prendre un animal rejeté par son maître, que celui-ci menaçait de l'abandonner dans un refuge. L'individu en question était venu acheter une volière.

-Quand Olivier lui a demandé pour quelle espèce d'oiseaux, tu sais ce qu'il a répondu?

La brebis ne me quittait pas des yeux, la souris se tripotait le pavillon de l'oreille. Je m'attendais à tout mais pas à ce qu'on allait me raconter…

Que l'homme assure que la volière soit pour lui, rien d’anormal.

Que ce ne soit pas pour des oiseaux mais pour y passer ses nuits en sécurité c'était surréaliste.

Qu'il précise se méfier des appétits de son chat à son égard et que cela l'empêchait de dormir la tête sous l'aile, ça frisait l'aliénation.

Qu'il veuille se séparer du greffier pour toutes ces déraisons me mit très mal à l'aise.

Je n'écoutai alors que mon bon cœur: je prendrai le matou. Quand pourrais-je le récupérer? J'aimerais autant que son maître le dépose à l'animalerie. Olivier en imposait avec ses airs de bouledogue et…

 Lucie se mit à rire:

-Mais Josiane, c'est de Tibère qu'il s'agit, tu le connais!

L'allergie de Lucie prenait alors tout son sens, la cohabitation tournerait forcément au drame.

- Plumcoq a perdu la tête?

Je me décomposai encore davantage au récit de la brebis :

-T'aurais dit une poule mouillée quand il est arrivé au salon. Il s'était ramassé l'averse. Il était bizarre. Il n'a pas voulu s'assoir alors qu'il y avait de l'attente. Il grattait le lino tantôt avec sa chaussure droite, tantôt la gauche en piquant le nez au sol. Une odeur forte se dégageait de ses vêtements. Bien qu'il pleuve il portait des lunettes de soleil.

La souris réagit aussitôt:

-C'est depuis qu'il a des cernes. Il n'a plus de paupières mais des peaux relâchées, plissées sous les yeux. Je lui ai conseillé la crème Poulchic matin et soir, des lunettes noires le jour. Y'a autre chose qui le tracasse beaucoup, ce sont ses ongles crochus et épais, j'ai du mal à les manucurer.

-C'est comme moi, impossible de le coiffer! J'ai mis une tonne de gel et malgré ça toute une ligne rebelle se dressait au milieu du crâne comme une crête.  Sur chaque tempe sa  calvitie est hérissée de picots, il n'a pas voulu que je passe la tondeuse. Quand je lui ai demandé si la coupe lui plaisait, il s'est mis à glousser bêtement. Ça m'a fait froid dans le dos.

Je frissonnai. Kafka se serait-il invité dans la vie de Plumcoq pour qu'une telle métamorphose vire ainsi au cauchemar?  Une idée germa soudain dans mon esprit…

Le soir même le matou rayé prenait ses quartiers dans mon appartement. Le bouledogue m'avait déposé l'animal. Tibère n'était pas exigeant, bien vite il devint aimant, ronronnant, oublia ses tourments de carnassier, ne me quitta plus des yeux. Ce prince sans particule avait bien des atouts pour devenir charmant et renseigner sa belle … ce que j'appris m'époustoufla.

L'obsession de Gontran à vouloir couver sans succès des œufs sur un panier l'avait mené à installer une ampoule. Au chaud des poussins étaient nés, beaucoup de poussins et ce fut le carnage. Tibère avait fait un safari que Gontran ne lui avait pas pardonné. Dans une volière il avait installé les rescapés, s'y était enfermé. Avait improvisé des nids de paille, encastré des perchoirs, protégé sa nichée sous deux plumeaux amarrés à ses coudes. Des abreuvoirs, des salades, des pelures jonchaient tout l'espace. Le pire était arrivé avec les vocalises. Glousser, pépier, caqueter, la voix haut perchée de Plumcoq était insupportable…un répertoire qui ulcérait Tibère.

N'ayant pas pour habitude de sauter du coq à l'âne, c'est du coq à la poule que je transgressai en découvrant la féminité de Gontran. Un homme en mal de maternité…cela m'attendrit. Je me promis d'en savoir plus. Quand il viendrait faire ses courses, je mettrais mon plan à exécution…

Ce que Tibère avait enduré de son point de vue de chat n'était rien à côté des souffrances de Gontran. Son corps le démangeait, sa peau se rebiffait sous l'éclosion des picots  étiolés bien avant de devenir plumes. Gavé de vitamines pour beau plumage de géline, Plumcoq s'impatientait. Torticolis et lumbago torturaient son cou et ses reins à force de se tenir plié sur ses deux pattes. À vouloir s'endormir au perchoir la tête sous l'aisselle il ne comptait plus les chutes et les ecchymoses noircissant ses genoux.  Et puis il y avait la marmaille, une vingtaine de poussins piaillant autour de lui.

Il avait désormais une cervelle d'oiseau, un appétit de moineau, une tête de linotte même si caquetant, bavard il était… comme une pie. Son animalité lui pesait. La parole lui faisait défaut, l'intelligence encore davantage, sa posture l'incommodait. Pourtant petit il avait souvent réclamé l'histoire de Petite Poule Rousse à sa mère sans oser rêver à celle aux œufs d'or. La panique le saisit ! Était-il à jamais enfermé dans le sac? Les ciseaux, où se trouvaient les ciseaux? Le loup mangerait-il ce soir de la poule au pot?  (à suivre)


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