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CamilleNC

Il y a 1 an | 378 vues

L'homme de la femme aux chats

Elle lui avait parlé et tout à coup c’était comme si le diable s’était emparé de lui : il avait brandi cette satanée pelle et lui avait fracassé la tête. Elle gisait là maintenant, immobile, en tas sur le sol. En tombant sa tête avait heurté le tronc de l’ancien manguier qu’il avait fallu abattre après un cyclone.

Déjà les chats accouraient de partout, ils tournaient autour de leur maîtresse en miaulant désespérément. Certains lui léchaient le visage espérant peut-être stopper le filet de sang qui s’échappait de sa tempe. D’autres se lovaient entre ses bras et ses jambes quémandant une caresse. Mais c’était fini, fini tout ça et à commencer par ces dizaines de chats qu’elle avait recueilli. « Pauvres bêtes ! qu’elle disait, si vulnérables, il faut bien que quelqu’un s’occupe d’eux ! ».

Dès que l’un d’eux mourait, vieillesse, maladie ou autres mutilations, elle leur confectionnait un petit cercueil avec une boite en carton, lui disait de prendre la pelle et de creuser un énième trou près de l’ancien manguier.

Oh ce manguier !Il avait été si beau ! Quand ils étaient jeunes amoureux, ils avaient gravé leurs prénoms dans un cœur sur son écorce. Il avait abrité leurs tendres siestes pendant les heures chaudes de l’été et leur avait procuré tant de belles mangues juteuses !

Maintenant il ne restait de lui qu’une souche encore enracinée au sol et tout autour des centaines de cadavres en décomposition plus ou moins avancée, enterrés à son pied. Une stèle mortuaire !

Elle aimait à s’asseoir là et à parler à haute voix. Elle leur parlait à eux, ces minets qui n’étaient plus ! Mais à lui, bien vivant, rien !

Au début, ils avaient été si heureux, la vie leur souriait, ils avaient des projets : mariage, maison, voyage, enfant … et puis rien n’a vraiment marché. Enfin … si ! Ils avaient eu un magnifique mariage, une petite maison coloniale pittoresque, ils avaient fait des voyages aux quatre coins du globe mais des enfants point.

Ils avaient tout essayé ! Régime, calculs savants, une IA, une FIV…. Ils y étaient presque ! Dans un mois, ils seraient trois ! La chambre et le trousseau du bébé étaient prêts… et puis un matin tout s’était arrêté : la petite vie qui allait naître et leurs espoirs de famille.

Au début ce fut terrible, douloureux. Lui, il s’était raccrochait à leur amour, à leurs doux et tendres souvenirs ensemble. Cependant, il devait alors se rendre compte que c’était pure illusion. Avec cette fausse couche, elle avait sombré dans la folie.

Il avait cru que son nouvel amour, son dévouement pour ces animaux pleins de poils allait lui redonner goût à la vie, qu’ils allaient sortir ensemble de cette épreuve et qui sait adopter. Mais quand elle avait déménagé ses affaires à lui dans la chambre du bébé mort-né, il avait compris qu’il ne faisait plus parti de sa vie, il n’était plus son mari, son confident, son âme sœur ! Tout juste le fossoyeur creusant des trous pour ses minous.

« Prends cette pelle ! » qu’elle lui aboyait. Alors il prenait l’outil et exécutait sa besogne. Mais ce jour-là, rien ne s’était passé comme d’ordinaire.

Et voilà maintenant il était là, debout, tendu, à contempler sans voir le corps sans vie de la femme de sa vie ! Non, plutôt le corps de l’ancienne femme de sa vie car elle était devenue pour lui une sorcière, entourée de ses félins prêts à bondir sur vous, à vous griffer jusqu’au sang ! Combien de fois avait-il été attaqué ? griffé au visage, aux bras, aux jambes ? Et elle de l’accuser d’avoir sciemment maltraités ses protégés qui en légitime défense se rebellaient à coup de griffes acérés.

Doucement, relâchant ses muscles, il revenait à la réalité. Il venait d’entendre le grincement du portillon du jardin. C’était sans doute le voisin, grand collectionneur d’animaux abandonnés lui aussi, qui passait faire son brin de causette quotidien avec elle.

Quand il arriva à sa hauteur, il l’entendit lui demandait d’une voix blanche :

-        « Mon dieu ! Seigneur ! qu’avez-vous fait ? »

Il ne put lui répondre qu’une seule chose :

-        « Elle m’avait dit de prendre la pelle ! »


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