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Lebrac25
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Il y a 1 an | 172 vues

Un parfum de thé succulemment drôle et amer

Francesca Bassington a un problème .

Que faire quand, en bonne bourgeoise britannique de cette ère que l'on peut tout juste qualifier de post-victorienne tant ses codes sociaux aussi abscons que joliment surannés règnent encore impitoyablement dans les salons anglais, on souhaite vieillir comme on a vécu, c'est à dire confortablement et sans avoir à fournir de violents ( et si vulgaires !) efforts afin de maintenir son train de vie soyeux entourée de charmantes porcelaines, de bibelots exotiques, et de toiles de maîtres ? ( dont un splendide Van der Meulen qui fait sa fierté et sa joie à chaque coup d'œil ? ) 

Désargentée mais absolument pas prête à renoncer à ses goûts de luxe ainsi qu'à cette demeure de Blue Street qu'elle risque de perdre sous peu, Francesca n'a plus qu'un pilier, un seul rempart qui fait encore ( péniblement et fragilement ) tenir ses espoirs en place, qui consolide ( bien faiblement ) les fondations de son château en Espagne : marier son fils, Comus . Et pas avec n'importe qui, un parti fortuné s'impose . 

Francesca Bassington a un autre problème . 

Que faire quand son fils s'acharne méthodiquement à ruiner ses efforts et à continuellement vivoter allègrement sans manifester la moindre intention de faire preuve de jugeote ? Caresser à coups de canne le postérieur du petit frère de la si financièrement et matériellement arrangeante Emeline Chetrof alors que sa mère lui avait expressément demandé de prendre soin du craintif écolier et, par là, de s'attirer les faveurs de la candidate ? Loin d'un simple bizutage scolaire, on touche là au cœur du problème : Comus Bassington ne met pas les pieds dans le plat, Comus fait valser le plat, l'envoie dans le décor avec un grand sourire hilare . Indocile, il se fait un véritable devoir de contrarier les attentes maternelles . 

Opportunité inopinée et miraculeuse d'emploi ? Elle pourra compter sur lui pour se mettre à dos - et de la manière la plus frustrante, stupide, gratuite, et comique possible - l'infortunée relation qui avait eu le malheur d'accepter de prendre en charge l'ex-schoolboy devenu " problème social " ... et, lorsqu'il se fait ce qui pourrait se rapprocher d'un ami, il portera évidemment sa sympathie sur un jeune loup sans scrupule, un politicien plein de ruse et d'avenir, un requin spirituel aux dents longues et à la verve redoutable dénommé Courtenay Youghal . Jeune arriviste brillant dont, à défaut de l'intelligence mal tournée, Comus ne saura reproduire que les ( dispendieuses ) tenues vestimentaires . 

C'est alors qu'arrive Elaine de Frey . Elle est jeune, elle est jolie, elle est bien née, elle est subtile, elle est l'héritière d'une fortune aussi coquette qu'elle . Un parti en or . 

Le combat entre Comus Bassington et Courtenay Youghal est lancé . La compétition ne décidera pas seulement du destin matrimonial de l'un des deux jeunes hommes mais surtout de l'issu de la relation entre la mère et le fils . Une mère qui, de ses propres mots, l'aime beaucoup mais " supporte très bien la séparation " . La légèreté d'esprit, l'égoïsme infantile teinté d'indifférence, les fantaisies de mauvais goût de Comus feront que l'affrontement sera on ne peut plus déséquilibré . La matérialisme cruel, le cœur sec et endurci, la colère emplie de déceptions accumulées de Francesca scelleront la fin de l'histoire . 

Avec un raffinement féroce, une plume d'un flegme aristocratique trempée dans un mélange d'encre et de vitriol, Saki nous raconte cette guerre . Cette fosse au serpents, ce panier de crabes, où autour d'une table ornée de dentelles, de tasses en porcelaine délicate, sous un Van der Meulen, on fait et on défait les êtres humains comme on réarrange sa collection de bibelots . 

La conclusion du récit saura horrifier autant que faire naître un sourire sardonique chez le lecteur . 

" This story has no moral.

If it points out an evil at any rate it suggests no remedy. "

Nous voilà prévenus .

 

 

 

 


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