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EglantineLilas
Légende

Il y a 1 an | 214 vues

À propos de page blanche, un p’tit clin d’œil à Gotrab.

La campagne en ce mois d’avril est verdoyante bien que le printemps soit encore un peu timide. Le papillon adore butiner dans la partie fleurie du jardin, cultivée par une main experte. C’est au hasard de ses vagabondages ici et là, que fatigué, il s’est posé un jour par hasard sur le rebord de la fenêtre du bureau, et qu’il a découvert l’Écrivain. Enivré par le parfum des giroflées qu’il affectionne  particulièrement, la tête à l’envers, le temps de reprendre un peu ses esprits, le papillon a récupéré son souffle en se posant sur cette fenêtre qui va devenir au fil du temps son observatoire. Depuis ce jour, tous les après-midi après l’heure de la sieste, il s’en vient voir cet individu qui s’affaire derrière un écran. La table de travail, recouverte de différentes feuilles de papiers, de crayons, de livres, n’amène pas à penser qu’il est un maniaque du ménage et de l’ordre.

Après avoir déserté son bureau hier en fin de journée, voici l'Écrivain de nouveau installé à sa place, triturant d’un air distrait ce qui se trouve à portée de main, le moral ne semblant pas au beau fixe. Le papillon se met alors à voler lentement en agitant ses grandes ailes, sans toutefois s’éloigner de la fenêtre, provoquant ainsi un très léger courant d’air qui finit par attirer le regard de l’Écrivain.

— Ah te voilà enfin ! 
— Quelle audace, ce n’est pas moi qui étais absent hier ! 
— Tu as raison, je ne suis pas de bonne humeur et de ce fait je suis injuste ! 
— N’en parlons plus. Un souci ? 
— Ma feuille reste blanche !
— Blanche, blanche ? Mais alors, on peut tout y faire : écrire des mots, des notes de musique, dessiner…
— Oui, cependant ma tête est vide aussi de toute substance…
— Ah ! Ta promenade a-t-elle été au moins agréable hier ?
— J’ai croisé des petits lapins qui traversaient la départementale !
— Inconscients et imprudents petits lapins ! Au fait, c’est curieux cette route qui sépare les champs en grands espaces de part et d’autre…
— Comment faire pour circuler sans route…
— Certes, certes ! Sais-tu de quand date cette départementale ?
— Que nenni ! 
— Eh bien voilà de quoi t’occuper l’esprit pendant quelques jours en effectuant des recherches ! 
— Quel intérêt ?
— As-tu mieux à faire ?
— Euh… Non !
— Je reviens te voir demain, tu me diras ! Avant que je ne te quitte, connais-tu l’histoire que raconte à qui veut l’entendre, une feuille blanche ? 
— Je n’en ai jamais entendu parler, ni lu quoique ce soit à ce sujet ! 
— Alors écoute ce qu’elle dit :
— J’ai atterri un jour d’orage sur un bureau sans savoir comment. Il était là hésitant, me triturant l’air absent au risque de me froisser, je craignais le pire devant son peu de motivation.  Allais-je finir en boule dans sa poubelle, sans aucun signe sur ma page blanche ? Son manque d’inspiration était évident, est-ce pour autant qu'il fallait baisser les bras ? Un arbre était-il mort pour moi pour que je finisse ainsi ?

Ce n’étaient pourtant pas les belles histoires d’amour qui manquaient, enfin belles pas toujours, mais certaines quand même, des princes qui épousent des princesses non ? Dans ce cas, il pouvait s’intéresser à un scénario bien noir, de ceux qui vous donnent des frissons dès les premiers mots. S’il ne voulait pas tremper sa plume dans l’encrier, il aurait dû voir que la souris à côté du clavier s’impatientait. Que l’imprimante ronronnait de bonheur à l’idée d’éditer quelque chose, et cependant nenni, rien ne se passait !

Il était resté un peu rétrograde et préférait ses pattes de mouches sur moi plutôt que les touches d’un clavier, pour cela, j'étais d’accord, c’était beaucoup plus charnel et fusionnel ainsi. Toutefois, dans le cas présent, à tout prendre, va pour l’encre d’une rotative plutôt que de rester vierge. J’allais avoir l’air de quoi, on dira à la ronde que j’étais seule responsable, que c’était ma faute, que je ne l’inspirais pas, si rien ne se dessinait. Tiens, à propos de dessin, tout en méditant, il aurait pu faire quelques arabesques, même pas !

La fenêtre était grande ouverte et je voyais les plantes frémirent dans le jardin pendant que je m’agaçai, le soir approchait et une bise légère s’était levée. Tout d’un coup, une rapide bourrasque pénétra dans la pièce, soulevant tous les documents qui se trouvaient sur le bureau et m’emporta aux quatre vents. Tant pis pour lui, peut-être que quelqu'un me ramassera pour faire de moi un meilleur usage et me donner vie…
— Médite là-dessus Écrivain ! D’une pirouette légère, le papillon s’envole vers le jardin, laissant Vincent perplexe.

— Ce papillon a de drôles d’idées parfois ! Si maintenant non seulement les papillons parlent, mais aussi les pages blanches, que vont devenir les Écrivains ?

La journée est trop douce pour rester enfermé, Vincent décide de suivre l’exemple du papillon et d’oublier pour le moment la feuille blanche. L’échappée d’hier lui ayant fait le plus grand bien, c’est vers la partie du jardin où l’herbe invite à s’y allonger qu’il se dirige.

— Pourvu que je n’en prenne pas trop souvent l’habitude !

Un court instant d’hésitation, et Vincent contemple le ciel avant de fermer les yeux en se laissant glisser dans une douce torpeur au pied d’un pommier en fleurs.

Le petit chat rouquin, nouvellement adopté, et qui batifolait avec les jeunes papillons, n’apprécie guère cette intrusion dans son domaine réservé. Quelques miaulements - aussi forts que possible pour lui -, ne dérangent pas le dormeur, il ne lui reste plus qu’à battre en retraite et aller jouer ailleurs avec les papillons !

 


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