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AMB37
Légende

Il y a 11 mois | 85 vues

Hommage

C’est elle qui décidera.

 

Il est là déjà depuis un certain temps. Cinq ans.

Il a débarqué juste un an après le décès de nos  parents.

Sans doute lassé de couver sous  le chagrin il s’est  embrasé, ce perfide, ce  séreux s’est engouffré dans la brèche.

Il perfuse ses jours, ronge ses nuits et sa vie est parfois en apnée sous de grises pensées. Elle ne se dérobe pas à ces assauts de tristesse, elle en fait sa bataille.

Un coma de nuages  plombant régulièrement pour quelques heures ses yeux, ses oreilles, sa bouche mais pas son cœur qui bat.

Il bat pour elle, il bat pour nous.

 D’amour et d’énergie.

 

 Ensemble nous butinons les rémissions et le temps s’adoucit.

Il  s’alanguit. Il existe plus dense.

Les mots, les gestes prennent consistance et le désir crépite dans le noir.

 

Oui elle a envie. Envie de lire, envie de rire. Envie de serrer ses petites filles dans ses bras.

Jouer à leurs jeux d’enfants, leur raconter des histoires, faire des châteaux de sable.

Elle se découvre des goûts nouveaux. Bataille avec son image.

Adepte du strict et du  classique, elle ose les couleurs d’un foulard sur sa tête, pose du rose sur ses joues, du brillant sur sa bouche.

Et d’être belle ouvre du bleu dans ses yeux comme un sourire sur nos lèvres.

 

Oui elle se fustige, son corps est à la traîne. Couturé de bas en haut d’une longue cicatrice, on l’a écartelé, fouillé, incisé. La traque commençait…

Maintenant les drogues assomment insidieusement la bête.

Alors elle se requinque, ré apprivoise l’intégrité de ses chairs, colmate sa féminité  amputée.

Ensemble nous retournons à la piscine, l’eau a toujours été son élément. Elle savoure les yeux-mi-clos sa mouvance amniotique  et ce retour aux sources originelles berce tout son effroi.

Elle nage, elle flotte, s’immerge avec délices, son corps cabossé glisse sous les caresses liquides et je souris à son visage perlé  de fines gouttes. Il irradie, elle se retrouve.

Sa tête coiffée serrée d’un bonnet de caoutchouc bleu disparaît puis remonte à la surface sans qu’on la montre du doigt, dans le bassin y’en a des rouges, des noirs, des fleuris, des blancs comme le mien.

Dans l’eau elle est comme un poisson, ses jambes se font nageoires, plus lourdes elles sont pour la locomotion. Les randonnées deviennent marches puis petits pas. Mais la mer a toujours ses embruns d’iode et de varechs bruns.

Sa canne l’y emmène aidée d’un bras aimant. Partage de l’instant.

Et d’être là  c’est moi qui m’accroche à elle qui donne tendre souffle  au parcours.

 

Oui  elle pense à l’avant, celui des fous-rire, le temps des parents, les jeux, les disputes.

Les photos en noir et blanc grignotent la nostalgie. Les films bougent, les films parlent. Comme la voix de mon père que rien ne dénature, les jambes de ma mère assise sur le cadre du vélo, l’amour simple et vrai dont on nous a nourries.

Aux crampons de la vie s’arrime la famille car  le présent cocon embobine l’avenir.

Et d’être au passé des discordes, le temps utérin nous rend aux bêtises complices, à l’héritage aimant, ce trésor des parents.

 

Oui  son jardin bat de l’aile. Plus tiré au cordeau

Mais elle a des oiseaux, du bleu, du noir, du jaune, du rouge sur les têtes, sur les gorges, sur les plumes, sous ses yeux.

Aux mangeoires affairée,  la vie en miniature sautille dans les feuillages, essaime petits copeaux de bonheur râpés sur l’heure des jours que l’on suce comme un chocolat interdit.

Des franges de myosotis effronté  bleuissent le parterre, mais d’où peut-il venir ?

Finalement elle trouve du charme aux intruses. Leur accorde la liberté de pousser en herbes folles dans ce cartel qu’elle a toujours dompté. Elle lâche prise, y trouve plénitude.

Et d’être à sa fenêtre  elle en oublie l’amer de son café, les rôts de ses nausées.

 

Le temps presse des zestes de résilience.

C’est moi qui ploie sous le nuage gros de larmes, gras comme un ogre jamais rassasié. C’est moi qui feutre de noir nos gestes amaigris mais jamais exsangues de tendresse.

Mais c’est elle qui ouvre des arcs-en-ciel, cueille une étoile, la bonne dans le brouillard, pour un jour, une nuit, une heure !

C’est elle qui me rabroue pour une miette de soleil que je n’aurai pas vue au coin de l’horizon, des cris d’enfants joyeux envolés d’une cour qui m’auraient échappé.

Avec elle j’écoute et regarde à nouveau, tire doucement  un à un les fils lumineux d’une toile que je voyais bien  noire.

Elle encore qui m’apprend la patience dans tous ces protocoles au front pour la bataille. Elle qui me parle d’ELLES. De toutes celles que ce séreux, ce pernicieux pince et mord lentement. De ces pièces atones où des poches pendues distillent de l’espoir.

Et ces jours-là, plus que tous les autres bousculent les marqueurs. On compte les pas en avant, il est à la traîne, on va le semer. La famille reprend pied.

Quand par procuration je sens si fort l’aiguille se planter dans sa veine c’est de son autre main qu’elle attrape la mienne. Nous faisons corps comme  aux heures de l’enfance,  soudées par nos bêtises. Elle dit merci à la vie. Encore.

Elle me tricote une cotte de jolis mots, habille mon effroi et dompte ma colère.

Elle sait qu’au grand cadran son heure bientôt viendra et qu’en douceur son âme partira. Elle nous l’a dit, elle l’a écrit, on a promis. C’est son destin me dit-elle.

 Non, c’est pas le crabe,  c’est elle qui décidera !


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