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Légende

Il y a 10 mois | 651 vues

LA VALSE DES ARBRES ET DU CIEL (Jean-Michel Guenassia)

19 printemps, un souhait  pour devenir peintre et un cadre de vie  qui lui offrirait beaucoup d’opportunités si ce n’est qu’elle est une femme dans une société soumise à l’autorité masculine : Jean Michel Guenassia nous raconte avec brio une histoire d’amour exaltée  pour un homme et sa peinture.

Il donne la parole à Marguerite Gachet qui raconte sa vie  , en 1949 alors qu’elle est une vieille femme et s’insurge contre « les rumeurs et les légendes, jolies et poignantes, mais sans fondement » qui courent sur Vincent Van Gogh : « Pourquoi les médiocres se croient ils autorisés à dire n’importe quoi sur les génies ? Pourquoi ne se contentent ils pas de regarder ses tableaux ? » C’est ce que ce témoignage passionnant nous propose entre récits intimes, redécouvertes de tableaux, articles de presse, lettres à Théo, correspondances entre Gauguin, Émile Bernard . On y découvre aussi une formidable communauté artistique en quête de reconnaissance : « Ils ont entre eux la solidarité des premiers chrétiens partageant la parole révélée, convaincus sans retour que leur art triomphera, que c’est une question de temps et cette certitude est leur unique réconfort. »

Marguerite Gachet est très vite fascinée par le peintre qui séjourne à Auvers sur Oise pendant deux mois pour être soigné par son père au sujet de ses accès psychotiques. Elle se donne à lui, devient sa femme dans l’ombre, « son petit tournesol » et l’accompagne jusqu’à ce jour fatidique où il meurt le dimanche 27 juillet 1890, après avoir peint son ultime toile, Racines d'arbres. La version officielle est qu’il se tire un coup de révolver dans la poitrine, un suicide raté qui le ramène agonisant dans sa chambre à l’auberge Ravoux. Marguerite nous raconte bien autre chose, mais CHUT, à vous de le découvrir !

Si le destin de Van Gogh revêt une autre version, on fait aussi connaissance avec un autre Docteur Gachet. Toujours amateur des œuvres des peintres impressionnistes , dans le récit de Marguerite il se révèle  obtus, cupide, violent, le mythe du « bon docteur » est largement écorné. Globalement, il court dans ce livre un souffle passionnel autour de tous les personnages qui nous tient en haleine et peut nous laisser perplexes .

Le contexte historique, parfaitement documenté lui apporte des accents de vérité qui nous ébranlent , mais surtout c’est formidablement bien écrit. On redécouvre visuellement et in situ certains tableaux du peintre : « Dans l’après-midi, je vais de temps en temps à sa recherche, je connais les coins avec lesquels il est en affaire, les rangées d’arbres qui le troublent, les toits de chaume qui le bouleversent, les champs ondulés et les meules de travers qu’il a décidé d’arranger à sa manière. » C’est un plaisir d’imaginer Van Gogh qui reprend chair par son regard, sa gestuelle infiniment humble et touchante : « Il reste les bras ballants, figé, une heure durant sans bouger, à contempler la toile blanche, puis il trace du bout du doigt des signes invisibles dessus, qu’il est le seul à voir, tripote ses brosses, malaxe des peintures sur sa palette et il se lance sans espoir de retour, comme un être qui ne sait pas nager se jette à l’eau en espérant attendre la rive »

Une phrase encore, sous la plume de Marguerite :

"Vincent à un métier, une vocation vaudrait-il mieux dire, qui l’accapare à chaque seconde de sa vie, comme s’il était entré en religion et qu’il était devenu le serviteur d’un dieu tout-puissant qui exigerait de ses fidèles qu’ils l’adorent avec une toile posée sur un chevalet et qu’ils gardent en permanence leur palette et leurs brosses à la main comme signes de leur croyance. Ces néophytes ne vivent que pour l’expression, la forme et la lumière, ne parlent que de conception, de perspective et de lignes de fuite, tout ce qui n’est pas création d’images et composition est relégué au tréfonds du purgatoire de la vie, puisqu’ils ont fait allégeance à la couleur comme étant la seule vérité révélée dans l’univers, l’unique source d’espérance ici-bas, l’alpha et l’oméga. Vincent attend tout de la peinture, son bonheur sur terre en dépend, il n’espère et n’a besoin de rien d’autre, ce qui n’en participe pas l’ennuie et c’est du temps perdu."

Pas de temps perdu pour lire ce très joli roman, c’est une petite madeleine que je souhaitais partager à l’heure où Van Gogh tutoie  enfin  les étoiles avec cette exposition qui lui sera consacrée à Auvers.

J’ajouterai que je suis allée au cimetière d’Auvers sur Oise, il y a longtemps maintenant . Les tombes de Vincent et Théo sont humbles, couvertes de millepertuis, presque anonymes, abandonnées. Une petite larme à l’œil, j’y ai déposé une rose Monet de mon jardin.


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