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Il y a 9 mois | 110 vues

Fin janvier, parole de Murins ! (un petit conte de Noël)

Il soufflait sur ses doigts, l’onglée le guettait au coin de la cheminée sans feu. Il avait mis ses mitaines de laine, son bonnet au revers de fourrure et noué par-dessus sa barbe un cache-nez en doux angora qu’une de ses groupies du grand Nord lui avait tricoté l’hiver dernier. Malgré tout il frissonnait. Il était inquiet, au bord du désespoir.

Des coups réguliers lui parvinrent soudain. Dehors les rennes tapaient du sabot pour réchauffer leurs pattes engourdies. Des  résilles de givre emmaillotaient leurs ramures, des pendeloques de glace brinqueballaient  à leurs oreilles et malgré ces bimbeloteries de cristal ils avaient l’air triste des sapins privés de Noël. Car c’était bien de cela dont il était question.

 Toute la planète était confinée.

Pas de déplacements.

Même les nuages statufiés étaient frappés d’interdit. Aucune lettre n’avait été acheminée, on ne savait rien des désirs des enfants.

Pas de livraison.

Dans le hangar, les Lutins étaient sans travail. Un énorme stock de cadeaux prêts par avance  à être distribués leur restait sur les bras.

Pas d’espoir à l’horizon.

Le géant Coronus semblait s’être installé en maître du monde. Son souffle fétide avait infecté le ciel, ses sbires hideux, ronds et poilus avaient envahi plaines et montagnes, squatté villes et villages. On les soupçonnait d’avoir fait main basse sur les mers, les fleuves et les océans.  Ce tyran bâillonnait hommes femmes et enfants en faisait des esclaves masqués, terrés dans leurs maisons.

 

-Coronus est rapide, son haleine de chacal se propulse à l’allure du guépard.

 -Coronus est sournois, il rampe comme un serpent.

- Coronus est féroce, il ne lâche pas ses proies.

Voilà ce qui se disait dans le congrès annuel des Murins à moustaches qui avait lieu dans une immense grotte dans le massif de Rila. Une longue faille presque invisible sur le flanc du Mont Musala permettait d’y accéder.  Les Balkans aussi souffraient de l’invasion de Coronus  mais les Murins étaient naturellement immunisés contre son venin mortel.

Immunisés mais pas insensibles au devenir du monde.

En France les Oreillards et les Pipistrelles s’émouvaient aussi  comme les Roussettes d’Egypte, toute la communauté nocturne aux ailes noires était aux abois y compris le    Vampire d'Azara jugé peu fréquentable. Mais on n’en savait rien au pôle dans la petite maison perdue en Laponie.

 Un sentiment de grande inutilité mais aussi un profond désarroi habitaient le Père Noël. Il consulta son agenda de l’année précédente. On ne l’apprendra à personne, le vieux bonhomme suit ses commandes, il sait tout.

-Voyons voir ! Miguel a reçu l’an dernier  une panoplie de Star-Wars. Juanita un cheval en peluche, José le tome IV d’Harry Potter ….J’avais été un peu obligé de choisir dans leur longue liste de souhaits pour contenter tout le monde. Et si je…Oui mais maintenant ils ont un an de plus…

Il se gratta la tête, désemparé quand tout à coup le nez rouge de Rudolph se pointa à la porte :

-On a capté un message ! Un message ! On a capté un message de la Terre.

Des sons cristallins picotaient la brume, les rennes excités agitaient leurs pendeloques de glace au bout de leurs oreilles. Dingueling ! Dingueling !

Derrière la fenêtre, le Père Noël découvrit l’euphorie de son équipage. Danseuse faisait des entrechats sous le nez d’Eclair illuminé d’espoir, Tornade et Furie galopaient autour de leur enclos derrière Tonnerre, Fringant se pavanait tellement comme un paon que Comète et Cupidon bramaient aux éclats. La bonne humeur semblait revenue comme avant l’invasion de Coronus, ses rennes étaient joyeux,  il n’en crut pas ses yeux.

-Des ondes ? De quoi tu me parles Rudolph !

-De ce chacal de Coronus. On va bientôt lui faire la peau.

Le vieil homme sonda les yeux de velours brun de son guide. Rudolph l’éclairait la nuit avec son nez rouge  pour l’aider à mener le traîneau dans les averses de neige, les brouillards d’hiver, il avait donc  grande confiance en lui, bien plus que dans un GPS.

-Ce sont de bonnes ondes, elles viennent des Balkans.

Et il claqua la porte, pressé de rejoindre le petit troupeau en folie.

-Des ondes ? Des Balkans ? Un peu  septique, le vieux bonhomme s’assit dans son fauteuil. Il hésita puis décida finalement d’y croire, quoi de plus normal pour un Père Noël!

 Dans la grotte du Mont Musala, on discutait toujours mais en téléconférence. Toutes les chauves-souris du monde écoutaient et échangeaient grâce aux ondes de leurs sonars. Puissant et à l’extérieur des fréquences audibles par l’être humain, le son parcourait l’atmosphère au nez et à la barbe des sbires de Coronus. L’information circulait, la rébellion s’organisait, pas une de ces Chiroptères qui ne fût connectée !

-C’est quoi m’man une chiroterre ?

La voix fluette de Juanita résonna dans la grotte où Maria avait virtuellement transporté son petit monde. Agacé Miguel lâcha :

-La famille des chauves-souris, allez m’man continue !

Jose prit sa sœur sur ses genoux, elle se remit à suçoter l’oreille de son cheval en peluche. Et Maria gonfla sa voix pour impressionner :

Un vénérable murin aux moustaches tombantes prit la parole :

-Nous Murins des Balkans, nous allons géo localisé Coronus. Toutes nos estimations croisées devraient nous indiquer sa position. Nous le mettrons en bouteille que nous jetterons dans l’océan, direction le Mexique pour que les Vampires d'Azara s’occupent de son cas.

Toutes les têtes au bout des corps pendus au plafond de la grotte acquiescèrent même les petits accrochés à leurs mères. L’espace se mit à bruisser d’échos, les ondes du monde entier affluaient. Un grondement sourd ébranla les stalactites, certaines se décrochèrent et se piquèrent comme des poignards dans le sol sableux.

-Nous Murins des Balkans chargeons toutes les autres colonies internationales d’écouter ce qui se dit derrière les portes et les volets. Diffusez, diffusez ! J’ai pris contact avec le renne Rudolph, nous sommes sur la bonne longueur d’ondes.

C’est qu’il s’en disait des choses derrière les volets clos, les portes fermées à double-tour. Des inquiétudes, des pleurs pour la poupée qu’on ne tiendrait  pas à temps dans ses bras, le camion qui ne serait pas livré, le drone qui resterait là-haut dans sa boîte …Les enfants du monde entier pensaient tellement à ce Noël.

-Alors, les chiroterres y’z’ont entendu que j’voulais une poupée ?

-Et moi, un camion ? Rouge ? De pompiers ?

Maria regarda ses deux plus petits en souriant. Si Jose n’avait rien exprimé elle savait qu’il pensait au drone dont il avait envie. Il ne dit que :

-Continue M’man. Qu’est-ce qu’il va faire le vieux Murin ?

Le sonar du vénérable Murin s’était enroué, il haussa le ton :

- Nous sommes tous concernés, pas de quartier pour les sbires de Coronus ! Leur chef neutralisé, ils s’essouffleront bien vite jusqu’à se ratatiner, se dessécher  en poudre de perlimpinpin et disparaître en enfer pour contaminer Lucifer. Le père Noël pourra bientôt livrer dans les cheminées, parole de Murin !

 Toutes les ailes noires ventilèrent des applaudissements au sein de la grotte du Mont Musala. Un courant d’air puissant s’engouffra par la faille étroite. On sentit comme un tremblement de terre, le massif de Rila fut ébranlé sur son vieux piédestal quand une charge massive d’ondes planétaires salua le discours du Murin.

 En Laponie  les rennes faillirent être vite débordés. Heureusement le Père Noël mit bon ordre à la pagaille et distribua les tâches. Rudolph transcrivait et enregistrait les messages sur sa tablette dès leur arrivée : une poupée pour Juanita, un camion pour Miguel, un drone pour Jose….tous les vœux des enfants du monde étaient relayés par le sonar des Roussettes, des Oreillards, des Pipistrelles et bien d’autres encore. Toutes ces créatures de l’ombre allumaient un espoir, la nuit de Noël apporterait-elle à temps  sa joie habituelle ?

Maria tourna la page du gros livre qui lui avait donné une contenance pour se jeter dans l’histoire rocambolesque qu’elle venait d’inventer pour ses enfants.  Ce livre de contes qu’elle avait trouvé dans une chambre de l’hôtel après le passage de l’ouragan Grace en août dernier. Les touristes avaient fui en catastrophe, Cancùn s’était vidé. L’établissement sérieusement touché avait fermé ses portes depuis, Maria n’avait toujours pas retrouvé de travail.

-M’man, y vont y’arriver les rennes à tout apporter ?     

Les yeux tout ensommeillés Juanita regardait sa maman. Jose était sur le qui-vive, il attendait sa réponse. Alors Maria décida de passer outre l’épisode de la capture de Coronus que les Murins avaient  intercepté au Tibet à l’assaut du monastère de Namgyal où méditait le dalaï-lama. A l’heure qu’il était, il flottait sûrement dans sa bouteille dans  les eaux de la Mer de Chine. Elle  se concentra plutôt sur l’agenda compliqué du père Noël.

-Queridos míos, ils ont beaucoup de travail, je crois que chez nous, ils passeront fin janvier.

-T’es sûre ?

Jose vint au secours de sa mère :

-Merci maman. T’es géniale !

Lui ne croyait plus au Père Noël, ni à Coronus dans sa bouteille mais en sa mère si courageuse!

Il savait aussi que fin janvier, leur père rentrerait du Venezuela avec  l’argent gagné sur la plateforme pétrolière qui venait d’épuiser son gisement. Et puis les Murins avaient donné leur parole !


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