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Caroline7
Légende

Il y a 5 mois | 60 vues

Le vieux grincheux

Tout le monde souriait, tout le monde lui souhaitait de passer de bonnes fêtes. Il n’aimait vraiment pas ses voisins et, à cause de ce débordement de joie et de bonne humeur, il ne les supportait plus en décembre et il les détestait vraiment en janvier. Et encore s’il n’y avait qu’eux, mais il y avait aussi la foule dans les magasins, tous ces gens qui se bousculent sans prendre la peine de s’excuser et les files d’attente interminables en caisse. Aussi, essayait-il de faire son marché très tôt le matin, c’était plus calme à ce moment-là.

Elle vivait dans la rue, depuis un certain temps, elle avait perdu le compte des jours et des nuits à essayer de se trouver un abri, de se protéger de la pluie, du vent et du froid de plus en plus mordant. Ce froid qui la faisait trembler au point de l’empêcher de dormir. Et son estomac criait famine à longueur de journée. Elle essayait bien de faire les poubelles, mais ce n’était pas sans risque, car elle n’était pas la seule dans cette situation et dans la rue, c’était chacun pour soi.

Il savait que ses voisins l’avaient surnommé le vieux grincheux et il mettait un point d’honneur à entretenir cette réputation. Il ne ratait pas une occasion de râler dès qu’il en croisait un dans les escaliers. Il se félicitait même de la diversité de ses récriminations et quand il en trouvait une nouvelle chez lui, il la notait dans un petit carnet pour ne surtout pas l’oublier.

Elle avait froid. Elle était trempée jusqu’aux os par deux jours de pluie incessante. Elle n’en pouvait plus. Aussi se décidât-elle à demander de l’aide. Elle sentait que c’était sa dernière chance.
Elle entendit des pas approcher dans la rue adjacente à la ruelle où elle se trouvait et dès qu’elle le vit, elle commença à gémir faiblement. Elle tremblait de froid et de peur. Comment cette personne réagirait-elle à son appel à l’aide ? Elle n’avait de toute façon pas la force de s’enfuir.

Le vieux grincheux, en entendant ces gémissements, s’arrêta et se tourna vers la source de ces bruits. Il vit cette pauvre chose maigre, trempée et sale, qui aurait pu en dégouter plus d’un, mais il vit aussi ses yeux, ce regard à la fois triste, suppliant et apeuré. Ce regard fissura la carapace qu’il avait mis des années à se construire. Cette carapace qui s’était épaissie avec le temps au point d’avoir fait de lui ce vieux grincheux dont il était fier. Cette carapace ne résista pas un instant face à une telle détresse. Il s’approcha lentement pour ne pas l’effrayer, puis la prit dans ses bras.

—Ne t’en fais pas, bestiole, je vais m’occuper de toi. Ça va aller, lui dit-il tendrement.

Et pour lui montrer qu’elle avait compris, elle effleura le bout de son nez avec sa truffe humide et froide.

Pour ces deux êtres abandonnés, ce jour fut le début d’une nouvelle vie. Le vieux grincheux cessa de bougonner, au point qu’il se fit même des amis parmi ses voisins. La petite chienne, qu’il baptisa Mirza, à cause de la chanson de Nino Ferrer, reprit du poil de la bête. Et tous les deux affichèrent un sourire rayonnant lors de leur balade quotidienne dans le quartier. Ces deux là avaient enfin trouvé le bonheur et, pour la première fois depuis longtemps, Noël fut une fête pour eux aussi.