"Les réalités premières" de Jean-Yves Laurichesse

La parution récente de "Les réalités premières" de Jean-Yves Laurichesse me donne l'occasion de partager le plaisir de la lecture d'un auteur encore assez confidentiel, bien qu'il ait déjà publié une dizaine de romans et récits et plusieurs essais autour d'auteurs et de thèmes dont il s'est fait le spécialiste :Jean Giono et Claude Simon en particulier. Deux romans, un peu à la périphérie de ses sujets de prédilection,  lui ont été inspirés par la vie et l’œuvre de Bruegel l'Ancien ("Les chasseurs dans la neige"et "Les noces rouges selon Bruegel"). 

Son écriture majeure, en tout cas celle pour laquelle j'ai une préférence,  voisine  plusieurs fois avec l'autobiographie ("Place Monge", "Les pas de l'ombre", "Retour à Oppedette"...), s'attachant souvent à des lettres et des photos retrouvées pour redessiner le temps contre l'oubli. Pour exemple, la magnifique évocation d'une photo de son père dans "Les brisées" : "Par la porte-fenêtre ouverte sur le balcon, il entend la rumeur nocturne du déversoir. Il imagine les eaux noires du fleuve, crêtées de blanc là où affleurent des roches ou des branches noyées. Les grands oiseaux endormis sur la rive au creux des buissons. Les poissons remontant vers les sources. Dans l'immeuble d'en face, plusieurs appartements sont encore éclairés, théâtres minuscules où passent des ombres. La vie s'est retirée dans ses antres. Devant lui (...) la demi-lune d'une lampe d'opaline surplombe un petit oiseau rond en verre coloré de Murano, offert autrefois à Venise par sa fille. De part et d'autre du bureau, deux murs bruissant de livres et au creux d'une petite cavité à gauche, la photo d'un homme déjà âgé, dans une attitude qui lui était familière, le visage entre les mains."

Cette dernière publication appartient donc à ces réminiscences. Dans un tout petit format (12x15) édité à l'ancienne (papier bouffant ivoire, pages à découper) , son éditeur, La Guêpine s'est spécialisé dans la parution de textes inédits ou difficiles à se procurer. L'histoire est simple : dans les années soixante-dix, un jeune citadin, d'un milieu plutôt bourgeois, passe la plupart de ses étés dans une résidence secondaire voisine d'une ferme dans laquelle il côtoie une famille paysanne qui le laisse participer avec bienveillance à certains travaux. "Témoin passionné d'une certaine manière d'être au monde (...) il se souvient".

Des photos : celles du couple de paysans et de leur fils, celle du narrateur enfant avec un petit tracteur chargé d'herbe, se rêvant déjà paysan lui aussi (rêve auquel son père avait répondu en lui suggérant de devenir ingénieur agronome!) ponctuent le récit auquel s'entremêle le quotidien de la ferme. Dans ce quotidien, l'enfant est naturellement intégré dans des expériences "grandeur nature", auprès de "ces gens à la fois ordinaires et exceptionnels, parce que derniers représentants d'une paysannerie traditionnelle déjà condamnée à cette époque".