Au Bois-Des-Houx.

Dans le Bois-Des-Houx, il y a des houx aux gros bouquets de boules rouges. Des houx qui ne poussent pas n’importe où avec des houppes de piquants redoutables au bout de leurs feuilles vernissées. Ils forment une haie au carré   autour d’une chaumière un peu délabrée. Non qu’elle soit abandonnée car de sa cheminée s’enroule un ruban de fumée dans le ciel laiteux de cet hiver trop doux .

Dans ce cocon d’échardes, vit Mamadou le jardinier. D’où sort-il sa peau d’ébène et ses cheveux crépus ? Personne ne sait. Pourquoi il a décidé de faire son trou dans le Bois-Des-Houx ? Encore moins. Depuis belle lurette, le vieux relais de chasse du Comte de Lapérouse ne sert plus qu’à héberger un couple de hiboux, les murs ne valent pas un clou. Pas pour Mamadou qui en a fait un nid à sa convenance et surtout un lieu voué à sa subsistance. Il a fait comme chez lui au pays des zoulous et commencé par protéger la source de ses activités, d’où la haie de houx. Hé ! Hé ! Mamadou  n’est pas fou ! Il a bien vu tourner les renards du côté de ses poules, les biches et les lapins loucher sur ses carottes et ses salades.

Mamadou a déjà bottelé les poireaux, les carottes et ramassé les œufs de ses poulettes . On est mardi, jour de marché. Un marché inhabituel, c’est celui de Noël et le jardinier compte bien vendre quelques bouquets de houx pour décorer la table du comte de Lapérouse. Vite, il charge sa brouette et la dépose à l’abri, sous l’appentis jouxtant sa petite maison. Il sera prêt pour partir de bonne heure demain matin.

Aux alentours de minuit , la faune du Bois-Des-Houx reste tapie tremblante , qui dans son terrier, qui sur son arbre, qui derrière un buisson. Mamadou dort du sommeil du juste alors que sa haie de Houx défensive est éventrée. Un drôle d’attelage vient de tomber du ciel, avec sa troupe de rennes :

-Pourquoi t’as viré à gauche , j’t’avais dit tout droit Tornade. Le château du Comte, c’est TOUT DROIT. T’es toujours trop pressé !

-Oh ! ça va ,Tonnerre , tu te crois plus fort, mais j’voudrais t’y voir, sans nez rouge. C’est pas facile !

Danseur , le plus gracieux et Fringant le plus beau époussettent leurs robes blondes. Par chance, ils n’ont pas de mal. Furie , le plus puissant aide Cupidon à se dépêtrer de l’attelage, mais Tornade râle toujours :

-C’est pas ma faute si Rudolph a un torticolis. Pourquoi, le vieux , il a pas demandé à Eclair de faire le boulot .

-Ho ! Ho ! Ho ! Ho ! Le vieux , comme tu dis Tornade, il aimerait bien de l’aide pour se dépêtrer de là!

D’un même élan, toutes les ramures se tournent vers une tâche rouge encastrée dans la haie de houx . La barbe blanche du Père Noël est hérissée de piquants et les rennes, affolés, n’osent imaginer l’état du postérieur de leur maître. De concert  ils imbriquent leurs bois et soulèvent le pauvre homme jusque sous le chêne le plus proche, pour l’allonger sur le ventre . Hélas ! ses fesses ressemblent à un coussin de belle-mère, cette sorte de cactus, fort mal nommé, mais fort bien armé. Les rennes sont consternés, surtout Comète qui apporte le bonheur aux enfants. Ceux du village et les filles du Comte de Lapérouse, Comment vont-ils faire demain pour livrer tous les cadeaux ? Tornade n’est pas à la hauteur pour remplacer Rudolph et le traîneau ne sera jamais réparé à temps.

Le jour commence à se lever et la fumée à sortir de la cheminée. Mamadou est debout, une longue matinée l’attend. Quelle n’est pas sa surprise de trouver sa haie piétinée avec un drôle d’engin fracassé au milieu du houx. Il  court s’armer de sa fourche, c’est tout ce qu’il a pour se défendre ! Pas un bruit dans la clairière. Etrange ! Il s’aventure près de l’objet mystérieux. Bien vite, il comprend que la carcasse de bois a besoin d’être tractée. Des bœufs, peut-être ? ou des chevaux ? Prudent, il regarde à l’entour. Pas d’animal, un silence vraiment bizarre car le Bois-Des-Houx vibre toujours de pépiements d’oiseaux à cette heure matinale. Soudain, il entend un gémissement. D’instinct il brandit sa fourche en avant. Ça vient du grand chêne…

-AÏE ! OUHHH ! Que ça fait mal !

....................

-Du calme, grand-père, il en reste encore une bonne poignée.

Mamadou se concentre sur le postérieur du Père Noël qu’il épile avec sa grande pince à cornichons. Les houx sont redoutables et leurs piquants résistent. De plus Mamadou est soucieux, presque en colère. L’heure tourne ! Non seulement il a récupéré un vieux bonhomme au derrière hérisson, mais il n’a plus de brouette. Les rennes sont partis avec.

-Je vous assure, que c’était nécessaire, Mamadou ! Il fallait bien qu’ils s’entrainent avant  ce soir ! Rudolph est en incapacité de travail pour quinze jours au moins, ça tombe mal. Alors, je sais, une brouette, c’est pas comme un traîneau, mais ça aide pour apprendre à diriger. Là-haut, il y a un traîneau de rechange, on va vous rapporter votre brouette, n’ayez crainte !

Mamadou ronge son frein. Le vieux bonhomme s’est endormi. Mamadou lui a concocté un emplâtre de boue et d’herbe pour apaiser le feu de son derrière. 

Déjà 9h, quand soudain, un remue-ménage agite le Bois-Des-Houx. Le jardinier saisit sa fourche, en alerte sur le pas de sa porte. Il roule des yeux, effrayé: un énorme ballon rouge accroché à une nacelle vient de se poser sur le toit de sa maisonnette . Trois lutins débarquent une espèce de remorque. Mamadou fronce les sourcils, ce n’est pas sa brouette. Puis, ce qui lui semble être un vélo.

-Vous voyez Mamadou, on ne vous a pas oublié. Vous serez un tout petit peu en retard, mais avec une mobylette, vous rattraperez le temps perdu.

Et comme s’il lisait dans les pensées du jardinier, il ajoute :

-On vous a mis un bon d’achat à vie pour le carburant.

Le Père Noël  accepte l’aide des lutins qui, déjà le mènent jusqu’au toit par l’échelle de meunier. Ils grimpent tous les quatre dans la nacelle et la grosse montgolfière écarlate s’élève dans le ciel.

Personne ne saura que la livraison de Noël, cette année-là s’est faite avec 6 rennes et non 8. En effet, Rudolph souffrait d’un torticolis et Tornade a été victime d’un accident de brouette, juste à l’atterrissage en Laponie.

Il faut dire , à sa décharge que c’est pas si facile de pousser 6 rennes dans une brouette.