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Légende

Il y a 8 mois | 158 vues

Une façon d'aimer (Dominique Barbéris)

 En 1954, Mouloudji chantait :

« Un jour, tu verras, on se rencontrera,

Quelque part, n'importe où, guidés par le hasard,

Nous nous regarderons et nous nous sourirons,

Et , la main dans la main, par les rues nous irons. »

Voilà des mots qui donnent le ton d’"Une façon d’aimer », un roman qui met en scène Madeleine, une jeune Nantaise de 27 ans ,  sous la plume de sa nièce et les souvenirs de sa fille Sophie. Ce roman intrafamilial tout en pudeur, transporte le lecteur jusqu’à Douala au Cameroun dans les années 50, alors que Guy (mari de Madeleine) est employé de la Société des bois du Cameroun.

« Une façon d’aimer » nous plonge dans une histoire, d’aucuns qualifieront d’un peu rétro.  Elle l’est, joliment plantée dans son époque avec des chansons de Béart, Patachou, Dalida, la mode des jupes fleuries en corolles, l’atmosphère provinciale de Nantes, les référents cinématographiques : Madeleine a le look de Michèle Morgan. Jeune femme peu expansive, un peu guindée, elle se retrouve parachutée dans le milieu des expats, dans un pays inconnu et colonisé.

Bien vite, au Cameroun , elle ne se sent pas à sa place. Guy travaille beaucoup, elle s’ennuie, s’inquiète pour sa fille Sophie qui souffre du climat et ne partage pas les intrigues amoureuses de ce microcosme français, colportées par la rumeur . Rumeur qui fait peur à Guy qui la met en garde. Pourtant, un soir de réception, Yves Prigent, un fonctionnaire un peu étrange (espion ?) l’invite à danser…

Ce qui m’a conquise c’est l’atmosphère générée par l’écriture de D. Barbéris :

*Visuelle et incarnée pour les décors , en osmose avec le personnage de Madeleine ; « Quand il pleuvait, les gens couraient partout. Les pluies de ce pays avaient quelque chose de fatal, d’anesthésiant ; on écoutait sans fin la terre rouge les absorber ; on les écoutait froisser les feuilles grasses des avocatiers, des calebassiers, fouetter au loin le quartier africain, les entrepôts, les grues qui permettaient le chargement et le déchargement des bateaux à quai, le Wouri et la baie ; c’étaient comme de grandes douches qui nous lavaient de tout, qui par leur bruit de fond roulant occupaient entièrement la conscience ».

*Mélancolique, touchante et délicate pour exprimer les doutes, les peurs, les refus versos d’un consentement secret tant redouté, rendant Madeleine très attachante comme une héroïne romantique.

Le fil narratif m’a, au début, un peu déroutée et puis, j’en ai apprécié les différentes voix, celle de la nièce qui questionne et imagine , de la fille Sophie qui raconte ce dont elle se souvient, de Madeleine qui a écrit et conservé des articles de presse . Chacune a son point de vue et la vie de Madeleine se construit comme un puzzle sensible  autour d’ »Une façon d’aimer ». Une histoire pure et discrète, un non lieu sentimental se terminant tragiquement. 

C’est une jolie promenade littéraire récompensée à juste titre par le « Grand prix du Roman de l’Académie Française 2023 ».


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