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EglantineLilas
Légende

Il y a 4 mois | 102 vues

Nous vieillissons ensemble… Et alors ?

Prologue

C’est une douce soirée du mois de mai. Aussi loin que porte le regard tout au long de la baie, sur le tracé menant vers la Pointe Rouge, on peut apercevoir les lampadaires qui s’allument et scintillent au fur et à mesure que la nuit se fait de plus en plus sombre.

Marseille, comme tous les soirs, se pare et s’embrase des illuminations nocturnes. Martha s’attarde un instant sur le balcon, savourant cet instant où la lumière du jour fait place aux reflets des couleurs de la fée-lumière, sur la mer.

Cet après-midi, ils se sont longuement promené le long de la plage, main dans la main, flânant avec bonheur. Dès les premiers beaux jours, les plus hardis des baigneurs profitent de la mer et de la vaste étendue de sable bordée par des pelouses sur une partie de la Corniche, avant que l’assaut des lieux ne soit donné plus tard dans la saison, le plus souvent par les habitués, familles avec enfants, et sans compter les jeunes gens arrivant en bandes joyeuses. L’endroit est idéal pour les jeux de ballon et la détente, avant que la plage n’atteigne en période estivale, sa saturation d’occupation.

Il n’est plus de leur âge ces longs moments de bronzage allongés sur le sable, pas plus que les jeux, néanmoins le lieu se prête encore aux longues flâneries dans une quiétude relative, particulièrement en ce mois de mai, au climat plus que clément.

Comme d’habitude après-diner, ils ont desservi la table ensemble dans un exercice bien rodé, avant de s’installer dans le salon, pour prolonger ce moment qui précède leur coucher. Paul a retrouvé son fauteuil préféré et ne semble pas disposé à partager une quelconque discussion, découvrant avec plaisir, semble-t-il, le livre qu’il a acheté ce matin même.

Martha ne sait pas ce qui l’agace ce soir, rien ne pouvait présager cet énervement qu’elle sent monter en elle. Aussi, s’est-elle attardée dans la contemplation nocturne de la ville un long moment, retardant l’instant de retrouver son mari. Elle éprouve le besoin de croiser le fer malgré l’heure tardive, et c’est dès son retour dans la pièce qu’elle lance malgré elle la première pique :

– Paul, s’il te plait, quitte ce livre un instant et réponds-moi ! Nous vieillissons ensemble, et alors ?

–  Alors, quoi ?

– Est-ce ce à quoi nous rêvions lorsque nous avions vingt ans, à l’image d’Épinal à laquelle nous pensions ?

– Heu, mais je n’en sais rien moi ! Tu m’agaces, c’est quoi cette question ?

– Tu ne sais jamais rien toi !

– Pourquoi parles-tu d’image, on s’aimait et puis c’est tout…

– Et maintenant, on ne s’aime plus !

– Qu’est-ce qui te prend ce soir. Ce n’est pas ce que j’ai dit, maintenant, c'est juste différent…

Paul essaye de fuir la conversation en se plongeant dans son livre. Martha s’impatiente et tourne dans la pièce, déplaçant un bibelot, remettant en place une revue, la chaise qu’il laisse toujours au milieu du passage. Elle est bien consciente que la conversation est mal engagée, qu’une fois encore, s’il n’arrive pas à la faire culpabiliser, il va répondre forcément un mot ou une phrase qui va la blesser. Une petite voix intérieure lui susurre :

-  Arrête Martha, tu sais bien que Paul est ainsi fait et qu’il ne sortira rien de bon de vos échanges… Et puis il n’a pas tort, c’est quoi ce soir cette question ?

Martha sait bien, mais elle espère toujours une réponse qui va la faire sortir d’un mal-être qu’elle ne sait comment justifier, encore moins après une journée qui a été agréable. C’est plus fort qu’elle, il faut qu’elle continue à discutailler.

La voix de la raison qui l’habite souvent, est de sortie ce soir, elle a dû lui donner congé sans s’en apercevoir !

– Paul admet que se réjouir de voir des couples qui vivent ensemble plus de cinquante ou même soixante ans… et parfois même plus, c’est idiot !

– Allons bon, qui a fêté son anniversaire et que j’ai oublié ?

– Personne voyons, c’est juste une question…

– Enfin ça te prend comme ça, il y a bien eu quelque chose pour que tu poses cette question !

– Puisque je te dis… Peut être …je ne sais pas moi… Oui peut être cette photo sur le journal avec cette famille à la mine réjouit… Qui entourait leurs parents…

Paul adore ergoter, provoquant, titillant, cherchant le point où ça fait mal, jusqu’à ce que Martha perde son calme, et tant pis s’il est de mauvaise foi !  Ça met de l’animation dans une maison devenue trop silencieuse, dit-il parfois avec un petit sourire qui ne fait qu’énerver un peu plus Martha.  Seulement pas ce soir, car il a surtout envie de découvrir le livre qu’il a enfin déniché.

–        Je savais bien que quelque chose t’avait choqué, on se demandait quoi d’ailleurs ! Je ne te comprends pas, tu préfères ceux qui divorcent au bout de quelques mois ?

– Non, bien entendu que non, cependant se voir vieillir ce n’est déjà pas facile, alors ensemble s’il n’y a plus d’amour…

–  Il reste l’amour voyons… C'est quoi ces sornettes !

– Ah tiens, tu me fais rire ! Tu appelles ça de l’amour ? L’amour c’est… L'amour… Ce sont les corps qui s’enflamment…c’est…

– Et alors, il n’y a pas d’âge pour ça…

– Ah bon ! Quand j’y pense ! Les mecs, pour vous, le béat de l’amour, c'est quand vous avez votre petite gâterie,  beurk, tiens ça m’écœure !

Paul, éberlué, regarde sa femme et ne la reconnait pas, ce n’est pas dans ses habitudes de parler ainsi. Va-t-il entrer lui aussi dans ce genre de discussion dans laquelle il ne se sent pas le meilleur rôle… Excédé, il se lève,

– Bonne nuit ma chérie, je vais aller me coucher !

– C’est ça, lorsque les vérités te dérangent, fuit, c’est tout ce que tu sais faire ! Nous en reparlerons, ne crois pas la conversation terminée !

Il hausse les épaules et sans un autre regard vers Martha, il se dirige vers la chambre qu’il partage depuis quelques mois, seul avec lui-même. Qu’est-ce qui justifie que Martha ait eu envie de déclencher cette discussion juste ce soir-là, alors que tout est calme dans la maison et qu’elle juge, avec le recul du temps, plus que stupide ?

–  Le facteur déclencheur à ce drôle de sentiment de mal-être que je ressentais ce soir, a été provoqué par une scène où l’homme réclamait une « gâterie » à sa compagne que j’ai vu en zappant sur les programmes de la télévision ! Non, non, ce n’était en aucune façon un texte pornographique, ce n’est pas là où je trouve mes émotions C’est justement pour cela que j’ai trouvé la scène choquante, et que j’ai réagi avec une colère intérieure…oui, c'est bien ça, cette mise en avant du plaisir de l’homme demandé ainsi m’a mise en colère.

Serais-avec les années, devenue prude ? Certainement pas, j’apprécie aujourd’hui encore la sexualité dans le couple, bien qu’elle soit différente de nos premiers émois. L’acte en soi pour un couple amoureux, je dirai qu’il est normal si je puis dire, mais une demande à froid, beurk ! En fait, c'est ça ! C’est ce côté hors de tout sentiment qui m’a révolté ! Plus la photo sur le journal, de cette famille un peu gnangnan et je n’ai plus contrôlé mon humeur ! C’était stupide certes de m’énerver ainsi !

Dans les jours qui suivirent, Paul n’eut pas envie de revenir sur cette discussion qui l’avait en partie perturbé. Martha se sentant un peu honteuse de sa réaction, peu à l’aise pour poursuivre sur le fond, fit de même et le sujet fut clos entre eux, du moins ce soir-là, de façon un peu abrupte. Est-ce pour autant qu’aucun des deux n’y pensa par la suite ? Sans doute pas, si aucun des deux n’oublia vraiment pas cet étrange échange, la question en cause ne reçue pas de réponse franche et directe, du moins dans l’immédiat.