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EglantineLilas
Légende

Il y a 4 mois | 92 vues

PAUL

Il sait que dans l’état d’esprit où se trouve Martha ce soir, aucun argument n’aurait pu lui convenir. Certains moments de leur vie sont ainsi et il ne sait pas toujours pourquoi.

– Marthe et ses grandes questions ! Ce qu’elle peut être pénible parfois, moi qui pensais révolu le temps des discussions stériles !

À notre âge, est-ce que tout cela a un encore un sens ? Il faut toujours qu’elle cherche ce que j’ai dans la tête, d’ailleurs est-ce que je le sais moi-même ce que j’ai dans la tête, marmonne Paul en s’éloignant vers sa chambre pour que la discussion ne redémarre pas.

 Pendant des années, Paul a souvent parlé de faire chambre à part quand ils vieilliront, disait-il, en cas de maladie. En revanche, Martha se refusait à l’idée même de cette séparation nocturne,

– Une façon encore à toi d’être une fois celui qui décide et qui impose, lui disait-elle souvent.

- En aucune façon, je ne veux être celui qui impose ! Seulement par nature, je préfère anticiper les évènements que de les subir !

– Tu adores le rôle de patriarche devant qui tout le monde s’incline et aujourd’hui encore, répondait Martha.

– Ce sont encore tes idées toutes faites !

La discussion de faire chambre à part à une certaine période de leur vie était revenue assez fréquemment sur le tapis.

– Est-ce une cassure irréversible dans un couple que de faire chambre à part ? demandait Martha, perturbée.

– Bien des couples privilégient le confort, cela n’a rien à voir avec les sentiments ni même la sexualité !

Peut-être pour les couples qui adoptent cette manière de faire dès leur union. Si on tarde, l’un ou l’autre peut se sentir rejeté !

– L’amour, la tendresse, et même le désir, n’ont rien à voir avec le besoin de bien-être qui s’accentue lorsqu’on avance en âge, répondait Paul, agacé.

Après leur déménagement du pavillon où ils avaient vécu pendant plus de trente ans pour un appartement spacieux près de commerces ainsi que pharmacie, la décision ne s’est pas imposée immédiatement de faire chambre à part. Les choses prirent une nouvelle tournure au moment où Paul eut quelques soucis de santé. Les évènements décidèrent un peu pour eux.

Dans un premier temps, c’est sans se précipiter qu’ils prirent en compte la nécessité de réaménager la deuxième chambre, pour le cas où son utilisation deviendrait vraiment indispensable. Cette chambre, réservée jusqu’alors aux visites familiales ou amicales. Grand seigneur, Paul décida que c’est lui qui s’y installerait le moment venu. C’est donc en fonction de ses goûts, que lit et armoire et décor, furent choisis.

– Martha est plus attachée aux choses que moi et plus sentimentale

C’est une chose, que de décider de quitter plusieurs années d’habitudes et une autre, de passer à l’acte ! Plusieurs mois s’écoulèrent, un an passa sans que Paul  ne parle plus à aucun moment de déménagement dans cette deuxième chambre.

–        Actuellement, rien ne presse, ni justifie une précipitation quelconque, disait-il en réponse à Martha qui l’interrogeait parfois. 

Certes, il eut une époque où il avait trompé sa femme, pourtant cela n’avait jamais remis en cause le fait d’aimer les nuits passées avec elle, donc à plus forte raison actuellement ! Il ne fallait pas mélanger les distractions extérieures et l’amour qu’il lui a toujours porté.

– Les bonnes femmes ne veulent jamais admettre que c’est deux choses bien distinctes !

Alors qu’ils vivaient leur première vraie crise, un jour ou plutôt une nuit, Martha avait pris ses distances dans le lit, dormant assez loin pour que leur corps ne se touche plus. Cela avait duré un certain temps, voir quelques années même, puis petit à petit, elle avait retrouvé sa place, nichée contre lui.

Quelle tristesse, se disait-il en repensant à ce temps-là.

Regrettait-il le fait d’être – aller voir ailleurs - ? Rien n’est moins sûr, cela n’était pas dans son caractère de se sentir coupable, ce sont certainement les réactions de Martha qu’il déplorait !

Il faut reconnaître que la discrétion n’était pas son fort et aucune de ses incartades n’étaient restées très longtemps ignorées de Martha. Un peu comme si le fait qu’elle soit au courant l’aidait à ne pas franchir le pas de tout envoyer en l’air dans leur couple, ce qu’il n’avait jamais vraiment souhaité d’ailleurs. Il avait besoin de piquant dans sa vie certes, et n’était-elle pas devenue peut-être un peu trop sage ou trop occupée par les enfants ?  Ce dont il était certain, c’est que lui continuait à être très attaché à la cellule familiale qu’ils avaient construite ensemble, et sans aucun doute à sa femme aussi.

 Cette femme qu’il a continué à aimer malgré les aléas de leur vie, Paul réalise que depuis un certain temps relativement proche, elle le déroute par des prises de positions, des réactions, des décisions mêmes, qu’il n’aurait jamais soupçonné de sa part. Que dire de ses prises de position de ce soir, qu’il l’ont abasourdi !

Il s’est étonné auprès d’elle, avec quelques précautions inhabituelles de sa part, sur son changement d’attitude en général. Elle lui a répondu de façon très laconique que désormais, il en serait ainsi sans s’attarder en précisions quelconques et n’en a plus jamais dit un mot là-dessus. Non seulement, Martha ne subissait plus toutes ses décisions en disant amen, c'était indéniable, en même temps son humeur subissait des variations qu’il ne comprenait pas toujours.

– Il faut t’y faire mon ami Paul, dorénavant les choses sont en train de changer !

Les évènements ne s’expliquent pas toujours par un fait concret d’un jour, mais plus par une accumulation parfois de petits riens, une saturation d’une réalité devenue lourde à vivre au quotidien.

Curieusement, c’est tout en douceur que Martha déserte petit à petit leur chambre alors que la cohabitation est dans une phase sereine. Cela commença par quelques heures pendant ses insomnies qui deviennent de plus en plus nombreuses. Puis les heures se répètent jusqu’à ce que Martha s’installe à temps complet dans la chambre nouvellement aménagée.

C’est ainsi, que depuis quelques mois, Paul ne partage plus qu’avec lui-même la chambre conjugale qu’il est en train de regagner. La découverte du livre est remise à demain, Paul n’aimant pas lire au lit.