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EglantineLilas
Légende

Il y a 3 mois | 77 vues

Martha

Il faut dire que Paul ne s’était pas gêné pour collectionner quelques maîtresses dont elle apprenait toujours très vite l’existence. 

–        Qu’il me trompe, c'est déjà lourd à supporter, il ne va pas en plus me chasser de mon lit ! Il n’a qu’à partir s’il veut, pas question que j’en parte !

Certes, elle avait pris quelques distances lorsqu’elle avait découvert les premières liaisons de Paul, puis elle s’était de nouveau rapprochée de lui au fil du temps. Cependant, en vieillissant, d’autres problèmes de cohabitation existent et peuvent amener à faire chambre à part.

Il n’est pas toujours facile de subir, aussi bien pour l’un que pour l’autre, les inconvénients dus à l’âge.  Ils avaient mené leur vie contre vents et marées, - les vents - non seulement plus nombreux, souvent dus à des traitements médicaux, ont un parfum en vieillissant, parfois difficilement supportable. Le souffle du conjoint s’échappant des lèvres qu’on ne se lassait pas d’embrasser, devient maintenant le ronflement de l’un ou l’autre, plus ou moins important, qui vous empêche de trouver le sommeil. Quant au baiser qu’on déposait léger sur la bouche de l’aimé, c’est la rencontre de deux appareils dentaires ou au mieux, la rencontre d’un vide pendant que ces appareils font trempette dans un verre !

– C’est ça la vieillesse de l’amour ? beurk, se dit Martha les jours où son moral est au niveau bas.

Dans certains cas, ça peut être pire,   Martha, lorsque la maladie s’en mêle ! Est-ce pour autant qu’on doive se détourner de l’autre, lui répond la voix provocante.

– Jamais, je ne penserai une chose pareille, je constate simplement une réalité lorsqu’on avance en âge

Souvent Martha converse avec une petite voix qui se promène dans sa tête avec insolence, à défaut d’avoir envie de parler avec Paul. Elle n’est pas toujours d’accord avec Martha, cette petite voix bien audacieuse et qui ne se gêne pas pour lui faire remarquer les excès de certaines de ses réflexions.

– Martha, tu exagères dans tes propos, tu es cruelle en parlant ainsi de la vieillesse, il n’y a pas que ça !

– D’accord avec toi, mais c’est aussi un peu la réalité, certes lorsque l’amour est encore là, on ne s’y attarde pas !

– N’empêche que dit comme ça, l’image n’est guère belle !

– C’est une image qui me vient dans des moments où le couvercle de la marmite se soulève pour toute autre chose… Bien entendu que l’affection, la tendresse dans un couple, font oublier ces désagréments dus à l’âge.

 L’un se couche fort tard et l’autre se lève tôt ! La plupart du temps elle regagne le lit conjugal lorsque lui le quitte, non pas parce qu’elle le fuit, mais à cause de ces longs éveils qui viennent perturber son repos. Ils se croisent parfois dans le couloir et chacun fait un petit geste - souriant - de la main, sans rien dire, remettant à plus tard, dans la matinée, leur causette.

– C’est la faute de ces nuits perturbées où vous êtes trop fatigué pour travailler et pas assez pour trouver le sommeil !

Le canapé du salon lui offre l’asile dont elle a besoin, à moins que ce ne soit le nouveau lit, de nombreuses nuits pour ne pas déranger Paul, en bougeant et se retournant moult fois. En fait, elle n’a pas vraiment déménagé dans la nouvelle chambre, elle y dort depuis que ses nuits sont devenues trop souvent - blanches. Bien que le rythme du sommeil ne soit pas meilleur en changeant de chambre, c’est avec volupté qu’elle navigue d’un bord du lit à l’autre sans crainte de réveiller son mari.  Elle ne s’est point approprié le lieu, elle s’y sent plutôt en visite, toutefois, les livres qui s’entassent sur la petite table de chevet pour les fois où le sommeil tarde à s’installer, (plaisir qu’elle avait quitté jeune mariée), témoignent de sa présence. Ils côtoient, papier et stylo, pour noter des pensées qui pourraient s’être volatilisées au petit matin.

La chambre est restée en l’état, accueillante et neutre en même temps. Ses affaires personnelles restent dans la chambre conjugale, elle vaque ainsi d’une pièce à l’autre, sans se sentir exilée. 

Les nuits où le sommeil se fait désirer plus que de coutume, ce qui se produit de plus en plus souvent, son esprit vagabonde sans contrainte, comme si le fait d’être seule dans le lit lui laissait une liberté particulière.

Elle se remémore, une fois encore ou une fois de plus, les évènements qui les ont conduits sur le chemin de leur rencontre… à moins que la pensée ne s’attarde sur la route parcourue ensemble, sans regret ni amertume, quand ce n’est pas avec les dernières nouvelles des enfants et petits-enfants. Difficile pour Martha de ne pas se préoccuper de tout ce petit monde, et difficile de maîtriser ses pensées vagabondes.