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EglantineLilas
Légende

Il y a 3 mois | 82 vues

UN SOIR DE NOVEMBRE

 Exceptionnellement, un 2ᵉ chapitre ce jour, la suite de Martha.

C’est un soir de novembre, sombre et très venteux. La température est au plus bas à cause de ce vent qui souffle sans répit et qui a dû aller caresser les premières neiges du Mont Ventoux.

Malgré le fort mistral, le Rhône roule ses eaux en silence d’une berge à l’autre pour ne pas troubler les amoureux qui viennent se perdre tous les soirs dans ce coin de ville, à l’extérieur des remparts. Les péniches sont à quai, sans âme qui vive sur le pont, seule une petite loupiote à la lueur blanchâtre atteste de la présence d’un marinier dans sa cahute flottante.

Le bois flotté vient s’échouer doucement sur les rives et s’étend là pour profiter d’un repos bien mérité. Peut-être qu’un courant plus fort, poussé par le mistral un jour ou l’autre, lui fera reprendre à nouveau son voyage pour l’échouer plus loin, sur une autre rive ? Les lumières des lampadaires se font discrètes, et les rares passants accélèrent le pas en luttant contre le mistral tête baissée, le col relevé, l’écharpe bien serrée autour du cou.

Paul et Martha sont originaires tous les deux de cette petite commune de province traversée par le Rhône. Ils l’ont quitté dans leur adolescence en fonction de leurs études et n’y sont revenus que lors des vacances scolaires chez leurs grands-parents respectifs. C’est lors de ces joyeuses fêtes d’été qu’ils se sont rencontrés chez des amis communs. L’amitié entre ces deux-là se manifesta très vite, pour se transformer aussi, très rapidement, en attraction amoureuse.

Pas d’Iphone à cette époque, alors on prit l’habitude de correspondre un peu, puis beaucoup, et de plus en plus, par l’intermédiaire d’un facteur que l’on guettait chaque jour avec impatience. Martha revint la première au pays retrouver ses racines avec l’opportunité d’un emploi dans un office notarial en attendant de trouver un travail en adéquation avec sa formation.

Six mois plus tard, c’est Paul qui trouva un cabinet d’architectes qui voulut bien tester ses compétences et ses acquis pour un stage de quelques mois. 

L’accoutumance vint très vite à ces rencontres le soir après le travail, à ces promenades dans la ville qu’ils redécouvraient ensemble.  Les mains se cherchaient, les yeux s’embrassaient bien avant que les lèvres ne se rencontrent.

Les journées semblaient s’étirer sans fin pour nos amoureux et n’avaient de sens qu’à l’heure de leurs retrouvailles à la nuit tombée. Plus ils se découvraient et plus leur complicité paraissait évidente.

L’histoire ne dit pas, si ce soir de novembre, près des bords du Rhône, c’est le fort mistral qui les jeta dans les bras l’un de l’autre.

On sait juste que la statue de Lamartine fut témoin de leur premier baiser et des suivants. C’est ainsi que commença une aventure qui était prévue pour durer de longues, de très longues années.

Dans les contes de fée, les histoires de couples finissent toujours par, - ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants -. Dans la vraie vie, il en est souvent autrement. Ils n’en étaient pas encore à compter les creux de la vague, occupés qu’ils étaient par ce grand bonheur tout neuf. Des projets plein la tête, ils bâtirent des châteaux en Espagne, imaginèrent des voyages de rêves. Ils choisirent le prénom de leurs futurs enfants, les imaginant gambadant dans leur maison inondée de soleil, dans la maison qui ne pouvait être que celle du bonheur.

Ils vécurent intensément chaque instant partagé, dans une euphorie dont ils avaient du mal à sortir. Ils formaient un joli couple, disait-on, et l’amour semblait présent. Construire une nouvelle cellule familiale demande réflexion et voudrait qu’on se pose les bonnes questions, voir ce qui rapproche et surtout ce qui différencie, ce n’est pourtant une démarche qu’on peut s’attendre de jeunes gens amoureux, plus tard non plus sans doute. 

Vingt ans à peine, besoin de tendresse et d’amour, est-ce suffisant pour bâtir une vie ensemble ? Ils le crurent et se marièrent assez rapidement. L’amour fut présent pendant une décennie environ, avec ses emballements.

– On s’aimait si fort ! Il ne pouvait rien nous arriver de néfaste…

Pour eux, les baisers avaient succédé aux baisers. Ils s’étaient laissés emporter par ce courant émotionnel qu’on appelle l’amour passion.  La passion ? Savaient-ils seulement, ces deux-là, ce qu’était ? Ils ne savaient pas encore, que ce penchant fou embrase rapidement, mais comme la soupe sur le feu, elle commence à gros bouillons, puis la flamme devient plus douce et elle s’apaise inévitablement. Comment y penser au moment où l’amour vous embrase ?

Et pourtant ! C’est sans compter sur les habitudes, la fatigue, tous les petits soucis d’une vie à deux qui érodent plus ou moins les histoires d’amour. C’est ainsi que petit à petit arrive son déclin.

– Nous étions si sûrs de nous ! Le déclin, c’était pour les autres couples ! Pourquoi nous ? Nous aurions dû être épargnés… Nous avions beaucoup de richesses en commun : presque le même âge pour commencer, enfin pas beaucoup de différence… notre milieu social, notre niveau d’études, que sais-je encore… Notre même vision de la cellule familiale et puis, et puis bien entendu notre amour !

Insidieusement, sans faire de bruit, sur le chemin que l’on emprunte à deux, viennent se greffer des petits sentiers de traverse. Le plus souvent pour des petits riens et puis petit à petit pour des évènements plus importants. Et c’est ainsi, que si l’on y prend garde, on se retrouve à voyager sur des routes parallèles.

– Mais nous avancions toujours ensemble ! Alors, en apparence seulement ?

– Pas forcément en apparence et sur des routes parallèles… Toutes les routes ont des méandres, difficile de ne pas se laisser prendre… Il faut rester attentif et rectifier le tracé avant qu’il ne soit trop tard !

– Il faut parfois du temps avant de réaliser que les routes s’écartent !

– L’amour est la fleur la plus fragile au monde, et il faut du temps pour apprendre à la cultiver.

– Non, mais tu t’entends ! Tu n’as pas honte de sortir des clichés pareils ?

– Désolée, je n’ai pas trouvé mieux ! lui susurre la petite voix malicieuse.

Il en est certainement ainsi de toutes les histoires d’amour, n’avaient-ils pas juré cependant, comme tous les amoureux du monde, de s’aimer pour la vie ?

Tu me fais peur ! Avions-nous vraiment perdu notre amour ?

– Non, certainement pas pour vous deux, vous aviez juste oublié de le voir…

Les soirs de novembre sont toujours aussi gris et sombres. Hors les remparts de la ville, les rues sont désertes, le mistral souffle toujours avec autant de vigueur dans le couloir du Rhône. Les péniches à quai se fondent dans la nuit, les eaux n’ont plus de raison d’être silencieuses, et roulent d’un bord à l’autre des rives avec fracas.

Les passants se font rares et continuent à presser le pas. Depuis longtemps, la statue de Lamartine n’est plus là, les amoureux sont partis vers d’autres refuges.