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Légende

Il y a 8 mois | 92 vues

Peinture Fraîche ( Chloë Ashby.)

Dans ce roman (le premier pour Chloë Ashby) , on fait connaissance d’Eve (la narratrice) chez ses colocataires Karina et Bill , de Max, Suzon et Grâce, dans l’ombre d’une enfance spoliée par l’alcoolisme d’un père et l’abandon d’une mère.

Le récit s’écrit en présentiel pour certains personnages (Eve- la narratrice - et son père, Max) et avec  certains que je qualifierai de périphériques, voire occasionnels (Paul, Annie, Molly et Ralph), mais également en apartés avec Grâce et Suzon. C’est sur ces deux niveaux temporels que l’histoire d’Eve se dévoile et c’est sans doute ce qui rend ce roman original et accrocheur, car tout s’emboîte progressivement pour éclairer la personnalité et le mal-être de la jeune femme qui affleurent par touches sensibles et touchantes, un chaos de pensées tournant autour de l’Art, l’amitié et l’amour dans lequel la résilience peine à germer.

Les RV épisodiques chez la psy sont supplantés par celui qu’elle honore de manière assidue tous les mercredis auprès de Suzon dans la salle n°6 de l’Institut Courtauld. Une fascination, une projection, un conciliabule étrange qui se fait parfois à voix haute jusqu’au jour où Suzon disparaît : « Tout à coup je n’étais plus qu’un être inachevé, réduit à des os fracturés. Un jeu incomplet de souvenirs partagés, de simples fragments. » 

Qui ne connaît pas Suzon ? Une employée travaillant effectivement derrière le bar des Folies Bergères dans le tableau d’Edouard Manet réalisé au début des années 1880.  Ce tableau apparaît aussi dans le roman d’Éric Marty, Le Cœur de la jeune Chinoise ( Seuil, 2011), mais ici , il incarne sans doute , les interrogations existentielles d’Eve qui va quitter son emploi de serveuse et accepter un rôle de modèle, dans un atelier. Nue, sous le regard des autres, elle se dépouille de tout complexe d’apparence et se recentre intimement sur ce qui la blesse, petit à petit on découvre Grâce. Tout un symbole dans ce prénom comme le choix du titre !

J’ai beaucoup apprécié le style de cette autrice, et si je devais qualifier ma découverte de ce livre, je reprendrais ses mots : « En lisant, je caressais le dos du livre qui me faisait penser à une échine cambrée, des centaines de pages pareilles à des côtes décharnées ». Ils sont aussi à l’image du personnage cabossé qu’on apprend à aimer sans pathos intempestif. La part thérapeutique offerte à l’Art demeure ludique (dialogue avec Suzon), l’opportunité des rencontres (Annie, Max) nourrit le cheminement psychologique d’Eve qui trouve chez l’Autre matière à reprendre pied ou sujet à confirmer sa fuite douloureuse . C’est complexe, en fait, mais très humain.

A remarquer aussi, une bonne traduction par Anouk Neuhoff, c’est toujours délicat entre l’anglais et le français pour ne pas dénaturer le style de l'auteur.

Ce premier roman est éclairant sur les domaines de prédilection de l’autrice : Chloé Ashby est critique littéraire et critique d’Art ; à ce titre, elle a déjà publié: « Les couleurs de l'art - L'histoire de l'art en 80 palettes ». Cet essai a été sélectionné par le Times comme l’un des meilleurs livres de l’année 2022.

Un talent certain pour écrire un roman, une belle découverte pour moi en 2023. Je recommande.


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