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JR87
Explorateur

Il y a 3 mois | 69 vues

Chasse aux sorcières

Royaume de France, en des temps reculés.

Au couvent de la Pitié, un quatrième meurtre avait eu lieu. Le mode opératoire ne variait pas d’un pouce, si l’on pouvait se permettre cette formule… Toutes les victimes, des nonnes, avaient eu les poignets sciés et la langue arrachée. Comme il fallait que l’enquête avance et que le calme revienne, on avait décidé en haut lieu que les coupables ne pouvaient qu’être deux prostituées récemment accueillies au couvent et qui avaient été prétendument surprises en train de proférer des formules sataniques. Elles furent brûlées vives dans la cour du cloître. Les nonnes pouvaient retrouver la sérénité propre à leurs activités.

Jézabel, une sœur particulièrement lettrée, avait quand même des doutes. Des sorcières au couvent ? Allons donc, le lieu n’était pas propice à un tel scénario. Avoir une Bible à la main à longueur de journée, voilà qui éloignait pour sûr les impies. Jézabel décida d’en avoir le cœur net. Elle se rappela une technique infaillible qu’une de ses tantes avait mentionnée dans son enfance, au détour d’une histoire peuplée de fées et de gargouilles qui s’animaient. Armé d’un œuf pondu le Vendredi saint (première condition), et de quelques poils de chat noir (deuxième condition), on pouvait débusquer les sorcières, avait dit la tante. Il suffisait, lors d’une messe, d’aligner l’œuf entre sa pupille et une femme, pour savoir si on avait affaire à une sorcière ; si c’était le cas, apparaissait à travers l’œuf une corne bien visible sur le crâne de la femme. Pour que la sorcière ne comprenne pas qu’elle était démasquée, il fallait avoir des poils de chat noir dans sa poche.

Tout s’agençait parfaitement bien, car Pâques approchait, le couvent possédait un poulailler, et Jézabel y avait déjà vu traîner quelques chats sauvages égarés. Le Seigneur avait bien fait les choses…

Lors des vêpres du samedi pascal, Jézabel se positionna discrètement au fond de l’abbatiale. Elle avait bien arraché quelques poils à un chaton noir famélique, et disposait de deux œufs, un dans chacune des poches de sa tunique. On n’était jamais assez prévoyante, surtout quand on passait pour maladroite.

Elle passa chaque sœur au test de l’œuf. Aucune corne n’apparut, pas même sur la nonne qui préparait de mystérieuses tisanes atténuant les douleurs menstruelles. Certes, Jézabel se dit que ça ne prouvait rien quant aux deux sœurs qu’on avait brûlées sans autre forme de procès, mais au moins, si un autre meurtre devait avoir lieu, et qu’on réputait coupable une nouvelle nonne, Jézabel pourrait s’inscrire en faux. Avec quelles preuves cependant ? Dévoiler sa technique, c’était passer elle-même pour une sorcière, donc pour la coupable… En pleine réflexion, Jézabel, qui n’avait pas lâché son œuf, se rendit compte que Greta, la mère supérieure, s’était elle-même positionnée dans l’axe de celui-ci. Et c’était bien une corne repoussante qui se dressait sur la tête de sœur Greta. La cheffe des nonnes était donc la brebis galeuse, l’âme démoniaque du couvent. On avait ainsi sacrifié deux innocentes, car Greta avait dû diriger les soupçons sur elles pour mieux se protéger.

La nuit porte conseil, dit-on. Les fantômes des morts viennent converser avec les vivants, aussi Jézabel attendait pleine d’espoir les idées suggérées par les deux nonnes sacrifiées. Mi-consciente, mi-endormie, elle échafauda mille plans pour débarrasser le couvent de l’emprise de mère Greta. Aucun ne lui parut bien chrétien, loin de là… Finalement, elle se décida pour une solution assez triviale, en étant prête à subir le châtiment de l’Éternel.

Le lendemain, elle entraîna Greta dans une cellule cachée sous l’abbatiale, en prétextant y avoir découvert un cinquième cadavre. Elle assomma la mère supérieure d’un grand coup de coude dans la nuque, puis scella l’entrée de la cellule. Les cris de Greta ne pourraient traverser les épais murs en pierre.

Jézabel passa le reste de sa vie à prier pour que la mère supérieure ne puisse pas, par quelque pouvoir démoniaque, s’échapper de sa geôle ou renaître de ses cendres. Cela n’eût pourtant jamais pu arriver, car Greta n’était point sorcière. Ce que Jézabel avait pris pour une corne sur la tête de la mère supérieure n’était que l’ombre d’une gargouille qui, par une étrange coïncidence, s’était trouvée projetée sur le crâne de Greta. Pour autant, on raconte que de nos jours encore, lors du Vendredi saint, lorsqu’un promeneur passe au-dessus de la cellule cachée sous l’abbatiale, il est possible d’entendre quelques gémissements plaintifs.