Luciana Amorosi - L'opportunité d'une vie

Pour une fois, la classe est particulièrement silencieuse lorsque Mme Leone entre dans la pièce. Cette femme est très expressive. Nous savons tout de suite quand son cours s’annonce intéressant ou non, et là, au vu de sa moue passionnée, celui-ci s’annonce spécial. 

• Bonjour à tous, aujourd’hui, nous allons expérimenter un cours d’histoire différemment. Beaucoup d’entre vous considèrent l’histoire comme quelque chose d'abstrait. Aujourd'hui, nous allons la rendre concrète. Annonce-t-elle en laissant sa phrase en suspens. 

Intrigué, l’entièreté de la classe commence à s’agiter, impatiente de découvrir ce cours spécial. 

• Allez Madame, ne nous laissez pas dans le flou. Cri un élève du fond de la salle. 
• Vous allez explorer vos propres racines familiales ! Annonce t-elle enthousiaste, un énorme sourir allongeant son visage. 
• Excusez-moi ! En quoi remonter nos “racines familiales” nous aiderait en histoire ? Interrompt Christophe assis à ma droite, d’un air condescendant. 

L’ensemble des élèves se mirent à rigoler, moi y compris, considérant la prof comme une dégénérée. Bianca attrape mon bras gauche pour me faire comprendre qu’elle n’apprécie pas mon comportement. Je me marre avec le reste de la classe, qu’est-ce qu’il y a de mal à ça ? 

• Ouais, c’est vrai ça ! Jase un autre élève. 
• Car comprendre d’où l’on vient est essentiel pour comprendre qui l’on est. Plonger dans votre passé familial pourra vous aider à appréhender les histoires de notre pays. Informe-t-elle, troquant son sourire pour un regard confiant et dominateur. 

Je déteste ce genre de personne. Elle pense pouvoir me dominer ? Pff. 
Alors que toute la classe se calme, Christophe me lance un regard amusé avant de lever les yeux au ciel. C’est au tour de Bianca de se tourner vers moi pour partager une œillade complice. 

• ça s’annonce intéressant. On va peut être faire des découvertes intrigantes ! Déclare avec enthousiasme ma chère sœur jumelle. 
• Qu’est-ce que vous en pensez les gars ? C’est comme une quête vers nos trésors familiaux ! Cri Sabrina en se retournant vers nous sur-excité. 
• Mais quelle poête ! Tu as réveillé tout le monde au passage. Soufflé-je sceptique. 

Avec cet exercice à la con, je vais me reprendre la tête avec mon père. C’est inévitable. Lors de mon dixième anniversaire, j’avais qu’un souhait, savoir ce qui est arrivé à ma défunte mère. Il n’a jamais voulu nous en parler. Nous parler d’elle, de sa personnalité, des circonstances de son décès… Son silence à engendré beaucoup de disputes entre nous. Je n’ai pas peur de le confronter et de le forcer à me dévoiler ce fameux secret. Au contraire, Bianca, elle, préfère éviter les conflits. Ce soir, on va remettre le couvert, je le sais et je ne lâcherai rien ! 

• Pour vos premiers pas dans la généalogie, vous devez discuter avec vos parents puis avec vos grand-parents afin de recueillir certaines informations que vous devrez renseigner dans ce document. Ceci est un arbre généalogique vierge à reconstituer sur 4 générations. Explique-t-elle en distribuant le fameux document. 

Croisant le regard meurtri de Bianca, j’y lis de la tristesse. Elle prend ma main de la sienne, la serrant à mesure que les larmes aux yeux lui montent. Bianca est très émotive et tactile, elle est tout mon contraire. Je comprends tout de suite qu’elle songe à notre mère et à la confrontation inévitable avec notre père. 

Blessée, elle lève sagement la main pour faire part de son intervention. 

• Mais madame Leone, les recherches semblent entravées quand un être cher est absent. Demande-t-elle d’une voix serrée. 

Sans aucune empathie, Mme Leone répond d’un air hautain. 

• Dans ce cas, n’hésitez pas à contacter d’autres membres de la famille comme vos grand-parents. Cela paraît évident. 

Un coup de poignard en plein cœur de plus pour ma sœur qui serre ma main de plus en plus fort. Cette fois c’est la goutte de trop. Elle ose nous prendre de haut avec son regard de connasse. Fais du mal à ma sœur, tu as signé ton arrêt de mort ! Agacée par cette arrogance, une rage sourde monte en moi. Mon poing se serre, mes ongles pénètrent ma paume lorsque je l'éclate sur la table, me levant brusquement. 

• Et si ils sont tous morts ! Hurlé-je avec un regard rempli de défi.

Un duel de regards noirs s’installe entre elle et moi. Qu'elle ose être hautaine avec moi et je lui fais dévorer son arbre généalogique tout entier ! Une main délicatement posée, douce, ornée d'une bague en or attrape mon avant bras. 

• Ce n'est rien Luciana, elle ne connaît pas notre histoire. Elle va te répondre, assieds-toi s'il te plait. Supplie-t-elle. 

Elle a de la chance que ma sœur soit entre nous sinon, je n’aurais pas hésité à lui faire payer son arrogance. À contre-cœur, je reprends place, ramassant ma chaise tombée au sol. La fureur bouillonne toujours en moi, prête à exploser à la moindre étincelle.

Après un silence de mort dans la pièce, Mme Leone reprends. 

• En effet, il s’agit d’une situation délicate. Dans ce cas, vous devez contacter la mairie de la ville de naissance de votre parent absent, et faire la demande de son acte de naissance. Ainsi, vous aurez les informations nécessaires à renseigner dans votre arbre. Annonce-t-elle en m'évitant du regard. 

Le cours se poursuivit dans une ambiance animée. Mon interruption à excité les grands cancres - ceux qui profitent de n’importe quelle occasion pour perturber l’apprentissage des autres. Je n’ai pas écouté le reste de ce soi- disant “cours d’initiation”. Enfin, je n’avais plus envie de l’écouter ! Je suis restée à l'affût de quelconque enfoiré qui voudrait s’en prendre à ma sœur. Je n’attends qu’une seule chose, la sonnerie. Sortir de cette classe de merde. 

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