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Caroline7
Légende

Il y a 2 mois | 70 vues

Toile 1: le verre de vin - Johannes Vermeer

— … et cette robe vous sied à ravir. Elle met en valeur votre teint diaphane …

Il me bassine avec ses commentaires sur ma tenue.

— … je constate que vous n’êtes pas insensible à mes compliments. Vos joues se teintent d’une douce couleur rosée …

Le vin commence à me faire de l’effet si mes joues prennent de la couleur.

— Ne rougissez point, ma mie. Ce ne sont pas des compliments. Je ne fais que décrire la beauté qui s’offre à mes yeux …

Uniquement à vos yeux mon cher, uniquement à vos yeux.

— Ah, ma mie, vous n’êtes guère bavarde aujourd’hui.

Ce vin est tellement plus intéressant, bien qu’un peu fort.

— Savez-vous que , pas plus tard qu’hier, j’ai participé à une chasse à courre avec le duc de Morteplaine …

Ça y est, il embraye sur lui. A chaque fois, c’est la même chose : quelques mots pour tenter de me flatter, puis il parle de lui, lui et encore lui. Si seulement, il n’avait pas interrompu ma leçon de musique.

— … les chiens étaient surexcités à l’idée de …

Je ne sais pas pourquoi mon père s’est mis en tête de me marier avec cet énergumène imbu de sa personne. Non seulement ses conversations m’ennuient, mais en plus, il n’a aucun goût vestimentaire. Regardez-moi ce drap grisâtre qui lui sert de manteau. Et ce chapeau, il l’a sûrement volé à une sorcière lors de sa « chasse à courre » dans les bois. Sans parler de cette horrible peinture qu’il m’a offert. S’il n’avait pas insisté pour l’accrocher lui-même au mur, je l’aurais éventrée avec un couteau de table et j’aurais accusé un de mes servants de maladresse.

— … et je me suis élancé au galop…

Il tient à peine sur un cheval qui marche au pas !

— … j’ai vu dans les yeux du cerf sa résignation, il savait le destin que je lui réservais…

Il a sûrement préféré le suicide plutôt que d’entendre ses élucubrations. A moins qu’il ne soit mort de rire en le voyant s’agripper à son cheval.

— … gardé le meilleur morceau qui sera préparé par votre cuisinière pour le dîner de ce soir…

Et si je lui disais que j’étais végétarienne…

— Comme vous avez de la chance de vivre de si passionnantes aventures, mon cher.

—  Ah, ma mie, je suis ravi que mes histoires vous plaisent.

Oups, j’aurais peut-être dû me taire, ça risque de l’encourager. Je pensais pourtant avoir ajouté un brin d’ironie dans le ton de ma voix. C’est sûrement à cause du vin…

— Mais le temps passe si vite en votre compagnie, je dois déjà vous quitter…

Enfin, c’est pas trop tôt !

— Ne vous inquiétez pas, je reviendrai bientôt. Chaque instant passé sans vous à mes côtés est un instant de perdu.

Je crois que j’ai envie de vomir. Je ne sais pas si c’est à cause du vin ou de ce qu’il vient de me dire.

— Au revoir ma mie, dit-il en lui prenant la main pour la frôler de ses lèvres.

— Adieu, mon cher.

Pourvu qu’il comprenne l’allusion.
J’espère que le pichet n’est pas encore vide, j’ai bien besoin d’un deuxième verre pour me remettre de cette « passionnante » entrevue.