Les Tourmentés (Luc Belvaux)

Pour son premier roman Luc Belvaux (réalisateur-scénariste) entraîne le lecteur dans les tréfonds de l’âme humaine, joue avec les ressorts complexes qui font basculer les destins les plus marqués par la vie. La situation où gravitent les personnages m’a d’abord semblé tortueuse et peu crédible, mais je me suis vite piquée au jeu de cette chasse à l’homme à prendre au sens propre : une riche veuve  (Madame) passionnée de chasse, cherche à tuer une proie humaine . Sam son majordome est chargé de trouver la cible. Et il la trouve en la personne de Skender un camarade de légion. 

Ces deux-là ont fait la Bosnie, l’Afganistan , l’Afrique et bien d’autres pays où ils devaient leur survie à des combats acharnés. Ils se connaissent bien. Si Max a évolué au contact de Madame, Skenter a coulé. Pourtant marié à Manon, père de Dylan et Jordi, il est devenu SDF : « une vie d’invisible, sans amour, à la lisière du monde. La vie d’une ombre. »En parfaite connaissance de cause, il signe le contrat, il sera la cible de Madame moyennant 3 millions. C’est grâce à cet argent qu’il espère offrir un avenir à sa famille et peut-être retrouver son aura de père et d’époux, avant sa mort possible dont il ne dit pas un mot.

Ce qui m’a conquise dans ce roman, c’est la richesse des introspections. Chaque chapitre (court) fait part des réflexions d’un des personnages toujours exprimées avec JE. C’est profond, fouillé et l’on voit l’histoire évoluer. Les zones d’ombre s’éclairent ou bien s’assombrissent. Les points de vue s’amendent doucement, les enfants découvrent leur papa, Skenter s’accroche à ce bonheur fragile, il reprend pied dans la vie, dans l’amour pour Manon. Max est ébranlé, il voit cet ami perdre de sa vigilance, oublier la réalité cruelle de l’épreuve, alors que lui a déjà changé au contact de Madame. Il a peur, pour lui, le contrat lui semble soudain monstrueux. D’autant que Skenter a l’intention de tenir parole, il ne se dérobera pas à cette chasse à l’homme qui pèse aussi au-dessus de notre tête de lecteur jusque dans les derniers chapitres. Mais je ne dévoile pas l’issue de ces parcours que tout réunit et oppose à la fois.

Je n’ai pas pu lâcher ce roman, malgré son scénario cynique, ses nombreuses questions ,ses circonvolutions psychologiques, ces anticipations sur le futur mortel. Les personnages sont très attachants, infiniment humains , un vrai paradoxe dans un pacte qui frise avec l’horreur. Le style fluctue , allant de phrases elliptiques ou parfois très courtes à des longueurs dans l’expression, reflétant ainsi les états d’âme des différents protagonistes incarnés véritablement dans les étapes haletantes de leur destin. 

Un très bon moment de lecture que je recommande, merci Plouf ! Plouf.