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AMB37
Légende

Il y a 1 mois | 80 vues

Eschani, Sahar, Suzan et les autres.

Eschani sent un cœur qui bat contre son ventre. Elle veut chasser une mèche de cheveux poisseuse qui colle sur sa bouche mais elle ne peut lever le bras, ni se redresser, ni tourner la tête. Elle est bloc de pierre dans la poussière.

Un brouhaha de gestes et de paroles, une agitation lui parviennent amortis comme lorsqu’aux temps heureux elle jouait avec sa sœur à se cacher dans les coussins de soie posés en nombre sur le grand tapis persan du salon. L’atmosphère délétère sent la fumée, le sang, la peur.

Des vagues de chaleur l’oppressent sous le grillage de sa burqa . Le parfum des billes de cèdre suinte au-travers de cette cage de tissu  qu’elle gardait pliée dans le coffre de mariage de sa grand-mère. Jamais elle ne l’a portée jusqu’à ce matin.

L’adhan (1) s’époumonait  depuis la mosquée Abdul Rahman quand elle avait reçu  un message de Nesar son mari.

Il était déjà là-bas. Il avait les papiers. Ils pourraient tous les trois embarquer.

- Faqat khudh almal wahsul ealaa albarque! 'asrae ! inch'allah. (2)

 

Elle entend les hurlements des sirènes, elle perçoit l’air qui file, siffle, passe, repasse puis s’enroule autour d’elle, cherchant à l’étouffer. Elle devine une menace. Soudain un cri perçant : Saaahhaar !

On vient de lui arracher le cœur ! Il n’est plus contre son ventre.

-Go ! Go ! Take her away! (3 )

On l’empoigne, elle se sent ballottée, la douleur galope maintenant, tressaute au rythme d’une course qui l’évacue de  la porte d'Abbey .  Eshani geint puis s’évanouit.

 

Suzan arpente le hall de  l'hôtel Baron. La climatisation ne marche plus, l’air est lourd de relents de peaux confinées par la nuit passée debout à guetter .Sur le chemisier qu’elle porte depuis hier soir , la sueur marque de grandes auréoles sous ses bras, l‘angoisse froisse ses traits tout autant que son allure. Négligée et très soucieuse, Suzan vit un cauchemar. Elle n’a plus d’ongles, un vieux toc d’ado mal à l’aise avait refait surface, elle les avait tous rongés jusqu’au sang.  

Tout le monde attend ici, des hommes, des femmes, greffés à leurs portables, les yeux fixés sur la route sombre, cette gueule noire d’où un bus doit  sortir pour les évacuer. Le pont aérien  tient toujours, Harry vient de lui confirmer par SMS : 

- We will be able to embark,  honey be careful ! (4)

La jeune femme a entendu l’explosion qui a brassé des lueurs incendiaires dans la nuit de Kaboul du côté de l’aéroport là où un gros avion patiente tapi sur le tarmac. Il est minuit, les vitres explosent sous la  pulsion meurtrière d’un nouveau kamikaze, le téléphone de Suzan glisse violemment sur le carrelage, l’écran pulvérisé !

 

Sahar promène des yeux de biche apeurée sur ce qui l’entoure. Les gens courent, poussent des brouettes de fortune, traînent tant bien que mal des blessés, des ambulances hurlent. Son nez coule, des larmes dessinent des coulées sales sur ses joues griffées où perle encore du sang. La grosse main du soldat tient fermement la sienne quand il la hisse dans le ventre de  l’Airbus A400M .

-good luck Sahar, You will be a pretty school teacher.(5)

La petite fille grimace un sourire du haut de ses huit ans. Le soldat a été gentil avec elle, il lui a parlé pendant sa longue attente au check-point, elle lui a confié son « pour quand elle serait grande… ». Mais il y avait eu cet énorme bruit ! Depuis elle est mutique, la silhouette noire de sa maman fauchée au sol, la chaleur de son ventre où elle l’avait plaquée comme si elle désirait de nouveau la protéger dans son utérus, tout cela tourne en boucle dans sa tête.Elle porte une grande étiquette accrochée à son cou, un autre soldat la lit tout haut comme pour annoncer sa venue et des entrailles du monstre volant surgit un homme hagard.  Nesar son père.

 

(1 ) appel à la prière dans le monde musulman

(2)-Emporte juste l’argent, trouve-toi une burqa ! Fais-vite ! inch'allah.

(3)-Allez ! Allez ! Emmenez-la !

(4)-On va pouvoir embarquer, chérie fais attention !

(5)-Tu seras une jolie maîtresse d’école.