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mariefd
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Il y a 6 mois | 141 vues

"Les choses humaines" de Karine Tuil

« Les choses humaines » aurait pu avoir aussi pour titre « L’intime conviction »

L’intime conviction est une méthode de jugement permettant de prendre en compte l’acte à juger et la personne dans leur réalité et dans leur subjectivité, en ouvrant aux juges l’accès à tout moyen de preuve : par la parole, par la science, par les éléments psychologiques.

La loi dit aux juges comment décider de la culpabilité ou de la non-culpabilité. Elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes, dans le silence et le recueillement, et de chercher dans la sincérité de leur conscience quelles impressions ont fait sur leur raison les preuves et les moyens de défense. La loi pose cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : “Avez-vous une intime conviction ?”(articles 353 et 427 du code de procédure pénale). L’article 302 du code de procédure pénale rappelle que “l’accusé est présumé innocent, et que le doute doit lui profiter”. Ces textes montrent le lien, en droit français, entre l’intime conviction et l’appréciation des preuves, pour déterminer s’il y a culpabilité.

Dans ce roman de Karine Tuil, le lecteur est mis dans la position du juge, ou du moins du juré, devant la question de la culpabilité d’Alexandre accusé de viol par Mila.

Alexandre est le fils de Jean Farel, célèbre journaliste politique,  puissant et parfaitement introduit dans le milieu du pouvoir, et de Claire, essayiste, très connue pour ses engagements féministes.

Alexandre est un garçon brillant, paré de toutes les qualités, diplômé de l’université de Stanford et à l’avenir prometteur.

Mila est la fille d’Adam Wizman, aujourd’hui sans emploi, et de Valérie, devenue très pratiquante, dans un milieu juif très conservateur, surtout après l’attentat qui avait visé une école juive de Toulouse dans laquelle étaient scolarisées leurs deux filles. Elle est plutôt introvertie et sans éclat.

Les deux couples sont en pleine phase de séparation lorsque Claire et Adam se rencontrent, s’aiment et entament une vie commune pleine de promesses. Quand elle éclate, l’accusation va faire vaciller toute cette construction sociale.

Entre Mila qui a du mal à exprimer et à extérioriser ses sentiments, ce qui expliquerait l’effondrement psychologique réactionnel aux faits dont elle aurait été victime, et Alexandre qui nie le viol, se joue toute l’ambiguïté du consentement.

Les quatre premiers chapitres campent les quatre principaux  protagonistes du récit puis se déroule le procès jusqu’à son dénouement.

Karine Tuil  nous avait déjà alertés sur les hypocrisies de la vie contemporaine, en proposant une analyse sans complaisance de la société. Dès ses premiers romans elle abordait les crises existentielles et le rapport à la question juive. Puis elle s’est intéressée à l’ascension sociale et les rapports de domination. On retrouve tout cela dans « Les choses humaines », dans une atmosphère  post-Weinstein.

Alexandre est-il coupable ? Mila est-elle victime ou veut-elle se venger ? La vérité est-elle unique ? Interfèrent dans ce drame les différences de classe, de religion et la pression médiatique.

Le lecteur est suspendu au récit, attendant le verdict  tout en se délectant de cette radiographie très balzacienne du monde de nos élites intellectuelles. Il attend la déflagration. Ou plutôt la "diffraction", titre de la première partie. C'est-à-dire le comportement des ondes lorsqu'elles rencontrent un obstacle, leur déviation du point initial. On connait la nature du choc qui va permettre cette diffraction. Karine Tuil l'a annoncée dès la première ligne comme une quasi prophétie : « La déflagration extrême, la combustion définitive, c'était le sexe, rien d'autre - fin de la mystification."


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