Retour
visuel principal de la chronique
mariefd
Légende

Il y a 5 mois | 117 vues

"Un loup pour l'homme". Brigitte Giraud, 2017

Brigitte Giraud est sans conteste l'une des autrices marquantes de notre époque. .En 2022, elle obtient le prix Goncourt avec "Vivre vite" qui revient sur l'accident de moto qui a emporté son mari, en 1999, à l’âge de 41 ans.

 Son écriture est parfois fragmentaire, comme dans “J’apprends” (2005) ou dans le recueil de nouvelles “L’amour est très surestimé” (2007), parfois très  proche de la chorégraphie comme dans “Avoir un corps” (2013), qui s’inscrit dans le prolongement d’une lecture dansée. 

Le corps tient une place majeure dans l’écriture de Brigitte Giraud, qui tantôt adopte son point de vue pour narrer la croissance, tantôt en décrit les traces mémorielles et les blessures. C'est le cas dans  “Un loup pour l’homme” (2017), récit inspiré de l’histoire de son père lors de la guerre d’Algérie.

Antoine est appelé pour l'Algérie au moment où sa toute jeune femme est enceinte. Ne voulant ni combattre ni tuer, il est affecté à l'hôpital militaire de Sidi-Bel-Abbès. C'est à travers le prisme de tous ces corps démantibulés qu'il va mesurer l'atrocité de la guerre. La véritable raison de sa présence c'est "prendre soin". C'est auprès d'Oscar, amputé et mutique qu'il va réaliser cette vocation, l'aidant à tout réapprendre et entendant enfin son aveu.

Lila, sa femme, tout juste enceinte quand il part, ne tarde pas à le rejoindre. Le couple, dans ce contexte si troublant va tenter de maintenir son équilibre amoureux.

"La retenue est ce qui me touche le plus dans le monde" répondait-elle dans une interview de France Culture. Et c'est justement ce qui frappe dans ce roman : la retenue et la pudeur dans les rapports qui se dessinent entre les personnages. Pour exemple, ce moment où Antoine et Martin qui partagent le même baraquement ...: 

"Martin et Antoine vont marcher jusqu'à la citerne, c'est un début de soirée pas comme les autres, quelque chose de lourd pèse, le vent qui avait soufflé tout le jour s'est calmé, on n'entend rien, à part les chiens qui aboient au loin. C'est étrange ce silence. les bruits de la rue ne parviennent pas jusqu'à l'hôpital, on dirait que la ville s'est tue. Antoine demande si cette fille était importante. Martin ne sait pas répondre, il tord la bouche, et voilà qu'il se plie en deux. L'appel du muezzin les saisit pendant qu'ils fument adossés contre le mur. Ils écoutent, ils ne parlent pas, ils se laissent bercer par le chant, mais tout en eux résiste encore. Ils sentent comme ils sont en train de rater la vie qui aurait dû être la leur."

Les descriptions de l'Algérie sont magnifiques, même dans les moments d'horreur. C'est à Sidi-Bel-Abbès qu'est née Brigitte Giraud.

 La question de la mémoire enfin, aussi bien celle du drame intime que de l’histoire  collective, parcourt toute son œuvre littéraire


Alertes