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Il y a 11 jours | 51 vues

LA LOUISIANE (Julia Malye)

« La première fois qu’elle voit l’océan(…) Depuis le pont, elle fixe les vagues sombres, épaisses, argentées qui s’écrasent sur la plage, s’enroulent pour se fondre dans la ligne plate de l’Horizon. Elle ignorait que son regard puisse porter aussi loin. Jusqu’à présent elle n’avait pas véritablement saisi ce que voyager en Louisiane impliquait. Elle se dit qu’au-delà une telle masse d’eau, plus rien n’avait d’importance. Elle pourrait être libre. ». 

C’est ce que Geneviève espère en  faisant partie de la liste des 90 femmes  qui vont embarquer pour la Louisiane. On est en 1720, les colons français ont besoin d’épouses, de ventres à féconder pour peupler la colonie. Le roman  de Julia Malye nous invite à suivre plus particulièrement les parcours de Geneviève, Pétronille, Etiennette et Charlotte. Leur voyage dure plusieurs mois, dans des conditions éprouvantes qu’on a bien du mal à imaginer. Ces femmes ont été jugées et enfermées, chacune pour des motifs différents dans l'enceinte de la Salpêtrière . D’abord méfiantes, elles vont apprendre à se connaître et s’entraider à bord. 

L’autrice a le don de nous faire découvrir leur personnalité au-travers de leurs pensées les plus intimes, chacune se jauge, les introspections cheminent  tantôt dans l’angoisse, tantôt dans l’espoir, la boussole des destins fixe des caps entre les unes et les autres, envers et vers  chacune d’entre elles. La condition féminine dans la société du XVIIIème siècle sert parfaitement de trame pour camper le contexte de ce roman d’aventure au féminin. La documentation historique de Julia Malye est sans faille, c’est remarquable.

« Il faut des heures de navigation avant que les femmes ne voient le continent pour la première fois, perçant la brume bleue qui semblait jusqu’alors souder le ciel à la mer. Dans les pirogues le silence se fait. La Louisiane n’est pas très impressionnante. Lisse et immobile, comme tout ce qui se trouve loin ; les mouvements effacés par la distance, les nuages et leur jeu d’ombre sur la terre, les arbres aussi flou que des dessins d’enfants. Les femmes l’observent comme elles étudieraient le visage d’une étrangère. » 

Une belle expression que ce « visage d’une étrangère » ! Et un paradoxe, puisqu’elles viennent « coloniser », sans le vouloir, sans le savoir. Certaines auront un peu plus de chance que d’autres, mais elles accepteront toutes leurs destinées. Un  ou plusieurs maris, des enfants, des vies difficiles dans des terres incultes où les cyclones font des ravages . Loin d’être un eldorado rêvé, la Louisiane de l’époque (bravo pour la carte) se dispute aux Indiens . J’ai apprécié que l’autrice incarne leurs coutumes et leur point de vue d’ autochtones dans le personnage d’Utu’wv Ecoko’Nesel, jeune Indienne de la tribu des Soleille , tout comme le sujet de l’esclavage et le code noir sont évoqués grâce à Belle/Iyawa, la servante de Geneviève, issue du peuple yoruba. On a un panorama assez exhaustif des problèmes posés par la colonisation tout en restant dans une fiction où les personnages féminins apportent un peu de tempérance et  d’humanité. Elles ont leur lot de cruauté et de chagrins, c’est ce qui les soude tout en les rendant uniques. Leur amitié est indéfectible, une force qui les porte pour affronter les réalités patriarcales et coloniales du siècle qui les a vu naître.

Un bon choix pour la couverture que l’expression de ce portrait d’esclave d’Eugène Delacroix et une description judicieuse (à la fin) des expériences menées sur les vers à soie, presque une métaphore avec ce fil ténu, mais solide, dévidé des cocons qui serait perspective d’avenir pour Charlotte, Geneviève, Pétronille et toutes les autres. J’ai apprécié également la pratique de l’herboristerie partagée par Pétronille et Utu’wv Ecoko’Nesel, un symbole positif d’échange culturel entre Indiens et Colons.

 La Louisiane, un roman d’aventure dépaysant, une épopée historique parfaitement documentée, une histoire de femmes terriblement attachantes. Embarquez-vous dans ce pan de notre histoire, c’est passionnant, très bien écrit. Un beau voyage de 558 pages.

Merci à SophieCSB pour sa chronique qui m’a donné envie d’ouvrir ce livre.