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Il y a 4 mois | 121 vues

SOUVIENS TOI DE SARAH (PAGE COMANN)

 Qui veut manger à la gamelle du diable a besoin d’une longue cuillère…

Sage conseil pour entreprendre la lecture de cette enquête passionnante dont les clés sont littéraires. Plus qu’une longue cuillère il suffit de savoir manier l’acrostiche et l’anagramme , des pièces indispensables au puzzle du journal de Sarah. Proposés à Diane Stewart, éditrice chez Sandwood Publishing à Londres, ses feuillets nous transportent dans les espaces sauvages d’Irlande et d’Ecosse, les turpitudes d’une Noblesse, d'une Bourgeoisie et d’une Eglise dans les années 1960/1980.

Dès le début, j’ai été happée par le personnage de Sarah. Voilà comment elle se présente :

 « Je suis ici blottie entre ces phrases, au milieu de mes fragiles victoires et de mes nombreux chagrins. Ceux de la violence des hommes et de leurs désirs carnassiers. Ceux de mes mauvaises rencontres et de mon inconscience. J’ai osé me réchauffer à des feux qui n’étaient que des brasiers du diable et j’ai brûlé vive. »Pour tout dire, j’ai eu l’impression de m’embarquer dans une histoire du XIXème  siècle plusieurs fois au cours du récit,  alors que la protagoniste est née en 1950 (comme moi), mais de l’autre côté de la Manche. Les Beatles, les Doors, les Stones sont comme des sentinelles à bercer sa jeunesse et « Yesterday » chante au présent dans la vie de Sarah, comme elle a pu rythmer mes booms d’adolescente.

 Ce qui se passe dans ce roman est tout autre, c’est une histoire terrifiante que nous racontent Ian Manook et Gérard Coquetle sous le pseudo collectif Page Comann. Une histoire si habilement tricotée dans la mouvance scandaleuse de l’Eglise de l’époque, la férocité des luttes de clans dans les quartiers, la misère sociale dans les villes, que la fiction se fond dans la vérité historique. Ce qui se suggère ou s’évite ouvre des gouffres de vérités, une trame solide pour le contexte, une tragédie angoissante pour l’atmosphère.

Oui , des blanchisseries dans lesquelles des jeunes femmes tombées enceintes hors mariage (violées, prostituées, jugées immorales), travaillaient gratuitement, ont bien existé. Celles de la Madeleine exploitées commercialement par des religieuses catholiques et ce, de 1922 à 1996. Sarah sera confrontée à ce travail harassant. Mais qu’avait-elle donc à expier ?

Oui Tuam est tristement connu dans l’ouest de la république d’Irlande  pour les centaines de pensionnaires de l’orphelinat catholique du Bon Secours, enfants pauvres ou nés hors mariage morts des suites de négligences entre 1925 et 1961. Sarah y échappera sans connaître pour autant de meilleures conditions d’accueil à Glenamaddy, dans une ferme gérée par des nonnes qui n’ont rien à voir avec les Dames Irlandaises d’Ypres à l’abbaye de Kylemore. Le couple qu’elle forme avec le père Patrick marque à jamais la personnalité de cette héroïne en quête d’amour et de sécurité. Mais peut-on aimer le diable ?

Les péripéties qui l’amènent à fuir la font mûrir , c’est du moins ce que son journal (qu’elle appelle Mumiah) révèle au fil des extraits dont Diane Stewart l’éditrice s’empare pour en vérifier l’authenticité, retrouver son autrice ou ..son auteur . Presque comme si Page Comann délivrait sous couvert de ce personnage, le travail remarquable entrepris pour la documentation historique, la chronologie des évènements et la crédibilité des identités endossées, tout autant que la construction du roman qui alterne et entrecroise ce que raconte le journal, avec ce que l’enquête menée apporte. Un superbe challenge de composition et une écriture nerveuse et flamboyante pour nous parler de l’Irlande et de l’Ecosse :

« La route défile. Champs. Moutons. Prés. Moutons. Hameaux. Champs. Moutons. Le pays des farfadets. Des murets de pierres. Des villages déserts. Des haies de rhododendrons à n’en plus finir. Des ponts idiots sur des rivières tourbeuses. Et des nuages en contre-jour. Au bord du lac Swilly. »(Irlande)

« Paysage torturé de versants abrupts et de plaines infinies dont l’hiver accentue les reliefs. Les pluies dégringolent en cascades des pentes arides. Le long de la route étroite, les toits de chaume des rares maisons peintes à la chaux imitent le décor d’un dessin animé. Partout le paysage se dédouble dans le reflet des lacs immobiles. Devant nous, le Loch Leven. » (Ecosse)

A cela, il faut ajouter l’ambre tourbé des whiskys, la rousseur de la bière et la cuisine traditionnelle qui achèvent de nous plonger complètement dans le décor . Que dire aussi des dictons et des métaphores qui tombent à point, un vrai régal :

« on ne jette pas tout son orge à la rivière pour faire son whisky »

« On ne vole pas le pantalon d’un cul de jatte »

« afficher une tête d’horloge arrêtée »

« Attendre la monnaie sur un mignon » etc…

L’enquête menée garde son mystère jusqu’au bout, j’ai dévoré ce livre, n’hésitez pas, notez son titre dans votre PAL !❤️👍


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