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Légende

Il y a 15 jours | 33 vues

BORDER LA BÊTE (Lune Vuillemin)

Avant d’y chercher une histoire, j’ai rencontré une écriture magnifique. Elle m’a enveloppée dès la première page dans une atmosphère envoutante , une grâce contemplative qui m’a presque téléportée sur les lieux. Avec des mots, des images entre beauté et souffrance, lumière et obscurité d’une force sylvestre résiliente, la narratrice raconte comment son immersion dans la Nature sauvage canadienne pourra avoir raison de son chagrin : elle vient de perdre Franck son père de cœur (elle est partie de chez ses parents), est en chemin pour semer ses cendres dans la mer. La  tentative de sauvetage d’une orignale dans le Lac Petit lui fera rencontrer Jeff , un homme à l’œil de verre, et Arden, une grande femme aux mains étranges. Ces deux-là se consacrent aux animaux, ils les soignent, les sauvent des pièges et tentent leur réinsertion dans la nature. La jeune fille décide de rester au refuge.

Ce livre m’a tenue sous son charme jusqu’au bout. La plume descriptive de l’autrice n’est que sensualité pour nous faire entendre la forêt, la rivière Babine, les coyotes, les mésanges, les corbeaux, les renards, les Tannerites.. Quelle merveilleuse idée que cet herbier sonore qui collecte les impressions de Jeff et de la narratrice : « la forêt regorge d’histoires et elles ne sont pas les nôtres ». On devine que pour la jeune femme , c’est un bain rédempteur pour oublier, se retrouver, dans la pleine conscience d’être UNE dans un TOUT « Je note quelques mots dans le petit carnet, pour notre herbier sonore, mais ce sont surtout des mots de vide, d’absence, de secret, d’impalpable » qui cependant borde son chagrin et ses errances, d’où peut-être le titre « Border la bête ». Dans ce silence bavard, le personnage d’Arden et l’attraction amoureuse qu’elle fait naître tisse une histoire d’Humains où chacun espère un contact retrouvé, à soi et au monde.

C’est une lecture troublante, immersive. Choisir un extrait m’est bien difficile c’est comme si j’amputais l’histoire. Mais, voilà un portrait de Babine, la rivière :

«  Je décide d’aller voir si la rivière a plusieurs gorges, si elle fait passer entre ses lèvres un chant diaphonique ponctué de notes vibratoires et d’expirations hachées. Je tente de décomposer son chant, ses chants. Voix complexes, maîtrisées. D’abord est-ce que le mot rivière se rattache seulement à l’eau et au mouvement ? Ou bien la rivière est-elle aussi rochers, branches, feuilles, aiguilles, troncs d’arbres morts, lichen, cincle plongeur, loutre, terre, invertébrés, ombres comme le pense Jeff ? La glace et la neige, un étau. Babine cascade, blanche, sur quatre étages de rochers trempés et doux, passe sa langue râpeuse sur leur dos bossu. Cette langue se fend en deux, devient reptile. D’un côté elle rigole joliment avec ses effets auburn et verts, d’un autre elle s’impatiente et marche sur ses propres pieds, s’immisce dans une ouverture comme un filet, se marque de rides de vie avant de rejoindre l’effervescence des rapides plus bas. »

Merci à Mariefd  pour sa précédente chronique (il y a 2 mois) qui m’a donné envie de découvrir Lune Vuillemin. Son écriture m’a vraiment époustouflée.👍❤️