Retour
visuel principal de la chronique
AMB37
Légende

Il y a 4 mois | 146 vues

L’or des rivières (Françoise Chandernagor)

On connaît Françoise Chandernagor pour son talent à nous faire traverser les époques. J’ai dévoré l’Allée du roi », « La Sans Pareille’, pleuré sur « L’enfant des Lumières », « La voyageuse de nuit », toujours séduite par son écriture alliant l’élégance d’une phrase au piquant d’un avis sans détour. L’Or des rivières » est aussi sans détours, l’autrice ouvre la porte de son cœur qui bat pour la Creuse : « J’écoute les vents me raconter ce pays secret, l’asile de mes mystères, mes labyrinthes enchantés », tout en exerçant sans concession son regard critique : « Assises au bord tranquille de l’étang, nous (avec George Sand qu’elle convoque en pensée)médirions de Paris, cette ville arrogante qui, disait-elle »absorbe tout, les finances et les énergies ». Je soupirerais : « C’est encore pire aujourd’hui : la France a tout d’un chêne têtard, un gnome monstrueux, petit tronc et tête enflée »

Il faut dire que Françoise aime les arbres (amour que je partage), ils sont en bonne place dans cet hommage à la Creuse, le défrichement prohibitif qui dénature le paysage, le réchauffement climatique qui euthanasie des espèces, on ne peut qu’être au triste diapason de ses craintes et ses angoisses. Comment ne pas abonder à : « Le paysan est l’ennemi de l’arbre me disait mon père. Ennemi de l’arbre, il l’est autant à tire collectif, à travers l’action des communes et des départements, qu’individuellement. Pour agrandir ses parcelles l’exploitant abat tout. On m’objectera qu,il faut du bois pour se chauffer. Autrefois nos agriculteurs se contentaient de ramasser du bois mort dans les forêts (où il pourrit aujourd’hui), de tailler les haies par rotation, et d’étêter les vieux chênes : ils ne touchaient pas au tronc, mais coupaient les rejets qui chaque année repartaient de l’ancienne fourche.. Ces arbres n’étaient pas bien beaux sans doute, mais ils reverdissaient chaque année. Ils vivaient. Aujourd’hui vous n’en trouverez plus un seul dans nos prés : on les a coupés au pied. » Je peux en témoigner, hélas !  

Pour la romancière , la Creuse, c’est tout le pan familial du côté de sa mère, une lignée de maçons laboureurs qui 9 mois par an montaient sur la capitale . Le Paris Haussmannien est un Paris Creusois, sorti des mains habiles de ces hommes bâtisseurs nés dans le ventre de la France profonde, comme le sont de nombreux chantiers à Lyon. Ces migrants avaient certes du savoir-faire, mais ils étaient poussés par la misère. L’autrice rebondit judicieusement sur des anecdotes de son histoire personnelle pour évoquer l’impact du contexte historique sur la population creusoise et les aléas socio écologiques actuels. 

C’est une lecture agréable et foisonnante marquée par la personnalité rayonnante de Françoise Chandernagor. Définitivement installée dans une vaste maison du côté de Méasnes, dans le nord de la Creuse, elle parle de ce territoire enclavé administrativement comme d’une île où elle a trouvé refuge. Partageant son temps entre l’écriture, la lecture, le jardinage et ses 18 petits-enfants pour qui elle cultive aussi l’art de la transmission, elle nous confie son attachement viscéral pour la nature, « Un méli-mélo de taillis et de roches grises, un tohu-bohu de collines couronnées de minuscules parcelles aux formes improbables – triangulaires, rondes ou octogonales – et d’une épaisse future d’arbres qui finissait par recouvrir ces prés grands comme des mouchoirs. »

Les quelques mots de patois, la partie de pêche, les portrait adorables des fadas du village, la magie noire avec ces culottes « petit-bateau », la dérive des veillées, autant de chapitres que j’ai dégustés tant ils sont racontés avec tendresse ! Certains y verront peut-être  un roman du terroir, une saga familiale, mais c’est plus que cela. Le regard éclairé de l’autrice plaide pour la préservation d’un espace naturel en péril.

Merci Madame Chandernagor.❤️👍

*En ce moment, la Creuse s’enjuponne d’énormes bouquets d’or.  Ceux des genets qui ,sur les friches déchiquetées par les tronçonneuses, remplacent petit à petit les beaux tapis de bruyères mauves. Guillaumin et Monet n’y retrouveraient plus leurs palettes.


Alertes