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Il y a 3 mois | 183 vues

Essai sur la vie et l’œuvre de l’artiste peintre Japonais Hiroshige

PRÉAMBULE

Au Japon le sentiment de la nature est très puissant et le cycle des saisons rythme la vie sociale,

« Si, lorsqu’on va voir les fleurs au printemps, la Poésie n’existait pas, il n’y aurait personne pour connaître couleurs et parfums : où pourrait-on trouver le sens fondamental des choses ? »

Ce texte du XIIe siècle donne la mesure de la place qu’occupe la poésie dans la culture japonaise, et du rôle essentiel qui est le sien : rendre le monde visible en exprimant les sentiments qu’il vous inspire.

Cette proximité des Japonais avec la nature et l’attention qu’ils portent aux cycles saisonniers explique que l’automne – avec le printemps – fasse partie des thèmes les plus présents dans la tradition poétique.

Du rougeoiement éphémère de l’érable et sa disparition après les chutes de feuilles invite donc chacun à méditer sur la brièveté de toutes choses comme la fragilité de l’existence humaine.

C’est sur cette pensée du fugace que s’est fondé au XVIIe siècle, le mouvement Ukiyo-e donné par le poète Asai Ryöi (1611-1692) :

« Vivre uniquement le moment présent,

se livrer tout entier à la contemplation

de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier

et de la feuille d’érable… Ne pas se laisser abattre

par la pauvreté et ne pas la laisser transparaître

sur son visage, mais dériver comme une calebasse

sur la rivière, c’est ce qui s’appelle Ukiyo-e »

 

TECHNIQUE DE L’ESTAMPE JAPONAISE

1 – L’illustration est d’abord dessinée par l’artiste soit au pinceau soit à l’encre de chine,

2 - Vient ensuite le graveur sur bois (xylographie),

3 - Les couleurs sont posées par l’imprimeur,

4 - L’éditeur assure la publication, la promotion et la distribution.

L’art de l’estampe japonaise trouverait son origine chez le peintre Hishikawa Moronobu (1618-1694), certains pensent même que cela remonterait bien avant lui.

L’histoire de l’Art japonais rappelle que les premières illustrations du type Ukiyo-e étaient des dessins sur papier Washi*.

C’est en raison de la forte demande en estampes, pendant la période Edo (1603-1868) que ce style s’est transformé en mouvement artistique qui intégrait à la fois le dessin, la gravure sur bois et l’impression polychromatique.

Différents noms distinguaient chacun des acteurs de cet Art :

- l’artiste était appelé Eshi

- le graveur Horishi

- l’imprimeur Surishi

- l’éditeur Hanmoto 

Au début, les estampes étaient réalisées uniquement en noir et blanc. Ce n‘est qu’en 1660 qu’elles furent rehaussées d’une couleur orangée, à la demande du public. Les estampes polychromes ne virent le jour que vers 1765, grâce au peintre Suzuki Harunobu. Les Japonais se servaient initialement de ce support pour faire de la publicité.

*papier Washi est un papier à la fois très résistant et souple à base de fibres de mûrier (kozo) et de gentiane (gampi) entrelacées d’une force de 3g à 250gr.

 

Utagawa HIROSHIGE dont le nom de naissance est Andö Tokutarö (1797-1858). 

Il est, sans conteste, avec plus de 5000 estampes, l’un des plus grands artistes dans le domaine de l’Ukiyo-e.

Au XIXe siècle, c’est grâce à la diffusion des estampes colorées et peu coûteuses que la représentation des paysages et leurs féeries, a connu un immense succès populaire.

Si l’art du paysage est celui où excelle Hiroshige, il le doit en partie à son maître Utagawa Toyohiro (1774-1829) qui fut parmi les premiers artistes japonais à développer cette thématique.

Orphelin depuis peu, le jeune homme entre chez lui à l’âge de 14 ans, comme apprenti où il montre rapidement des capacités exceptionnelles telles que son maître en fait son assistant. A son décès, c’est à Hiroshige qu’est confiée la direction de l’atelier.

Au cours des premières années de sa gestion, il prolongera la tradition du maître en élaborant des séries d’estampes de belles femmes, de guerriers célèbres et d’acteurs de Kabuki, genre populaire qu’il n’abandonnera jamais totalement

A 37 ans, il atteint la notoriété avec la série des «Cinquante trois étapes de la Route du Tokaïdo», réalisée entre 1832 et 1834. Cette route reliant la nouvelle capitale Edo la ville Shogunale à Kyoto, la ville Impériale, était l’axe central et principal du Japon de l’époque.

Cet album se révéla être un extraordinaire succès comparable à celui des «Trente six vues du Mont Fuji» par Katsushika Okusaï (1790-1849) qui lui est contemporain.

Dès lors, il multiplie ce type de séries pour lequel il sélectionne les meilleurs éditeurs, les meilleurs ateliers de gravures et d’impression. Né et vivant à Edo, il connaît les particularités de chaque quartier de sa ville, de sa population et ses activités spécifiques.

En revanche , il n’a pas visité tous les lieux lointains qu’il dépeint dans ses estampes. Il aimait découvrir de nouveaux horizons et l’on sait qu’en 1841 (il a alors 44 ans), il se rend dans la région de Kai à l’ouest de Kyoto. En 1852 (âgé de 55 ans), il se rend dans les provinces de Kazusa située à l’ouest , dans la péninsule de Honshu et d’Awa , près d’Osaka encore à l’ouest , puis, en 1854, il est envoyé une seconde fois en mission officielle à Kyoto. Ses journaux de voyages attestent des lieux où il a séjourné, croquis et poèmes haïku à l’appui.

Mais comme cela se pratiquait couramment, autrefois, et sans que cela porte à critique, Hiroshige n’hésitait pas à s’inspirer d’œuvres existantes pour les sites qu’il ne connaissait pas, c’est le cas pour «  Paysages célèbres des Soixante Provinces du Japon ».

Toutefois, il ne s’agit pas de copie servile, il modifie et insuffle son style au dispositif pictural d’un dessin antérieur, en exprimant avec subtilité le temps et la saison, créant ainsi une œuvre lyrique au charme très différent de l’original. Ce qui l’a contraint à réinventer le format.

Pendant de longues années, il utilisait le format horizontal mais, à la fin de sa vie, il adopte le format vertical, comme pour l’album des «Paysages célèbres des Soixante Provinces du Japon», dès lors, il doit modifier les vues dont il s’inspire.

Si l’œuvre d’Hiroshige a rencontré un tel succès auprès de ses compatriotes et jusqu’en Occident où de nombreux peintres impressionnistes se sont inspirés de ses estampes, comme on le sait, cela s’explique non seulement par l’élégance de ses compositions mais aussi par le raffinement de ses procédés techniques qui participent à l’atmosphère poétique de ses estampes. Hiroshige aura ouvert la voie aux représentations de la vie quotidienne et de divertissement de toutes sortes signées par de grands maîtres tels que Suzuki Horunobu, Katsukawa Shunshö et plus tard Kitagawa Utamaro.

Le paysage ne devint un thème à part entière qu’au début du XIXe siècle, et c’est avec Hokusaï qu’il atteint son épanouissement. A sa suite, Hiroshige, plus jeune de dix sept ans, multiplie les albums de sites célèbres et porte le genre à son apogée. Après lui, aucun artiste n’atteindra ce degré d’excellence et l’influence de l’Occident, à partir de l’ère Meijii (1868-1912), jouera un rôle très négatif dans le domaine de l’estampe de paysage avec l’introduction de nouvelles techniques d’imprimerie, de pigments chimiques et, surtout, de la photographie.

Hiroshige meurt le 12 octobre 1858, à Edo, emporté par une épidémie de choléra. Son dernier album est consacré à sa ville natale : «Cent vues Célèbres d’Edo».

La série des « Trente six vues du Mont Fuji » en format vertical, paraît après son décès et publiée par son élève Hiroshige II qui repris son atelier.

Avant de disparaître, il laisse un bref poème funèbre ou se manifeste une dernière fois son humour :

"Je laisse mon pinceau sur la route d’Azuma ( dans ce monde)

je m’en vais voir les vues célèbres

du Paradis de l’Ouest (du Bouddha Amitabha
 

Je tiens à remercier Anne SEFRIOUI, éditrice spécialisée dans le domaine du livre d’Art, auteure et responsable d’édition indépendante chez plusieurs éditeurs, pour ses commentaires sur la vie et l’œuvre de Hiroshige, qui m’ont aidé, en partie, pour réaliser cet essai.

Les livres cités en italique, sont parus chez l’éditeur HAZAN qui reproduit avec grand soin , un fac-similé de l’édition japonaise , en pliage accordéon.