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Légende

Il y a 3 mois | 136 vues

Né d’aucune femme (Franck Bouysse)

Un enfant est né des entrailles sordides du domaine de la Forge pour être bercé par l’amour d’une femme pendant 7 jours, rêvé tendrement 14 années durant, dans la cellule d’un asile sous la coupe d’un horrible médecin vénal. 

C’est l’histoire poignante de  Rose ( un prénom si joli de fleur délicate) vendue par un père plus rustre qu’aimant, violée sauvagement par Charles, un maître brutal,  houspillée par une vieille sans foi ni loi , avide de descendance. Seule la présence effacée d’Edmond plane comme une promesse, celle d’un possible bonheur qu’on pourrait croire avorté si, en lectrice sensible et horrifiée par le destin de Rose, j’avais laissé en chemin, ma lecture. Mais on ne peut pas abandonner Rose, ses cahiers , ses pauvres mots , jetés comme des petits cailloux blancs dans l’enfer vécu. Je les ai ramassés jusqu’au bout, mettant tout mon espoir, une fois n’est pas coutume, entre les mains d’un homme de Dieu, Gabriel. 

Dans tout ce monde dantesque, la place et le rôle de chaque protagoniste soulèvent la question de la domination masculine, la force brute et virile écrasant les plus faibles. Rose bien entendu, mais aussi Onésime, Edmond, le médecin, la vieille subissent la férule de Charles , un mâle abject au pouvoir monstrueux .  Finalement je sais gré à Bouysse de ne pas avoir situé nommément son histoire, même si l’ancien monastère de chartreux existe bien non loin de chez lui. De savoir que la vente d’une fille par son père soit la source réelle de son roman rend le fait-divers encore plus effrayant. En l’incarnant avec Rose, Bouysse  prend le risque d’outrepasser la lumière cruelle de la crédibilité dans tant de noirceur. Ne dit-il pas : « La littérature est là pour tenter d’exprimer l’indicible, ce qui comporte une part de danger- sinon à quoi bon ? » . Mais son récit enfle aux franges du drame , la fatalité s’épanouit comme un parasite vénéneux dans  la vie simple de Rose. Rose que l'on écoute...

Rose ! Un personnage fascinant ! Son énergie à se raconter pour survivre et juguler la haine m’a bouleversée. Sa tendresse pour les mots qui pansent sa solitude, la préservent de la folie m’a beaucoup touchée : « Les mots passent de ma tête à ma main avec une facilité que j’aurais jamais crue possible, même ceux que je pensais pas posséder…(…)Les mots, ils me font sentir autrement, même enfermée dans cette chambre. Ils représentent la seule liberté à laquelle j’ai droit, une liberté qu’on peut pas me retirer, puisque personne, à part Génie(son infirmière) sait qu’ils existent. » On n’a qu’une envie, prendre Rose dans nos bras.

C’est sans doute le plus beau roman qu’ait jamais écrit Franck Bouysse. Ne vous en privez pas, il est sorti en Poche.