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SophieCSB
Champion

Il y a 2 mois | 130 vues

Plus grands que le monde, de Meredith Hall

Etat du Maine, USA, 1948. Doris et Tup vivent dans leur belle ferme familiale avec leurs trois enfants : Sonny, Dodie et Beston. La vie leur parait parfaite, entre les travaux des champs, le bétail à soigner et la maison à entretenir. La solidarité entre tous les membres de la famille est quotidienne. Sans négliger l'école, les enfants apportent leur pierre à l'édifice de ce bonheur presque naturel et sans faille.

Puis survient le drame : Sonny meurt accidentellement.

A partir de là, chacun va devoir vivre avec cette douleur et ce poids dans le coeur. Si Tup trouve sa voie dans le travail puis chez Helen, une femme d'affaires de la ville, Doris se laisse tomber dans un gouffre sans fond duquel elle peinera à émerger. Quant à Dodie et Beston, ils s'aideront mutuellement, se donnant la chaleur et le soutien que leur mère n'arrive plus à leur communiquer.

Passeront ainsi une vingtaine d'années, entre tristesse, résilience, regret et courage. Certains événements familiaux apporteront un peu de joie avant que le deuil ne soit complètement assimilé par Doris, changée à jamais.


La perte d'un enfant est probablement l'événement le plus douloureux qui puisse avoir lieu dans une famille. Ce n'est pas dans la logique des choses et la culpabilité s'installe forcément chez les parents, voire les autres enfants.
La reconstruction de cette famille prisonnière d'un deuil est bouleversante de réalisme et de franchise. Les sentiments de Doris sont extrêmement bien analysés, entre déni et lâcher prise. Doris sait qu'elle doit réagir, reprendre sa place dans le quotidien de la famille, et ne pas tout laisser à Dodie qui n'est encore qu'une enfant quand le drame arrive. C'est poignant à lire. Et quand son mari fait son propre chemin pour trouver le réconfort dont il a besoin lui aussi, elle laisse faire, n'attendant plus rien de personne. La culpabilité de Doris est immense et comprendre que la vie doit suivre son cours sera difficile à assimiler.

Que dire de Tup, homme fort et attentif aux autres, aimant avec ses enfants et si fière de sa femme ? Il est finalement aussi désemparé que Doris, mais trouve une échappatoire en la personne d'Helen. Il le dit lui-même : elle n'est qu'un arrangement à sa solitude, jamais il ne quittera Doris. Alors on peut penser beaucoup de choses de lui, mais il s'est trouvé un pansement temporaire à sa blessure, tout seul. Très égoïstement, il a surtout pensé à lui, et non à Helen et à l'enfant qu'il aura avec elle, ce qui sera la faute qu'il portera en lui toute sa vie restante. J'ai trouvé cette vision des choses très intéressante, un point de vue masculin sur un sujet souvent traité via la douleur de la mère.

L'évolution de Dodie et Beston est encore plus structurante pour leur vie d'adulte. Encore enfants quand ils perdent leur frère, ils vont devoir se serrer les coudes. Avec le soutien de leur père, ils vont avancer tant bien que mal, Dodie prenant en charge la maison, et Beston aidant aux travaux de la ferme. Devenus adultes, ils prendront chacun la voie qui leur parait la plus apaisante pour eux.

Et puis il y a cette ferme, lieu de vie et de travail, passant des mains d'une génération à une autre génération. C'est un lieu de paix et de bonheur avant d'être le décor du drame. Elle nourrit, elle protège, elle vit avec la famille qui l'entretient et l'occupe pleinement. Il y a aussi les animaux qu'il faut soigner, nourrir, élever, vendre ou tuer pour la viande qu'ils apportent. Et il y a les champs, leur blondeur ou leur noirceur, selon la saison, les arbres qui bruissent, les cerfs qui traversent les vergers. C'est tout un paysage poétique et rempli de grâce, un paradis sur terre avant la tempête. Les images viennent tout de suite en tête, c'est apaisant et rend rêveur.

Tous ces éléments forment le cadre d'une histoire aussi chaleureuse qu'émouvante, entre saga familiale et récit plein d'espoir. Meredith Hall a un vrai don de conteuse et un style lumineux où son analyse de la nature humaine n'a d'égal que son écriture précise et élégante. Un merveilleux roman sur l'amour sous toutes ses formes qui restera longtemps dans ma mémoire.