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SophieCSB
Champion

Il y a 2 mois | 112 vues

Filles de la mer, de Mary Lynn Bracht

Ile de Jeju, sud de la Corée, 1943. Hana et sa jeune sœur Emi sont fières d’appartenir à la communauté des haenyeo, ces femmes qui plongent tous les jours pour subvenir aux besoins de leur famille. Mais cette petite ile est occupée par les Japonais. Ces derniers y font régner la terreur, cherchant par tous les moyens à éradiquer la culture coréenne. Ainsi, ils n’hésitent pas à enlever les jeunes filles pour les envoyer en Mandchourie pour y servir de « femmes de réconfort » pour les soldats japonais. Et un jour, Hana est enlevée en voulant protéger sa sœur qui, elle, a pu fuir. Une vie de misère et d’asservissement commence pour elle.

Ile de Jeju, 20011. Emi est une grand-mère dont la santé décline. Elle pense de plus en plus à sa sœur disparue et à ses parents morts eux aussi. Chaque année, elle va voir sa fille à en ville et participe aux manifestations devant l’ambassade japonaise en souvenir de toutes ces femmes disparues pendant les guerres. C’est là que les souvenirs affluent et nous apprenons ce qu’Emi est devenue pendant toutes ces années.

 

« Filles de la mer » est un roman bouleversant, raconté sous deux angles, celui d’Hana et celui d’Emi.

Dès son enlèvement, Hana est affecté dans un bordel de Mandchourie pour servir de « femme de réconfort ». A partir de là, rien ne lui est épargné : les viols, la souffrance, les coups, la faim seront sont quotidiens. Elle tirera partie de toutes les opportunités qui lui permettront de fuir cet enfer, et son parcours nous émeut autant qu’il nous fait mal. Je n’en dirai pas plus ici pour laisser chacun et chacune assimiler la résilience nécessaire à la survie dans un cas pareil.

Quant à Emi, elle culpabilisera toute sa vie d’avoir laissé partir sa sœur à sa place. Sa honte sera telle qu’elle n’en parlera à personne, même pas à ses enfants, et la parole ne la soulagera qu’à la fin de sa vie.

 

Avec l’histoire de ses deux sœurs, c’est tout un pan de l’histoire coréenne qui nous est racontée. Pays meurtri par l’occupation japonaise, la Corée a servi de réservoir à soldats pour l’armée nippone pendant les guerres qui se sont succédées, jusqu’en 1945. Des dizaines de milliers de femmes coréennes étaient, elles, envoyées au plus proche du front pour servir de « femmes de réconfort ». Rendues au rang d’esclave, mourant sous les coups ou de maladie, elles n’avaient aucune chance de rentrer chez elles. Outre l’impossibilité physique de retourner en Corée, la honte était telle que les familles ne voulaient plus entendre parler d’elles.

Sur un aspect plus géopolitique, l’auteure nous donne aussi des explications sur les collaborations entre les différents pays impliqués dans les conflits. Ainsi, la Chine, malmenée par le Japon, se tourne vers l’Unions soviétique, et le peuple mongol, pris en tenaille entre ces deux puissances, cherche avant tout à préserver son mode de vie. Toutes les cruautés sont bonnes pour asservir l’autre. Rien ne nous est épargné dans ces conflits : les exécutions, les tortures, les paroles avilissantes. La guerre est sale, et ce roman nous le montre bien.

 

Roman aussi émouvant qu’instructif, « Filles de la mer » ne laissera personne indifférent. L’histoire de la Corée nous montre l’être humain dans sa version la plus sombre et brutale. Les femmes en seront les éternelles victimes, physiquement et moralement. Mais Mary Lynn Bracht nous livre ici un témoignage essentiel, écrit avec sincérité et émotions. Une lecture inoubliable.