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xiane
Légende

Il y a 21 jours | 67 vues

Lire Lolita à Téhéran d’Azar Nafisi

Ce livre a été publié en anglais en 2003 et une première fois en français par les Editions Plon en 2004, puis en 2024 par les Editions Zulma.

Bon, si vous ne voulez pas voir votre PAL ou votre « panier » s’allonger, surtout, n’ouvrez pas ce livre !

L’histoire que nous conte Azar Nafisi est celle d’une Iranienne, à savoir elle-même, née en 1955 à Téhéran, au sein d’une famille passionnée de littérature. A 13 ans, ses parents l’ont envoyée en Angleterre terminer ses études. Son père a été maire de Téhéran et a été emprisonné par le pouvoir et sa mère a été la première femme membre du parlement iranien.

Azar Nafisi revient en Iran juste après la Révolution iranienne de 1979. Munie de son doctorat en littérature anglaise et américaine, elle enseignera au département d’Anglais de l’université de Téhéran mais en sera expulsée en 1981 car elle refusera de porter le voile islamique. Mais pendant ces deux années, elle aura tissé des liens avec plusieurs de ses étudiantes… C’est à six d’entre elles et chez elle qu’elle enseignera clandestinement la littérature occidentale.

A partir de 1987, elle enseignera à nouveau officiellement devant des hommes et des femmes à l’université islamique libre d’Iran. Elle y encouragera l’insubordination des femmes dans la République islamique d’Iran.

Enfin, en 1997 elle quittera définitivement l’Iran pour s’installer aux USA. Elle y obtiendra la citoyenneté américaine en 2008.

C’est tout cela qu’elle nous raconte tout au long de ces 423 pages.

En préambule, dans une « note de l’auteur » elle nous dira que pour ne pas mettre en danger les gens (les femmes) restés en Iran, « certains traits des personnages et des évènements décrits dans (son) récit ont été déformés afin surtout de protéger des individus… ».

Elle nous racontera les conditions de vie de toutes ces femmes, mais également des hommes qui vivent dans l’insécurité et qui n’ont pas le droit de faire, de dire, ni de penser librement. D’où une sensation d’enfermement terriblement dure à vivre/supporter de la part de la lectrice que je suis.

Elle nous racontera la guerre entre l’Iran et l’Irak et la peur des bombes…

Elle nous parlera des livres et des auteurs qu’elle aime -comme par exemple le style d’Henry James qui préférait les litotes aux mots galvaudés- et qu’elle tentera de faire aimer (et comprendre) à ses élèves.

Son livre porte notamment les titres de chapitre suivant : « Lire Lolita à Téhéran », « Gatsby », « James », et « Austen ».

Azar Nafisi nous donne une terrible envie de vivre libre, de lire sans compter, mais également d’aimer les gens qu’elle côtoie et son récit est comme un tissu flamboyant entremêlant le fil de ses souvenirs avec des moments du présent.

Quelques citations :

p. 83 « Un matin pendant la pause, Mitra se mit à nous décrire ce qu’elle ressentait tous les jeudis en montant l’escalier. A chaque marche, elle avait l’impression de s’alléger un peu plus du poids de la réalité, de s’éloigner de la cellule sombre et humide dans laquelle elle vivait, de remonter respirer pendant quelques heures à l’air libre et au soleil. Puis, quand le moment venait, elle retournait dans sa cellule. »

p. 84 à 86 « Pendant les deux années qu’a duré ce séminaire, mes étudiantes ont découvert ma famille, ma cuisine, ma chambre, la façon dont je m’habillais, dont je marchais et parlais lorsque j’étais chez moi. Je n’ai jamais mis les pieds chez elles, je n’ai jamais rencontré la mère traumatisée, le frère délinquant, la sœur timide. Je ne pourrais jamais replacer ce qu’elles écrivaient d’elles-mêmes à l’intérieur d’un contexte ou d’un décor. Mais je les ai toutes fréquentées dans l’espace magique de mon salon. Elles venaient y passer un moment entre parenthèses, apportant avec elles leurs secrets, leurs douleurs et leurs dons. »

p. 85-86 « (…) Un jour, ma fille Negar est entrée dans la pièce en pleurant. (…) Ce jour-là, au milieu de sa dernière heure de classe (…) la directrice et la professeure de morale avaient fait irruption dans la salle et ordonné aux enfants de mettre les mains sur leur table. Ensuite (…) on avait fouillé leurs cartables, à la recherche d’armes ou d’objets interdits : cassettes, romans, bracelets d’amitié. Puis on les avait fouillées au corps, et on avait inspecté leurs ongles. Il y avait une élève qui était rentrée des Etats-Unis l’année précédente (…) Ses ongles étaient trop longs. La directrice les lui coupa elle-même, si court qu’un de ses doigts se mis à saigner. (…) Negar avait vu dans la cour sa camarade qui serrait son doigt coupable pour arrêter le sang. La professeur de morale, qui était restée à côté d’elle, empêchait les autres de l’approcher. Le fait de ne même pas pouvoir aller consoler son amie était pour Negar aussi difficile à supporter que tout ce qui avait précédé. Elle me répétait : « Mais maman, cette fille n’était pas au courant de nos lois. Tu sais, elle vient juste de rentrer des Etats-Unis (…) ». »

p. 99-100 « L’Ayatollah lui-même n’a rien d’un novice en matière de sexe. (…) son opus magnum, Les Principes religieux, sociaux, philosophiques et politiques de l’ayatollah Khomeiny, et on y apprend des choses intéressantes. (…) Saviez-vous que pour calmer ses appétits sexuels, un homme peut par exemple avoir recours à la zoophilie ? Et là survient le problème qui se pose pour celui qui a eu un rapport sexuel avec un poulet : peut-il ensuite le manger ? Et bien notre vénérable dirigeant a une réponse : Non, ni cet homme ni ses proches n’en ont le droit, mais un voisin peut le faire, à condition d’habiter deux maisons plus loin. (…) »

p. 102-103 « (…) Sanaz arrivait (…). Affreusement désolée d’avoir manqué une séance et maintenant d’être en retard, elle semblait sur le point de pleurer. (…) L’histoire était banale. Quinze jours plus tôt, Sanaz était partie avec cinq autres filles passer deux jours au bord de la mer Caspienne.  En arrivant, elles avaient décidé d’aller rendre visite au fiancé d’une de ces filles qui habitait dans la ville voisine. (…) elles étaient toutes habillées comme elles le devaient, en foulard et longue robe. Ils étaient tous assis dans le jardin : six filles et un garçon. Il n’y avait dans la maison ni alcool ni cassettes ou CD interdits. Elle semblait dire que, s’il y en avait eu, elles auraient mérité ce qui s’était passé ensuite, la façon dont elles avaient été traitées par les gardiens de la révolution. Les hommes de la brigade de l’ordre moral étaient arrivés armes à la main (…) Ils prétendirent avoir reçu des informations à propos de certaines activités illégales (…) dans cette maison et (…) qu’ils devaient perquisitionner. (…) un des gardes déclara d’un ton sarcastique que rien qu’en les regardant on pouvait voir à leur attitude occidentale que (…) ils avaient un mandat de perquisition, et il fallait qu’il serve à quelque chose. Ils les avaient donc emmené s dans une prison réservée à ceux qui commettaient des infractions d’ordre moral. (…) les filles furent enfermées dans une petite pièce sombre (…) Elles y restèrent quarante-huit heures  sans pouvoir (…) téléphoner à leurs parents. (…) Elles quittèrent cette pièce à deux reprises. La première, on les emmena dans un hôpital pour y subir un test de virginité qu’une gynécologue effectua sous le regard de ses étudiantes (…) Après un procès sommaire, elles furent forcées de signer un document dans lequel elles confessaient des crimes qu’elles n’avaient pas commis et furent condamnées à recevoir vingt-cinq coup de fouet. (…) »

p. 236-237 « J’ai entendu une autre bombe. J’avais soif mais je n’arrivais pas à me lever pour aller me chercher à boire. Deux nouvelles explosions ont retenti. J’ai continué à lire, mes yeux glissaient parfois du livre vers le hall plongé dans l’ombre. J’ai toujours eu peur du noir, mais la guerre et ses bombes ont rendu cette crainte ridicule. (…) Pendant que je poursuivais ma lecture, trois choses se sont produites presque en même temps. Ma fille m’a appelée, le téléphone a sonné et quelqu’un a frappé à la porte. (…) … ma mère est entrée, une bougie à la main (…). « Ça va ? Tu n’as pas peur ? » (…) C’était devenu une sorte de rituel. (…) Un autre rituel. Chaque fois, nous nous appelions, entre amis et parents, sachant que si nous avions la vie sauve, c’était que d’autres avaient été touchés. »

p. 243 « Le tchador de ma grand-mère a eu, dans mon enfance et ma prime jeunesse, une signification particulière. C’était un abri, un monde à part. Je la revois s’envelopper dans ses voiles et arpenter sa cour parmi les grenadiers en fleur. Désormais l’image du tchador était à jamais ternie par le poids politique qui lui était accordé. C’était devenu un vêtement froid, menaçant (…). »

 

Un grand merci à Nathalie ainsi qu’au Forum des lecteurs de la Fnac pour cette nouvelle découverte.


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