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rose612
Explorateur

Il y a 21 jours | 45 vues

Rififi à la boulangerie

Amélie, vendeuse en boulangerie, rentre chez elle après une journée mouvementée. A sa mine défaite et ses yeux las, son compagnon voit tout de suite que quelque chose cloche. Il pose donc la question fatidique, une pointe d’inquiétude dans la voix :

-Comment s’est passée ta journée, ma chérie ?

- Abominable, mon chou !, répond Amélie se jetant sur le canapé, toute une histoire pour un Paris-Brest ! 

Elle reste un instant silencieuse, son homme pendu à ses lèvres, puis prend une grande inspiration et commence son récit :

-Ce matin vers 10h, je vois entrer Mme Polon, elle me dit qu’elle a commandé un Paris Brest pour l’anniversaire de son neveu. Je repère la camelote estampillée “Joyeux anniversaire” et j’entreprends de la mettre dans une boîte en carton. Là, une autre ancêtre aux cheveux bleus, qui venait juste de pousser la porte du magasin, voûtée sur sa canne, m’interpelle : “j’crois bien q’c’est mon gâteau que vous êtes en train de vendre à cette personne”. Je vérifie sur le carnet de commande, je ne vois qu’un seul machin à crème prévu donc je réponds que le gâteau était commandé depuis une semaine. "Moi aussi j’avais commandé ! Revérifiez, vous verrez !”, qu’elle me fait. La mère Polon commence à s’agacer et lui réplique d’un ton sec qu’il est hors de question qu’elle renonce "encore une fois" et que "sa majesté" n’a qu’à prendre une tarte qui conviendrait beaucoup mieux à sa fille”. Tu vois l’allusion fine ! C’est là que j’ai compris que les deux biques n’en étaient pas à leur premier crêpage de chignon et que j’avais intérêt à ne pas prendre parti. Bref les voilà qui s’insultent, j’appelle Florian à l’aide, je le briefe rapidement sur le problème. Il s’excuse platement. Vraiment, il fait super bien la limace repentie ! Puis il déclare qu’il peut faire un second gâteau dans l’urgence en une heure trente. Il était 9h47, c’etait très raisonnable pour le repas de midi. Mais non ! Trop simple ! Tu comprends bien qu’elles n’ont pas que ça à faire, bla et bla et bla. Bref, est entré le flic municipal, qui passait dans la rue et avait compris qu’il y avait embrouille aux gesticulations des deux momies. Mis au courant de la situation, il a déclaré qu’il livrerait lui-même la deuxième cliente, il laisse son nom et s’en va avec la vieille bleue à son bras. Elle gloussait de satisfaction comme une pintade ! Je crois bien que c’est l’instit que j’avais en CP, mais je ne suis pas sûre.

 

Florian, le pâtissier de la boutique, est appelé par Amélie sur les lieux du litige.

-Bonjour Mesdames, Amélie, que se passe-t-il ?

Amélie fait un bref résumé de la situation : les clientes vont la rendre folle (enfin plus qu’elle ne l’est déjà), un gâteau, deux clientes, une seule commande inscrite

-Pas de panique Mesdames 

-Je ne panique pas, jeune homme, déclarent-elles à l’unisson

-Bon, il est 9h47, j’ai le temps de faire un deuxième Paris-Brest  avant midi, cette solution me semble tout à fait convenable et je n’en ai pas d’autre

Puis en lui-même : ou alors je partage le gâteau…

Les clientes gesticulent argumentent pour savoir laquelle doit prendre le gâteau déjà fait, le policier entre en scène et décide que Madame Polon doit prendre le gâteau emballé, laissant pour la dame bleue celui à venir donc plus frais. Cette remarque bien pensée semble les contenter toutes les deux, l’une se vantant d’avoir celui qu’elle a commandé et l’autre d’avoir obtenu une pâtisserie ultra fraîche. Florian est admiratif, on voit chez ce flic, la longue expérience de la résolution des conflits de voisinage.

Le calme est revenu dans la boutique mais cette histoire titille Florian.

“Voyons ce qui est noté sur ce carnet de commande, Polon, jeudi matin, Paris-Brest, 4 personnes. Ah oui ! je me rappelle maintenant... enfin c’est vague mais je crois avoir reçu deux appels à ce sujet. 

Bon peu importe, au boulot le gars va passer récupérer le gâteau dans une heure. Tout de même, il y a un truc qui cloche ! Je vais dire à Amélie de m’appeler quand pour la livraison.”

Une heure plus tard, le policier entre dans la boutique.

-Rebonjour, je viens chercher la commande de Mme Paulin

Paf, Florian recolle enfin les morceaux du mystère dans sa tête :

“Pétard ! Ces parigots ! Polon et Paulin ! Deux coups de fils, un pour Polon, l’autre pour Paulin ! Ils peuvent pas prononcer correctement leurs noms ! Sans rire ! Comment je pouvais savoir qu’elles étaient deux ?! Et puis qu’est-ce qu’elles ont toutes avec les Paris Brest ! À Toulouse, on parle correctement, ça me serait jamais arrivé là-bas ! Sais pas ce que je suis venu faire dans ce bled du Loiret !

 

Solange Paulin raconte sa version de la scène au policier municipal qui la raccompagne chez elle.

-Je suis entrée dans la boutique et j’ai de suite repéré le manège de cette petite linotte d’employée ! Elle était en train de vendre mon gâteau ! et à la mère Polon en plus ! J’ai donc demandé mon dû. J’avais téléphoné avant hier pour commander ce gâteau pour l’anniversaire de Christine. 

Puis après une courte pause, elle reprend :

-Amélie, je l’ai eu comme élève au CP, et déjà elle regardait plus les oiseaux à travers la fenêtre que le tableau. De la graine de linotte ! 

-Voyons, elle ne l’a pas fait exprès.

-Oui, oui, je sais, il est probable qu’elle n’ait rien prémédité, elle est trop bête

-Mmmm, grommelle l’agent, choqué

-Et puis, je dois avouer que je crevais d’envie d’emmerder cette Polon avec ses airs de ne pas y toucher.

-Et pourquoi donc ?, dit-il, éberlué

-Pourquoi ?? Pourquoi ?? Le 17 juin 1998, premier jour des soldes, m’en rappellerai toute ma vie ! Cette furie voulait acheter une petite robe à fleur que j’avais repérée depuis deux semaines et planquée tout au fond du présentoir. J’ai dû faire valoir mon statut et mettre les points sur les i pour que la mercière me la vende plutôt qu’à cette prétentieuse.

-Ton statut, maman ?? Mais quel statut ?

-M’enfin, j’étais la femme du dentiste tout de même et institutrice qui plus est.

-Maman…, lâche le policier dans un soupir désespéré

 


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